Chapitre 4 : Les polémiques poubelles et le Gourdin Social Club

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Le quatuor pensait avoir eu sa dose de lugubre et de lubricité après cette plongée dans la Fange. C’est en arrivant aux abords du Gourdin Social Club qu’ils comprirent qu’ils n’avaient encore rien vu.

La Bengale, leur liaison avec le département des Renseignements, leur avait fourni l’adresse du lieu susnommé. Alors qu’ils descendaient une nouvelle ruelle dans cette direction, le groupe fut surpris par la tombée précoce de la nuit et le charmant fumet nidoreux de ces nouveaux bas-fonds. Des poubelles renversées et éventrées jonchaient l’allée d’une saleté sans cesse renouvelée.

Pourquoi fallait-il toujours que les victimes d’homicides soient des pauvres ou des marginaux ? Une petite enquête dans des quartiers plus plaisants n’aurait pas déplu à l’inspecteur.

Un bruit transperça l’obscurité et fit sursauter le Hérisson ; le bruit métallique d’une nouvelle chute de poubelles. Pris sur le fait, un raton laveur s’en extirpa comme s’il avait le feu aux fesses. Mue de ses réflexes de rapace, la Chouette intercepta le fugitif. La silhouette rayée de noir et blanc se tortilla entre les serres de l’inspectrice.

— Hey ! Lâchez-moi ! J’ai rien fait !

— Vous nous espionniez ! accusa l’Ocelot.

Le Raton cessa de gigoter et cligna des yeux perplexes.

— Bien sûr que non ! Je ne vous connais même pas. Je fouillais juste les poubelles. C’est interdit de fouiller les poubelles, maintenant ?

Les policiers s’échangèrent des œillades peu convaincues, l’Ocelot cuisina le nuisible.

— Et qu’est-ce que vous espérez dégoter dans les ordures ?

— Mais de belles polémiques nauséabondes, pardi ! On trouve de sacrés trésors dans les relents d’autrui, vous savez ? Tenez, hier, je suis tombé sur une question merveilleuse : « les féministes vont-elles trop loin ? » J’ai débattu des heures durant avec moi-même ; ce fut absolument jouissif. Et vous, alors ? Vous ne voudriez pas discuter un peu ? Que pensez-vous des vegans ? Activistes bornés ou dangereux éco-terroristes ? Et la politique ? Pensez-vous que la bien-pensance gauchiste gangrène petit à petit notre société ?

— Mais c’est complètement biaisé comme questions !

Flairant le piège, le Caracal rattrapa l’Ocelot par la manche avant qu’il ne se noie dans ce puits sans fond. Il ignorait qui était ce Raton, mais il ne devait certainement pas être un innocent réactionnaire pour tenter de les distraire de leur enquête de la sorte. Sans compter que l’inspecteur rusé se rappelait bien des poils noirs et blancs trouvés sur le lieu du meurtre. Évidemment, il ne pouvait interpeller ce fouineur de poubelles avec de si minces suspicions, mais il rangea cette hypothèse dans un coin de sa mémoire.

Il ordonna plutôt à ses collaborateurs :

— Ne perdons pas de temps avec lui. Venez.

— Attendez ! Vous ne voulez pas entendre mon avis sur l’écriture inclusive ? J’ai de bons arguments, j’vous ass…

Ces derniers se perdirent dans la distance que prit le quatuor. Débarrassés de ce contretemps, ils arrivèrent enfin aux portes du Gourdin Social Club. L’établissement faisait à peine plus rêver que la Fente Enchantée. Au moins, les lettres de l’enseigne étaient-elles toutes illuminées ; mais étant donné la typographie phallique employée, le contraire aurait été préférable.

Le Hérisson prit une grande inspiration pour se donner le courage d’entrer, mais la Chouette avait déjà poussé la porte, sans ménagement.

À l’intérieur, un loup s’arrêta en pleine besogne, sursautant et levant une moue victimaire sur l’invasion policière.

— Excusez-moi, alerta-t-il en rangeant les verres qu’il essuyait derrière le bar afin d’éviter de les casser. Nous n’ouvrons pas avant une demi-heure.

— Police de Scribopolis. Nous avons des questions à vous poser.

Et alors qu’il dévoilait son insigne et s’avançait dans la salle principale du club, le Caracal ne put que s’ébahir de ce nouveau décor. Avec l’expérience des années, le policier rodé pensait avoir tout vu ; et pourtant…

Nom d’un astre nitescent !

L’antre colossal qu’il traversait était tapissé de scènes érotiques si grotesques qu’elles en auraient fait rougir Sade, l’association de couleurs criardes plongeait les visiteurs en pleine gay pride sous LSD, tandis que les petites culottes à la propreté douteuses suspendues au plafond achevaient de tamponner le sceau de l’infamie sur ce lieu.

Le Loup lubrique rabattit ses oreilles à l’arrière de son crâne, comme s’il cherchait à se rendre coupable d’un quelconque méfait avant même qu’on l’interroge.

— Par le Saint Gourdin, si c’est à cause de ce qui est arrivé à ce type la semaine dernière, je vous assure qu’il était parfaitement au courant de ce qu’il lui arriverait s’il mangeait ce kiwi jaune avant 16h30 ! Il avait même signé une décharge…

Le Caracal massa ses sinus d’une patte griffue ; une fois n’était pas coutume, il lui fallait éviter de s’intéresser à tous les évènements sordides ayant cours dans les bas-fonds de Scribopolis ; sans ça, il ne bouclerait jamais son enquête.

Éprouvant le sentiment d’un automate prisonnier d’une mécanique rouillée, l’Inspecteur tendit la photo – peu flatteuse – du Lama sur le zinc du bar.

— Reconnaissez-vous ce client ?

— Je… Je ne suis pas capable de commenter cela.

Le Loup afficha une moue gênée, tout en détournant le regard de cette sordide représentation, probablement se sentait-il perturbé à la vue de ce cadavre, à moins qu’il ne cachât d’autres secrets, en effet, ce lieu de vices avait tout l’air du théâtre d’opérations inavouables, bien que ce Loup, armé de son air mutin, ne semblait pas cautionner tout cela, même si en face, les griffes acérées de l’Ocelot s’avançaient, comme prêtes à déchirer le voile de ces non-dits.

— Bon ça suffit ces minauderies ! feula-t-il encore épuisé de l’interrogatoire de la Bonobo. On se fiche pas mal de ce que vous fabriquez ici. On veut juste savoir si vous avez repéré quelque chose de suspect à son sujet ! De drôles de fréquentations ? Des habitudes particulières qui auraient subitement changé ? Connaissez-vous quelqu’un à qui il se confiait ? Plus vite vous parlerez, plus vite nous déguerpirons de cet endroit de stupre ! Croyez-moi, nous ne souhaitons nullement nous attarder.

La Chouette ne partageait pas cet avis. Parfaitement à son aise, elle délia gracieusement ses plumes et se nicha sur l’un des tabourets. Dans cette entreprise, sa jupe se releva à mi-cuisse, exhibant une cuisse charnue qui aurait bien laissé le Loup la langue pendante, s’il ne s’était pas senti obligé de se contenir devant ses collègues peu amènes.

— Peut-être qu’un verre nous aiderait à garder nos gosiers hydratés pendant que vous nous dites ce que vous savez, monsieur le gérant… suggéra-t-elle d’une voix hypnotisante, à laquelle succomba avidement le Loup, ravi de se détourner du sujet brûlant de son client macchabée.

Le gérant lubrique et loufoque partit donc en quête de verres, pour étancher la soif de ses intrus, dans son arrière-salle, encombrée de vils fûts vides et de stocks illimités de lubrifiants, où il était difficile de circuler sans se prendre les pieds dans l’un des nombreux items qui jonchaient le sol. Malgré ces obstacles, le Loup progressa vaillamment afin de mettre la main sur les contenants convoités, qui serviraient à recueillir le bon glou-glou rouge, béni des bienfaits du Saint Gourdin lui-même. En revenant, armé de ses précieux, il y versa de longues rasades du liquide sacré, pressentant qu’il ne serait pas de trop pour l’aider à affronter cette nouvelle adversité, ainsi, priant la divinité au braquemart céleste, il fit déferler les perles de glou-glou en son gosier, avant d’entamer un récit de longue haleine :

— Désolé, j’sais pas ce qu’il lui est arrivé.

— Mais encore ? renchérit la Chouette.

— Ben, qu’est-ce vous voulez qu’j’vous dise. Il venait là, il faisait ses petites affaires, il repartait, puis c’est tout.

— Allons, je suis certaine que vous devez bien avoir un ou deux détails à nous confier au sujet de ses habitudes, insista la volaille en faisant tourner le liquide dans le récipient avec une gestuelle magnétique.

— Désolé ma p’tite dame, mais c’est pas la politique de la maison que de trahir la confidentialité des… Hey ! Attention, malheureux ! Qu’est-ce que vous faites ? Lâchez ça tout de suite !

Paniqué, le Loup avait bondi de son poste et s’était avancé près du Hérisson explorateur.

En effet, ce dernier, constatant leur nouveau témoin sensible à l’attrait de la gent féminine, avait préféré déléguer les questions, afin de se concentrer sur l’état des lieux de cet étrange établissement. L’agent épineux évolua ainsi entre les différents objets exposés en vitrine, et dont il n’osait soupçonner l’usage. Il passa un regard interrogateur devant un Rotagor 2000 dernier cri, puis tomba nez à nez sur une imposante statue de nain.

Tout de mithril, ce dernier dardait un regard de défi sur le rongeur tremblant. Des plis de sa barbe fournie, se dessinait un sourire viril et coquin. Les bras croisés sur le buste, le grand petit être asseyait sa dominance sur le lieu comme sur tout autre individu qui croiserait la route de son attribut. Son attribut – parlons-en – s’étirait justement de manière imposante sur son entrejambe, en un pied de nez à la bienséance, le sémillant colosse se riait de ses adversaires : d’aucuns ne sauraient prétendre rivaliser avec un tel attirail.

Rouge de gêne, le Hérisson baissa un museau confus vers le socle de la statue, espérant se décrocher de ce spectacle perturbant. Quelle ne fut pas sa surprise d’y découvrir un objet familier !

Le même que cet étrange colosse de silicone, découvert sous le lit de la victime…

Songeur, il s’empara, pour la deuxième fois de la journée, de la pièce à conviction ; au moment où retentit le cri terrifié du Loup dans son dos.

— Ne touchez pas à cet objet !

Ne s’attendant pas à une réaction aussi passionnée, le Hérisson ne sut comment réagir. L’Ocelot prit les devants, s’interposant entre le tenancier et son ami à épines.

— Nous serions plus enclins à coopérer si vous faites de même, nargua-t-il comme s’il se délectait du désarroi lupin.

— Très bien, très bien, abdiqua le Loup en tombant à genoux. Je vous dirai ce que vous voulez savoir, mais par pitié, reposez ce gourdin ! Il s’agit d’une relique sacrée…

— Pourtant, la victime avait le même. Nous l’avons retrouvé sous le lit de sa chambre d’hôtel…

Le voyant réinstaller délicatement la matraque siliconée sur son portant, le Loup dénoua le stress de ses muscles et se posa à une table ; verre de glou-glou en patte pour se remettre de ses émotions. La Chouette prit place devant lui, accompagnée d’une bolée de cidre, prête à recueillir les confessions qu’engendrerait ce revirement.

— Ce n’était qu’une copie. Un cadeau que nous offrons à nos plus fidèles et fervents clients, admit-il en épongeant un front imbibé de sueur.

— Ainsi, vous connaissez bien ses habitudes, l’encouragea la Chouette.

— Disons qu’il vient régulièrement au Gourdin Social Club pour… pour… Ah, que le Saint Gourdin me pardonne ! Je ne devrais pas en parler, c’est bien trop…

— Oh, arrêtez votre cirque, asséna l’Ocelot. Vous pensez vraiment que vous allez nous choquer avec des histoires de colosses qui s’entrechoquent ? C’est bon, on en a vu d’autres !

Le Hérisson blêmit. Lui, peut-être…

— Si ce n’était que ça, ça ne me gênerait pas tant d’en parler ! s’insurgea le témoin. Je fais référence à des activités bien plus délictueuses !

À cette mention, le Caracal redressa une oreille attentive.

— Le Gourdin Social Club, enchaîna-t-il, ne met pas que des gourdins à la disposition de ses membres, mais aussi des ordinateurs, connectés à Internet. Ce Lama venait s’y connecter et discuter avec d’autres personnes pour… ah… commettre des actes infâmes. Ils… je crois comprendre qu’ils s’entraidaient, ils lisaient des textes entre eux et se corrigeaient mutuellement. Je… je tolérais cela tant qu’il restait discret, mais… mais un jour que j’y passais le museau, je découvris l’ampleur du carnage. Certains textes étaient noyés sous des incises interminables et d’épouvantables successions de participes présents ! Que le Saint Gourdin me pardonne de ne pas avoir su les arrêter à temps !

Le Caracal trembla d’effroi ; le Loup s’effondra en larmes. Même le glou-glou ne suffit pas à noyer sa honte ni à laver cet opprobre. Tandis que la Chouette s’efforçait de consoler le mammifère, l’inspecteur tissait les liens des différents éléments de son enquête.

C’était là ; quelque part.

Mais bien sûr ! Ce vil camélidé avait échangé des étrons littéraires avec d’autres écrivains en herbe ; pire : ils s’étaient concertés pour faire fructifier ce lisier, le rendant plus nauséabond à chaque mot qu’ils y déversaient. Et les Pourfendeurs, ne jurant que par la pureté et l’unicité littéraire, ne purent tolérer ces scandaleuses manigances. De leur opinion : l’écriture s’érigeait en un art sacré qui ne saurait être dévoyé. En voulant le rendre accessible au tout-venant, le Lama s’était attiré leurs foudres.

Et cette chèvre bancale, qu’avait aperçue la gérante de l’hôtel ? Était-elle mêlée à ces sordides tribulations ?

Le félin au nez fin ne s’interrogea pas bien longtemps sur ce point, car la Bengale, à qui il avait fourni le signalement de ce suspect, la rappela à ce moment-là.

— Nous avons retrouvé le Dahu ! Mais vous n’allez pas aimer ça, Inspecteur…

*

Sources :

Le Gourdin Comique Universe : https://www.scribay.com/text/1207296060/de-gourdin-l-enchanteur--anthologie-magistrale--colossale-et-jubilatoire

Gourdin l'Enchanteur est une propriété de Martial M, inventeur de l'orgasmic fantasy : https://www.scribay.com/text/1779048225/des-plaisirs-et-des-jours---orgasmic-fantasy

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