Chapitre 7 : Pornographie robotique et massacre à la littérature

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Un silence anxieux planait dans la petite salle. Seulement rythmé par le tapotement nerveux de l’Ocelot sur un bureau – ce dernier était rentré de l’hôpital avec rien de plus qu’une attelle. Quelle chance insolente… Pendant ce laps d’attente, l’agent Faucon se débattait pour insérer l’antique VHS dans un magnétoscope antédiluvien.

— Toujours pas ?

Même le Caracal, déjà éprouvé par un interrogatoire aussi infructueux qu’insensé, s’impatientait.

— Du calme, se justifia le Faucon. Je vous rappelle que ces trucs-là n’existaient même plus lorsque je suis né !

— Vous êtes notre support technique ! Je comptais sur vous !

— Bah désolé, ma spécialité, c’est les organigrammes, pas les cassettes de ma grand-mère…

Finalement, grâce au renfort de la Bengale, qui se contenta de souffler sur la bande, l’écran s’illumina d’images parasitées.

« Et mes circuits primaires ? Tu les aimes mes circuits primaires ? … Et mes boulons cuivrés ? Tu les… »

— Mais qu’est-ce…

Par chance, la vidéo robot-fétichiste pornographique s’interrompit avant que la poupée mécanique ne décapote sa trappe d’entretien. L’inconvénient d’avoir enregistré sur une cassette recyclée…

— Chut !

Et pour cause, le vrai message commençait maintenant. Le premier que leur adressaient les Pourfendeurs depuis des mois d’activités. Enfin, ils allaient savoir… Les desseins nauséabonds de ces vils excréments se peignaient ici, sur ce fond noir, présentés par cette voix d’automate rouillé.

« Félicitations Inspecteur ! Enfin, si vous maniez le sarcasme, j’espère que vous aurez saisi que c’en est… Comment va votre ami à piques ? Oh pardon, ce n’est sûrement pas très délicat de ma part… Sarcasme, disais-je. Mais bon trêve de plaisanterie : vous n’êtes qu’un pion sur le grand échiquier du remaniement. Même votre entêtement ne pourra plus freiner la voie de l’inévitable changement. Ah, mes paroles ne vous convaincront pas … Qu’importe ; les citoyens de Scribopolis sauront nos actes justes lorsqu’ils verront la vérité ! »

Et sur ces borborygmes délirants, un dossier se matérialisa devant la caméra. Ses coins orange vif détonnaient sur le noir profond. Pourtant, le cauchemar commençait à l’intérieur. Les ignobles hiéroglyphes s’insinuaient comme un poison à travers leurs rétines ; leurs significations, hélas limpides, s’imprimaient à l’encre indélébile dans leurs esprits. Les extraits défilaient dans un cortège macabre inébranlable. La même racine titresque se déclinait sous toutes les formes : « kidnappée par un thug / par un bad boy / par un mafieux / par un milliardaire », mais les engeances restaient pareillement innommables. Conjugaison du passé simple à la première personne en « a », langage sms, smileys, abréviations… Quand le sens d’autres propos sibyllins n’échappait tout bonnement pas à la compréhension animale. « J'les pousser du lit il est tomber comme une mère à ce moment j'voulais peter d'rire mais nan en fait déjà que j'dors jamais aek mes frères j'dors aek lui starfellah que Dieu me pardonne ! »

La Renarde partit vomir son goûter dans une corbeille à papier, la Bengale enfouit ses yeux souillés sous ses pattes, le Faucon semblait avoir aperçu un fantôme et l’Ocelot tomba de sa chaise. Seul le Caracal demeura à peu près de marbre face à ces sordides démonstrations. Après tout, les dialogues étaient introduits par les noms des protagonistes : il n’y avait pas d’incises.

L’équipe de choc eut à peine le temps de se remettre de leurs émotions que la grinçante mélopée mécanique reprit.

« Ah ahah ah ! Comprenez-vous, Inspecteur ? C’est cela que défendaient ces stupides ruminants ; ils n’ont reçu que ce qu’ils méritaient pour leurs attentats littéraires. Et vous ? Êtes-vous capable de poursuivre vos diligentes exhortations à la liberté de ton ? Les animaux que vous laissez pâturer sans contrainte restent des animaux. Conséquemment, ils finissent par chier la merde qu’ils ingurgitent. Détourner le regard n’en chassera pas l’odeur. Je n’espère pas vous faire changer d’avis. Votre aval n’infléchira pas la course du destin : le Peuple de Scribopolis tranchera ; et vous savez déjà dans quel camp il se rangera. Quant à vous, Inspecteur, de gré ou de force, vous vous rallierez à la cause. Ahahah Ah Ahah ! »

La voix trafiquée s’étouffa dans un grésillement désagréable entre deux rires machiavéliques, tandis que la caméra pivotait. L’image de la Chouette, aux plumes ébouriffées et malmenées par le scotch, renvoyait une vision piteuse sur sa chaise de fortune.

Gast !

« Je vous offre une chance, Inspecteur. Vous avez jusqu’à demain midi pour rapporter le livre des Lois à l’adresse indiquée sur ce papier, sans ça, je vous laisse imaginer ce qu’il adviendra de votre collègue. Nous allons inscrire noir sur blanc ces infractions au bon goût ; et ainsi purger la noble Cité de ces immondices ! L’Inquisition est en marche. »

La bouillie de pixels noir et blanc tomba comme un rideau sur la fin de ce discours éloquent. Le film porno-robotique reprit sur un plan de la robot-cagole désossée, les circuits impudiquement dévoilés.

— Coupez ça !

Le Faucon exécuta l’ordre ; le félin massait ses tempes. Il n’aurait pas imaginé un tel orateur à la tête des Pourfendeurs. Il songeait aux cohortes de plébéiens, galvanisés par son discours populiste, qui réclameraient à renfort de piques et de fourches la mort de ces auteurs égarés. Déjà, il voyait dans ses propres rangs le doute s’insinuer.

— Et s’ils avaient raison, trembla la Renarde. La Cité ne se porterait-elle pas mieux sans…

— Assez ! Il n’est pas question de laisser la vindicte populaire décérébrée en décider ! J’incarne l’ordre et le respect des lois ; JE suis la Cité. Ce fourbe n’est qu’un penn pidenn qui devra répondre de ses crimes.

En dépit de ce rappel ferme, le Caracal ne se sentait point serein. Ses fondations s’émiettaient consciencieusement, tandis que la graine de l’opprobre germait dans son être. Sournoise, fastidieuse, ingrate, cette enquête ouvrait les failles vers d’inextricables abysses ; là où même les astres ne scintillaient plus pour le guider. Faisaient-ils fausse route ?

Coupant court à ses atermoiements, la porte valsa d’une bourrasque atrabilaire. Dans le chambranle ; le commissaire.

De l’ombre du Blaireau se déployèrent quatre agents aux matricules mystérieux. Le Caracal ne les avait jamais surpris dans l’enceinte de leur parangon de sécurité. Les mains s’affairèrent sur le magnétoscope pour en extraire la pièce à conviction.

— Mais que signifie ce cirque ?

Le Blaireau planta un regard vif, froncé sous les stries noires de son pelage. De là irradiaient les foudres irisées de la désapprobation hiérarchique. Les pas battaient d’autorité le pavé en sa possession. Il était maître en ces lieux ; et son subordonné saurait s’en souvenir. L’orage des réprimandes cinglait dans son ton.

— C’est à vous que je dois cette question. Ah, Inspecteur… Que s’est-il passé ? Je vous faisais confiance ! Oui, à vous, j’ai accordé mon blanc-seing pour cette enquête… Et que voilà ? Une novice kidnappée, un agent dans le coma et un autre cité dans une plainte pour vol de véhicule !

L’Ocelot détourna les yeux gênés, comme si cela pouvait suffire à le soustraire à l’ire du commissaire ; le Caracal bondit et s’exclama :

— Mais !

La patte paternaliste s’agrippa sur l’épaule de l’inspecteur. Fraternelle et ferme. Les paroles débitées bourraient les longs appendices auriculaires de billevesées bienfaisantes.

— Fatigue traître et fringance tarie ; jugements obscurcis et objectifs jugulés. Je comprends, Inspecteur. La situation nous éprouve tous. Même un bon gaillard breton comme vous n’est plus à l’abri des erreurs en ces temps troubles. L’équipe d’expert va prendre le relais et analyser la vidéo.

— Quoi ? Vous me retirez l’affaire ?

Il était rare que le félin fulmine au point de se blesser les coussinets en y enfonçant les griffes.

— Que nenni. Je vous décharge seulement d’une tâche afin que vous vous reposiez et alliez chercher le livre des Lois, demain, à la première heure.

Devant l’assurance crasse de son supérieur, le Caracal blêmit sous le pelage mordoré.

— V-vous songez à céder à leur odieux chantage ?

— Allons, allons, bien sûr que non. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour ne pas exaucer les vœux d’une minorité de puristes. Mais en l’état, il faut leur faire croire que nous accédons à leurs revendications. Voyez cela comme un enrayement de cette débandade incontrôlable.

— La situation n’aurait pas dérapé ainsi si les renforts étaient arrivés à temps au zoo.

Le Blaireau leva une patte mélodramatique vers les néons du plafond. Un spectateur imaginatif pourrait y superposer la figure de la madone éplorée dans l’éclairage diaphane d’une scène tragique.

— Croyez-vous que nous n’avons pas essayé ? Un cambriolage se déroulait au même moment à l’autre bout de la ville et les malheureux crédits que m’accordent nos instances m’obligent à trancher les priorités. Je déplore le premier cette situation indigne, mais nous n’avons pas le choix. Pensez à votre collègue Chouette.

Ce dernier argument acheva de couper les fils de son obstination. Le Caracal s’affaissa sur une chaise, pattes ballantes. Au diable ses idéaux ! La vie de Chouette pesait lourd dans la balance. Dans un secours amer, le commissaire s’essaya au réconfort.

— Nous allons tout faire pour débusquer ces malfaiteurs. Ces vidéos amateurs dévoileront nécessairement des indices. D’ici là, de grâce, reposez-vous et soyez en forme, demain, pour affronter l’infâme ennemi.

*

Dans les méandres d’un hôpital à l’agonie, sous la pluie de plâtre du plafond érodé par le manque de moyen, Hérisson sommeillait presque paisiblement. Le concert régulier des appareils stridulait un message d’espoir. Tant que ce son irritait ses oreilles, son ami vivotait.

Le fauve caressa la face épineuse entubée dans un geste bromantique.

— Et toi, Hérisson ? Qu’aurais-tu fait à ma place ?

Seul le souffle d’une machine répondit.

Le Caracal reprit son manteau et vissa son chapeau à la lisière de l’arcade. Une infirmière dragonne frémit en croisant ce regard térébrant et menaçant dans le couloir. Le fauve se sentait déterminé.

Il suivrait le plan du commissaire, mais jamais ne donnerait satisfaction à ces sombres merdes. Le dernier acte s’achèverait dans leur défaite.

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