Chapitre 12 - Antoine

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Le parquet craquait sous ses pas comme s’il hurlait doucement. Antoine tenait une lampe torche à la main, ses doigts crispés sur la poignée. Zoé marchait devant lui, pieds nus, un châle serré autour des épaules. Le silence était pesant, dense, presque poisseux. Clara dormait profondément à l’étage, après s’être évanouie dans leurs bras.

Mais ils le savaient tous deux : quelque chose veillait toujours.

La pièce des messages était dans l’aile nord, là où l’air était plus humide, plus froid, comme si les murs transpiraient un souvenir trop lourd à porter. Zoé ouvrit lentement la porte. La torche balaya la pièce.

Et ils s’arrêtèrent net.

Le sol était recouvert de feuilles volantes, d’anciennes photos en noir et blanc, et de morceaux de papier jauni, comme tombés du plafond ou expulsés d’un tiroir jamais ouvert. La craie, elle, avait continué à s’exprimer toute seule.

Sur le mur d’ardoise, de nouvelles phrases apparaissaient, griffonnées dans une main tremblante mais rapide :

« Je suis toujours là. »
« Il faisait nuit. Ils hurlaient. Elle riait. »
« Emile ne parlait pas. Il nous regardait partir un par un. »
« Elle nous dévorait le nom. »
« Elle m’a cousu les yeux. »

Antoine sentit son estomac se retourner.

Il se pencha vers les photos. Certaines montraient une cour d’école. D’autres, un dortoir aux lits métalliques, dans une ambiance ancienne — des années 50 peut-être. Des enfants y posaient, certains souriaient… d’autres étaient flous, comme si l’appareil ne les avait pas saisis correctement. Et sur trois d’entre elles, un visage était griffé, gratté, jusqu’à l’effacement. Une silhouette féminine, longue robe noire, à l’arrière-plan.

— « Regarde celle-là, » souffla Zoé, à genoux.

Elle lui tendit une photo où un groupe d’enfants formait un cercle… au milieu duquel se trouvait un garçon au regard fixe, figé. Son nom, écrit à l’arrière au stylo :

Émile Martelly — année 1957.

Antoine sentit son cœur s’accélérer.

Zoé, blême, regardait les mots apparaître, un à un, derrière lui. La craie continuait d’écrire, comme si elle obéissait à une main invisible.

« Clara ne devrait pas rester ici. »
« Tu m’as réveillée. Maintenant tu dois voir. »

Puis, sous leurs yeux, une dernière phrase s’écrivit à toute vitesse, comme projetée violemment sur le mur :

« Regarde sous les lattes. »

Ils se figèrent.

— « Quoi ? » murmura Zoé.

Antoine balaya le sol de la lumière. Il y avait effectivement une latte plus claire que les autres, vers le coin de la pièce, légèrement soulevée. Il s’en approcha, s’agenouilla, prit une profonde inspiration, puis inséra un couteau pour la soulever.

La latte grinça.

Sous le plancher… il y avait un petit coffre en bois noirci, rongé par l’humidité.

Il l’ouvrit doucement.

À l’intérieur : un petit livret couvert de cuir, des dents d’enfant attachées par un fil, et une photo déchirée en deux, dont l’autre moitié semblait perdue. On y distinguait un début de sourire… et un long bras noir, posé sur une épaule enfantine.

Zoé recula, les mains sur la bouche.

— « On est tombés dans quelque chose qui nous dépasse. Antoine… »

Il ne répondit pas tout de suite. Il fixait la photo, fasciné malgré lui.

Puis il dit, d'une voix basse :

— « C’est elle. C’est la femme en noir. Elle se nourrit de la peur, des enfants… Et elle est encore ici. »

Antoine s’installa au sol, le carnet de cuir posé entre ses genoux. Zoé, encore tremblante, était assise à côté, la lampe torche braquée sur les pages.

Le cuir était craquelé, l’odeur de moisi et de cire froide s’en échappait. En l’ouvrant, une page tomba au sol : un dessin d’enfant, grossier, fait à la craie noire. Une silhouette immense, toute en longueur, avec des bras démesurés et des yeux comme deux points blancs au milieu d’un visage sans contours. Des enfants aux bouches barrées d’un "X" l'entouraient. L’un d’eux, sans "X", était isolé dans un coin : Émile.

Antoine tourna les pages. Une écriture d’enfant.

« Elle vient la nuit. Elle nous prend un par un. Elle n’a pas d’ombre, pas d’odeur. Mais elle regarde tout. »
« Maman a dit que c’était un cauchemar. Mais je n’ai pas rêvé. Elle m’a pris la main. Elle était froide comme la neige. »
« J’ai vu Jeanne disparaître dans le mur. Elle criait, mais personne n’a entendu. »

Zoé resserra son châle. Sa voix était un souffle :

— « C’est le journal d’Émile… Mon Dieu. »

Une autre page. Des taches brunâtres, comme du sang ancien, barbouillaient les lignes.

« Elle a dit que j’étais différent. Que je pouvais regarder. Mais pas parler. Alors elle ne m’a pas cousu. »
« Je ne veux pas devenir comme elle. Je ne veux pas… »

Et soudain, un coup violent retentit, juste derrière la cloison. Le mur vibra, secouant la poussière du plafond. Zoé se redressa d’un bond, le cœur battant.

— « C'était quoi ?! »

Antoine éteignit la torche. Silence.

Puis, un chuchotement, très léger, grinçant, comme venu d’entre les murs. Une voix d’enfant. Plusieurs, même. En écho.

« Elle est dans les murs… »
« Elle n’aime pas qu’on lise… »
« Elle a faim… »

La torche s’éteignit toute seule.

Un grincement strident, semblable à un rire déformé, traversa la pièce depuis le plafond.

Antoine alluma son téléphone : plus de batterie.

Zoé tenait la craie, à genoux, comme poussée à écrire. Sa main bougeait sans qu’elle ne semble totalement consciente de ses gestes. Les lettres jaillirent sur l’ardoise :

« Elle est là. »

Un fracas terrible ébranla la maison entière. À l’étage, Clara hurla.

Antoine attrapa Zoé par le bras.

— « Viens. Maintenant. »

Ils sortirent de la pièce à toute vitesse, remontant l’escalier alors que des voix d’enfants montaient des murs, toutes chevauchées par un rire de femme guttural, profond, comme une marée noire s’échappant d’un puits.

Ils trouvèrent Clara, debout sur son lit, les yeux écarquillés, le regard vide, fixant un coin sombre de la chambre.

Elle pointa du doigt.

Et murmura :

— « Elle est dans la maison. »

La porte d’entrée était devant eux, immense et familière — mais elle ne s’ouvrit pas. Antoine tira, poussa, mais le verrou semblait scellé, comme soudé par une force invisible.

Zoé se mit à fouiller frénétiquement dans ses poches, dans son sac, le souffle court. Le rire, ce rire de femme — profond, sourd, guttural — se rapprochait, envahissant la maison d’une aura suffocante.

« Les clés, où sont les clés ? » cria Zoé, la voix tremblante, cherchant partout, au sol, sur le meuble, dans la poche de Clara.

Soudain, sa main toucha du métal froid. Une clé, accrochée à un vieux porte-clés en cuir, gisait sous la table. Elle la saisit, mains tremblantes.

  • « Vite, Antoine ! » appela-t-elle.

Elle inséra la clé dans la serrure, tournant lentement, tandis que le rire gagnait en intensité, comme si la maison elle-même expirait dans un grondement sombre.

Le verrou céda enfin. La porte s’ouvrit sur la nuit glaciale.

Ils s’élancèrent dehors, respirant l’air frais avec un soulagement immédiat.

Mais Clara, en sortant, s’arrêta, le regard fixé sur la maison.

Puis un sourire étrange, froid, fendit son visage d’enfant.

Elle fit un geste lent de la main, un signe doux et presque rassurant :

« À bientôt. »

Antoine frissonna, mais il attrapa la main de Clara et emmena Zoé vers la voiture.

Ils démarrèrent, s’enfonçant dans la nuit.

Les phares transperçaient le brouillard alors qu’ils roulaient vers l’hôtel d’Antoine, laissant derrière eux la maison maudite.

Une fois arrivés, ils s’installèrent dans la chambre aux murs blancs, loin du bois craquant et des voix étouffées.

Zoé regarda Clara, qui restait silencieuse, immobile.

Plus un mot, plus un souffle.

Le poids de la nuit semblait s’être logé dans son regard.

La chambre d’hôtel était modeste, mais confortable. Les murs crème paraissaient presque étouffants après la froideur de la maison de Zoé. Une lampe posée sur la table de chevet diffusait une lumière chaude, tamisée, qui jetait des ombres dans les coins. Une légère odeur de vieux bois et de poussière mêlée à celle du café qu’Antoine avait apporté flottait dans l’air. Sur le lit, Clara dormait, allongée sur le dos, son visage pâle paisible, mais étrangement figé, comme si une partie d’elle s’était retirée.

  • Zoé s’installa sur le fauteuil face au bureau où Antoine avait posé son ordinateur portable. Elle jouait nerveusement avec les manches de sa veste, le regard fuyant.
    « Je… je suis désolée, Antoine. Je ne voulais pas te tenir à l’écart, mais… » Elle avala difficilement sa salive. « J’avais peur de ce que ça pouvait signifier. Peur de ce que j’aurais pu réveiller. »
  • Antoine la regarda avec douceur, conscient de l’épuisement et de la peur qui se lisaient sur son visage.
    « Je comprends, Zoé. C’est normal d’avoir peur. Mais c’est plus dangereux encore de rester seule avec ça. Tu n’as pas à porter ce poids toute seule. »
  • Il ouvrit lentement son ordinateur, allumant l’écran. Le faible bourdonnement du ventilateur s’ajoutait au silence qui les enveloppait.
    « J’ai trouvé un forum. Un lieu où d’autres personnes ont parlé de phénomènes étranges liés à cette maison, et surtout à cette ‘Dame du Pallier’. »
    Il fit défiler les messages, certains témoignages décrivaient une silhouette féminine, insaisissable, aux traits changeants, à la fois humaine et autre chose.
    « Elle n’est pas tout à fait humaine, dit-on. Une présence ancienne, presque spectrale, mais aussi… palpable. »
  • Zoé fronça les sourcils.
    « Une sorte de fantôme ? »
  • Antoine secoua la tête.
    « Non, pas juste un fantôme. Quelque chose de plus… organique, presque vivant, mais pas comme nous. Une entité qui cherche à se maintenir en vie. »
  • Il montra une capture d’écran.
    « Elle cherche une âme. Pas n’importe laquelle : une âme d’enfant, pure. Une sorte de rituel pour retrouver sa jeunesse et son pouvoir. »
  • Zoé sentit un frisson lui parcourir l’échine.
    « Alors… tous ces enfants disparus, ce n’est pas juste une légende ? »
  • Antoine haussa les épaules, l’air grave.
    « Non, ce sont des victimes. Cette femme les emprisonne, les torture, et leur vole peu à peu leur vie. Les rares survivants parlent d’horreurs indescriptibles. »
  • Zoé détourna le regard, serrant les mains sur ses genoux.
    « Clara… je ne peux pas la perdre. »
  • Il posa une main rassurante sur son épaule.
    « On va tout faire pour la protéger. On doit comprendre comment elle opère. »
  • Zoé releva la tête, déterminée malgré la fatigue.
    « Il faut trouver un moyen de l’empêcher d’attraper d’autres enfants. »
  • Antoine acquiesça, le regard durci par la résolution.
    « Et garder Clara à l’abri. Pour l’instant, elle ne parle plus. C’est peut-être un signe qu’elle résiste encore. Mais ça ne durera pas. »

Ils restèrent un moment silencieux, écoutant seulement le souffle régulier de Clara, entrecoupé du tic-tac lointain d’une horloge dans le couloir.

  • Zoé murmura enfin, la voix tremblante :
    « Je n’ai jamais cru aux fantômes. Mais maintenant… je ne sais plus quoi penser. »
  • Antoine lui sourit doucement,
    « Ce n’est plus une question de croire. C’est une question de survivre. »

Le silence dura encore un instant, puis Antoine referma doucement l’ordinateur et posa ses mains sur le bord du bureau, comme pour s’ancrer.


  • « Il va falloir agir vite. Si cette femme cherche des âmes d’enfants, Clara est en danger. »

Zoé hocha la tête, la mâchoire serrée.
« Mais comment ? On ne sait même pas où elle se cache vraiment dans cette maison, ni comment la combattre. »

  • Antoine prit une profonde inspiration.
    « On va commencer par sécuriser la maison, installer des protections — des détecteurs, des caméras si possible. Et surtout, garder Clara toujours avec nous. Pas question qu’elle soit seule une seconde. »
  • Zoé fronça les sourcils, anxieuse.
    « Et si… si cette chose peut passer à travers les murs ? »
  • « Alors on devra trouver des objets ou des rituels qui la repoussent. » Antoine chercha dans ses souvenirs. « Dans les témoignages, il est question d’anciennes prières, des signes, peut-être quelque chose lié à la craie blanche que tu as utilisée. »
  • Zoé acquiesça doucement.
    « Oui… je continuerai à communiquer avec Émilie, si je peux. Elle semble vouloir nous aider. »
  • Antoine sourit, presque soulagé.
    « C’est une bonne chose. Toute information sera précieuse. »
  • Il posa un regard protecteur sur Clara, qui dormait toujours, calme mais silencieuse.
    « On doit aussi penser à toi, Zoé. Tu ne peux pas tenir ce combat toute seule. »
  • Elle détourna le regard, la voix presque brisée :
    « Je n’ai jamais été seule avant… Mais maintenant, je me rends compte que j’en ai besoin. De toi. »
  • Antoine hocha la tête, une détermination nouvelle dans les yeux.
    « On va s’en sortir. Ensemble. »

La chambre d’hôtel d’Antoine était modeste, mais chaleureuse. Un lit large, recouvert d’une couette aux teintes écrues, trônait au centre, bordé d’une petite table de chevet où une lampe diffusait une lumière douce et tamisée. Sur le mur, une étagère basse supportait quelques livres usés et un carnet à moitié rempli. L’air était chargé d’une légère odeur de café, persistant du matin, mêlée à celle d’un vieux bois.

Zoé s’assit sur le bord du lit, les mains serrées dans son manteau. Antoine fit quelques pas vers la fenêtre, regardant les rues calmes de la ville noyée dans la nuit. La pluie fine tambourinait contre les carreaux, ajoutant une note mélancolique à ce moment suspendu.

  • « Alors, on commence par quoi ? » demanda Zoé, la voix hésitante.
  • Antoine se retourna et sourit légèrement, comme pour lui transmettre un peu de force.
    « On va d’abord installer des capteurs aux entrées, aux fenêtres. Je connais un gars qui peut nous prêter du matériel discret, des caméras de surveillance miniatures, des détecteurs de mouvement. »
  • Zoé hocha la tête, soulagée.
    « On ne pourra plus jamais dire que la maison est un sanctuaire pour elle. »
  • Il s’approcha d’elle, posant une main rassurante sur son épaule.
    « Exact. Et puis, on fera des rondes régulières, surtout la nuit. On ne laissera plus Clara seule. »
  • « Elle ne parle plus, tu sais… » murmura Zoé. « Elle est là, mais absente, comme si elle était enfermée ailleurs. »
  • Antoine fronça les sourcils, préoccupé.
    « C’est pour ça qu’on doit agir rapidement. Il faut aussi qu’on trouve un moyen de la faire sortir de cette emprise. »
  • Zoé regarda son carnet ouvert sur la table, où quelques inscriptions en craie blanche étaient encore visibles.
    « J’ai lu sur un forum qu’il existe des prières anciennes, des exorcismes adaptés aux cas où l’entité cherche une âme pour renaître. »
  • Antoine prit le carnet et l’examina.
    « On va contacter un prêtre expérimenté, quelqu’un qui connaît ce genre de phénomènes. Pas un simple curé de village, mais un vrai exorciste. »
  • Zoé respira profondément, cherchant le courage.
    « J’ai peur, Antoine. J’ai peur de ce qu’on va trouver là-bas. »
  • Il s’agenouilla devant elle, la regardant droit dans les yeux.
    « Moi aussi. Mais on ne peut pas rester les bras croisés. Pas après tout ce qu’on sait. On protège Clara. Et on détruit cette chose, une bonne fois pour toutes. »
  • Elle sourit faiblement, rassurée par sa détermination.
    « Merci d’être là. »

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