Journal d’une disparition douce

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Retrouvé abandonné sur le quai 3, gare du Nord.
Un carnet en tissu bleu fané, une mèche de cheveux noirs, rien d’autre.
Elle l’a trouvé en s’asseyant sur un banc, juste avant le premier train.
Elle ne cherchait rien.
Et pourtant, en ouvrant le carnet, quelque chose en elle s’est arrêté.
Comme si ce journal n’attendait qu’elle.


✿⁠✿⁠✿✿⁠  



23 juin :
Je ne sais plus si j’écris pour me souvenir ou pour m’effacer. Ce matin, je me suis réveillée avec ce poids étrange sous la peau, comme si quelque chose en moi essayait de glisser hors du monde. Je ne suis pas triste. Juste…ailleurs. Éloignée de moi-même, comme si je flottais en marge de ma propre histoire. J’ai mis l’eau à bouillir. J’ai attendu qu’elle crie.
Le mur me regardait. J’ai cligné des yeux. Il était toujours là. Moi aussi.


26 juin :
Je me répète un mot comme un sortilège : "bientôt". Bientôt je partirai. Bientôt je n’aurai plus de nom. Bientôt je ne serai plus cette version de moi, celle qui baisse les yeux, qui dit pardon pour exister. Mais ce bientôt se désagrège à force d’attendre. Je vis une vie suspendue. Une existence en veille. Je suis fatiguée d’occuper une place qui n’est plus la mienne. Fatiguée de survivre dans une peau qui ne raconte plus rien de vrai.


27 juin :
J’ai retrouvé une mèche de mes cheveux, nouée dans du fil rouge. Je ne me souviens pas de l’avoir coupée. Mais je sais que c’était moi. L’autre moi. Celle qui croyait qu’en sacrifiant des bouts d’elle-même, elle deviendrait plus légère. Je l’ai tenue dans la paume, comme une preuve. Une tentative de disparition douce. Et j’ai pleuré. Pas pour ce que j’ai perdu. Mais pour ce que je n’ai jamais osé vivre.


1er juillet :
Le miroir de la chambre s’est fendu ce matin. Une ligne fine, presque élégante, qui coupe mon reflet en deux. Une cicatrice dans le verre. J’y ai vu une fracture, mais aussi un passage. Peut-être que cette fissure est une ouverture. Peut-être que je peux glisser de l’autre côté.


5 juillet :
J’ai acheté un billet sans destination.
Le guichetier m’a demandé : Où voulez-vous aller ? Je n’ai rien répondu. Il a dû me prendre pour une folle. Et peut-être que c’est réellement le cas. Je ne veux pas aller quelque part. Je veux m’effacer du regard des autres. Je veux recommencer. Pas au début. Mais autrement.


7 juillet :
J’ai commencé à écrire la lettre. Celle qu’on ne lit qu’une fois. Une lettre d’adieu à celle que j’étais. Pas une mort. Une mue. Les mots me sont venus doucement. Pas de colère. Pas de plainte. J’ai compris que ce que je fuyais, ce n’était pas le monde. C’était moi, dans ce monde-là.


12 juillet :
J’ai glissé la lettre derrière le miroir.
Là où elle restera, si personne ne regarde de trop près. Je pars demain. Je ne prends que ce que je suis prête à perdre. J’abandonne un nom, des souvenirs, un silence trop lourd. Et peut-être, dans ce vide, quelque chose de neuf pourra pousser.


15 juillet – Lisbonne
Il pleut. Les pavés reflètent la lumière comme des fragments de miroir. Je marche sans carte. Les rues m’adoptent sans poser de questions. Personne ici ne connaît mon histoire. Et pour la première fois, cela ne m’effraie pas. Je suis libre. Pas complètement. Pas encore. Mais quelque chose en moi s’est remis à respirer. L’ancienne moi murmure encore parfois. Mais je ne fuis plus. Je l’écoute. Puis je lui dis doucement : c’est fini. Tu peux dormir.


(Dernière page – aucune date)
Si tu trouves ce carnet, brûle-le. Et ne cherche pas à me retrouver. Je suis partie, oui. Mais pas pour disparaître. Je suis partie pour naître ailleurs. Je suis encore cabossée, incertaine. Mais plus légère. Plus vraie. Le miroir s’est fendu. Et cette fois, ce n’était pas une fin. C’était une porte.

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