“Les anciens écrits disent que Eä est une création des Grands Anciens et que chacun d’entre eux, non seulement créateur du ciel, de la mer et des étoiles, ont aussi créé les premiers Eäniens. A chaque Grands Anciens incombait de donner naissance à une civilisation qui allait peupler la Création pour ensuite prendre son destin en main : grandir, prospérer ou disparaître. Anwë créa les Humains alors que sa sœur, Tinwë créa les Eldars. Morwë insuffla la vie aux Throd quand Tryphë donna naissance aux Loxoniens. Il en fut de même pour les Nézumi, les Tengus, les Tauriens ou encore les Gatians. A chacun d’y aller de sa propre fantaisie en donnant une forme particulière, des talents innés... Une naissance divine. Et puis vint les Rhaxien, créations du si discret Briwë, divinité des pierres et de la terre... Nous sommes peut-être remontés un peu trop loin dans l’histoire qui nous intéresse, j’en conviens mais c’est nécessaire pour comprendre cette société si particulière. Car si Briwë était une divinité discrète et peu remarquée, il a su insuffler en ses petits protégés toute la hargne et le caractère qu’il aurait voulu posséder. En plus d’être aussi solide qu’un rocher de basalte, les Rhaxien se sont imposés au fil des siècles, comme les combattants par excellence d’Eä. Les mauvaises langues, diront des “brutes” voir des “barbares” et ils n’auraient pas tout à fait tort. Les Généraux eux savent qu’avoir un bataillon de Rhaxien de son côté, c’est une victoire assurée. Dans d’anciennes chansons, on parle des Rhaxiens comme des Rhinoriens ou Rhinocéros, un terme Humain ancien peu usité de nos jours.

C’est dans ce monde ponctué de nombreux conflits et affrontements qu’est né, Lars Therindor. Vous voyez ? On y arrive. Notre ami est né au sein d’un des nombreux clans qui composent la société de Rhaxa – leur territoire -, celui de la Lune. Il est même le fils aîné du chef de clan, celui qui serait appelé à prendre la relève si tant est qu’il en soit digne. Son frère cadet s’appelle Kotan, mais c’est une autre histoire. Or donc, chez les Rhaxien, chaque clan possède une spécificité bien particulière dans le domaine martial, une arme de prédilection qui agit comme une sorte de marque de reconnaissance. Très tôt, le jeune Lars apprend la voie du marteau de guerre et c’est ce que vous voyez là, posé contre la table. C’en a écrasé des crânes et enfoncé des plastrons, je vous le dis !
Chut ! Ne parlez pas trop fort, il pourrait vous entendre !

Comme tous les Rhaxien, il possède une musculature imposante autant en hauteur qu’en largeur. C’est qu’il doit bien mesurer ses deux mètres trente le bougre pour quelques deux quintaux si l’on oublie l’armure lourde qui lui serre de seconde peau. En parlant de peau, elle est épaisse, un cuir que les flèches classiques ont bien du mal à percer et grisâtre, presque blanche. Je sais ce que vous allez me demander : Qu’en est-t'il de ces cornes ? J’allais y venir. C’est un peu à cela que l’on sait différencier un Rhaxien d’un Taurien ou encore d’un troll. Sur leur mufle allongé, tous possèdent une paire de cornes ou plutôt, de défenses. La première est plus petite que l’autre qui peut mesurer jusqu’à au moins vingt centimètres. Ne dites pas ce que je vais vous dire là, mais les mages raffolent de ce genre d’ingrédients pour leur mixture dont je vous laisse imaginer les effets. Cependant, n’est pas né celui qui voudrait prendre la corne d’un Rhaxien sans y perdre la vie.

Les nombreuses cicatrices que son harnachement de cuir et d’acier laisse entrevoir sont les vestiges de ses combats passés. Une sorte de curriculum vitae si vous voulez car je connais l’histoire de chacune d’entre elles et elles sont toutes plus épiques les unes que les autres. Avez-vous remarqué celle qui lui barre le visage de l’œil gauche à la mâchoire ? Un griffon royal messieurs, rien que ça ! La créature terrifiait la région de Loxonie, il s’en est chargé contre une somme rondelette mais y a perdu un œil au passage. Cela ne l’empêche pas de pouvoir encore affronter stryges, naga et autres liches si le contrat est intéressant. Efficacité garantie !

Pourquoi donc un héritier d’un chef de clan se retrouve mercenaire ? Très bonne question mon cher ami ! Quelle tragédie aussi mais ainsi va la vie chez les Rhaxiens. Lars était jeune, trop confiant aussi quand il a dû affronter son propre oncle candidat à la succession. Car oui, hériter n’est pas une certitude chez eux, la force elle... l’est. Ce jour-là, Therindor ne le fut pas assez pour prendre le dessus sur un guerrier si puissant que Tregor Main-Noire et comme le veut la tradition, il fut exilé de son clan, condamné à la pénitence sur la Voie De Briwë. Devoir montrer au Grand Dieu qu’il est reste digne d’être son fils. Un voyage initiatique qui aura forgé notre ami pour en faire ce qu’il est devenu aujourd’hui : le meilleur mercenaire d’Eä.”

Derrière la tablée, le colosse se lève. Une main large possédant quatre doigts s’empare du marteau de guerre qui pourrait faire le poids d’un homme. L’armure d’acier peinte de rouge et d’or par-dessus laquelle est passée un épais manteau de laine noire bordée d’un col de fourrure cliquète des brassards aux tassettes. Les plus observateurs pourront remarquer deux dagues de chasse au ceinturon aussi grande qu’un avant-bras. Le pas lourd, le mercenaire quitte la pièce non sans laisser un cerf d’or sur le comptoir du tavernier qui n’a pas l’habitude d’un tel silence dans ses murs. Lars franchit la porte laissant entrer un froid glacial pour disparaitre vers les écuries. Il préfère dormir ici plutôt que dans une chambre bien trop exiguë pour lui. Et puis il a l’habitude.

— Alors ? Gronde t’il d’une voix caverneuse aux accents gutturaux de sa langue natale.
— 250 cerfs d’or pour les escorter jusqu’à Hysmer ! C’est t’y pas beau l’ami ? Dit une voix plus mélodieuse et enjouée.

Se tenait là, le conteur. En réalité, un ami et le seul. Celui qui sait vanter ses mérites autant que récolter la monnaie. Dans sa paume il fait sauter la petite bourse qu’il envoie vers le Rhaxien. Elle parait minuscule dans sa main et elle disparait dans sa besace.

— On part à l’aube dans ce cas, dit Lars. Ne boit pas trop... Je ne compte pas te porter comme l’autre fois.
— Tu ne ferais pas ça pour ton brave Linar ? Rhaxien de peu de foi ! J’y retourne, je vais entretenir le client. Avec un peu de bol, on aura peut-être même un supplément ? Sifflote l’Eldar, enjoué.

Son ami se contente d’un grognement et s’allonge dans la paille, près des chevaux.

— A l’aube, Linar... répète t’il pour être sûr.
— Ouais, ouais, ouais ! Dit l’autre, s’éloignant déjà vers la taverne.