Nothing really matters
"Ils m’entraînent au bout de la nuit, les fantômes…. ».
« Mais ils habitent à quel étage tes potes ? » s’inquiète Stéphane.
Aux pieds de la cage d’escalier de l’immeuble haussmanien, on les entend déjà. Les hurlements chantés, qui cognent immédiatement dans sa tête.
Pendant tout le trajet en métro, il avait essayé de respirer par le ventre, au fil des stations de la ligne 9. Ca va bien se passer, ils sont sympas, et puis je m’en fous.
Non, pas vraiment en fait. Ca fait trois mois que Mathilde veut lui présenter ses amis. Trois mois qu’il est fou de Mathilde, qu’il ne veut passer ses soirées qu’avec elle, son corps, sa petite fossette au creux de la joue droite, ses cheveux si doux.
Elle insiste, ça a l’air important pour elle. Mais elle n’aurait pas pu choisir pire moment pour une rencontre.
Mathilde lui avait dit que c’était l’anniversaire de Karine, sa super copine de la fac. Soit.
Le karaoké, en revanche, c’était un coup bas.
Stéphane l’avait avait appris l’après midi même au détour d’une phrase, et Mathilde avait présenté ça comme un détail insignifiant. « au fait, c’est Karaoké ce soir? »
« Au fait c’est karaoké ce soir »? Mais elle est folle ou quoi, comme si c’était un truc normal.
D’abord, Stéphane chante mal, il le sait. Déjà Madame Chaput, en classe de CE1, lui demandait tout le temps « Stéphane chante moins fort, s’il te plaît», avec un petit sourire faussement bienveillant. Ben tiens, je ne vais plus chanter du tout ça arrangera tout le monde.
Et puis, il ne connaît pas les paroles des chansons de ce genre de trucs. Lui son truc, c’est le heavy métal, les batteries double pédales et les guitares saturées.
Putain Mathilde quand même.
Stéphane monte les marches en bois usé au ralenti. « Ben allez », lui dit Mathilde, enthousiaste.
Il ne lui a rien dit de son appréhension, de son envie de tout sauf d’être ici, de ses premiers efforts que, déjà, il est obligé de consentir.
Il souffle pour se calmer un peu, son rythme cardiaque s’accélère. C’est les étages où vraiment je flippe là? Il essaie de faire le vide, se concentre sur les petites fesses fermes de Mathilde devant lui. Ha, ça marche bien, ça.
Les fesses s’immobilisent sur le palier du 3ème étage.
Ding-dong. Les rires derrière la porte, « Les magnoliaaaassss, par centaaaiinneeeuuuu ». Pfff il fait chaud là, non? Stéphane déglutit tant bien que mal, tire le col de son t shirt Iron Maiden pour choper un peu d’air.
« Ah Stéphane, enfin! » C’est Karine qui ouvre la porte. Qui lui dit qu’elle a beaucoup entendu parler de lui. Comme si cette phrase avait déjà pu mettre quelqu’un à l’aise sur cette terre.
Une petite bise.
Direction le bar. Après deux bières, Stéphane apprécie déjà beaucoup plus Claude François.
Vers la fin de la troisième bière, alors que Stéphane commence à se détendre, convaincu qu’au final il pourra laisser la soirée s’écouler simplement en buvant de la bière et à commenter la performance vocale des convives, il est brusquement rappelé à l’ordre.
« C’est à toi Stéphane ! » lui dit Mathilde.
« Non franchement Mathilde, je le sens pas ». Mathilde insiste, plisse ses petits yeux, croise ses mains au-dessus de la poitrine pour le supplier, fait des petits sauts sur place, elle n’a visiblement jamais rien désiré tant que de le voir chanter.
Sans s’offusquer de cette supplique enfantine ni du fait que Mathilde n’en a manifestement rien à foutre de ce qu’il souhaite, lui, Stéphane repense aux fesses de Mathilde, et cède.
Dans la playlist qui lui est présentée, il choisit le truc le plus rock qui y figure, « Bohémian Rhapsody » de Queen.
Stéphane se racle la gorge et se lance en essayant de convoquer tout ce qu’il a de Freddy Mercury en lui, les dents en avant, peut-être.
Stéphane essaie de lâcher prise et se retrouve à sa grande surprise assez heureux de ce qu’il entend. Il jette un coup d’oeil à Mathilde, qui est en train de rigoler avec un grand type à côté.
Quoi, mais elle m’écoute même pas, j’hallucine. Mathilde, ayant aperçu le coup d’oeil de Stéphane, lui lance à son tour un regard tendre mêlé d’une certaine pointe de compassion. A priori, Mathilde ne voit pas beaucoup de Freddy Mercury en lui, à part peut être les dents aussi.
Stéphane essaie de rester concentrer, il ne va tout de même pas arrêter de chanter maintenant. « I’m just a poor boy, nobody loves me ».
Stéphane sent la colère monter en lui. Elle se paye ma tête en fait.
Il décide de ne plus regarder Mathilde jusqu’à la fin de la chanson, mais croise alors le regard de Karine qui, étrangement, a l’air drôlement aimantée par l’interprétation de Stéphane.
Elle lui sourit, puis s’en va vers la cuisine.
« Nothing really matters to me… »
C’est la fin de la chanson, Stéphane s’en va vers la cuisine, en suivant une autre paire de fesses.
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