Chapitre V - Une journée d’Elythria

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Le matin s’ouvrit par le chant des coqs et le tintement clair des cloches suspendues aux ruches. Le soleil se levait à peine derrière les collines quand Yannis, douze ans, sortit de la maison familiale. Ses cheveux noirs étaient encore ébouriffés de sommeil, mais ses yeux pétillaient déjà d’une énergie indomptable.

Gabriel, invité par Mira, l’attendait sur le seuil.
— Aujourd’hui, tu suis Yannis, dit-elle. Pas comme un maître, pas comme un juge. Comme un témoin. Ici, nous croyons que la vérité d’un système se lit dans une journée d’enfant.

6h00 — L’éveil et le rituel

Yannis commença par descendre vers la plage. Avec une dizaine d’autres enfants, il courut le long de la grève, pieds nus, sous l’œil d’un adulte qui chronométrait. Pas de cris, pas de sifflets : seulement un rythme imposé.
À la fin de la course, chacun plongea dans la mer glacée, puis revint se sécher autour d’un feu. L’adulte prit la parole :
— Aujourd’hui, vous devez donner une intention à votre journée. Pas un souhait, pas un rêve. Une intention claire.
Yannis leva la main.
— Comprendre le miel.

Gabriel fronça les sourcils. Le surveillant hocha la tête comme si c’était la réponse la plus naturelle du monde.

7h00 — Le repas partagé

Le petit déjeuner fut collectif. Pain encore chaud, yaourt épais, fruits cueillis la veille. Avant de manger, un enfant se leva pour lire à voix haute :
— “Nul ne mange seul. Chacun veille à celui qui est à côté de lui.”
Puis le repas commença. Gabriel remarqua que deux enfants servaient les plats, d’autres nettoyaient. Pas de personnel caché : les rôles tournaient chaque jour.

8h00 — Le cercle d’étude

Dans une salle claire ouverte sur la mer, une vingtaine d’enfants s’assirent en cercle. Un adulte — Sophia — posa une question sur un tableau :
“Pourquoi les abeilles disparaissent-elles ?”
Chaque enfant devait formuler une hypothèse. Yannis, les joues encore rouges de la course, parla d’abord de pesticides, puis de la chaleur. Sophia n’infirma ni n’approuva : elle nota simplement au tableau. Les enfants débattaient entre eux, Gabriel silencieux.
— Ici, expliqua Mira à voix basse, on apprend d’abord à penser ensemble avant de recevoir la réponse.

10h00 — Ateliers pratiques

Yannis rejoignit la maison des ruches. Habillé d’une vareuse, il approcha les cadres, observa les abeilles. Un apiculteur lui montra comment mesurer la santé de la colonie.
— Tu vois ? Si elles dansent vite, c’est qu’elles ont trouvé un champ en fleur.
Yannis souriait, fasciné.
Gabriel songea à ses propres douze ans, aux salles grises, aux heures de mathématiques où il se noyait. Ici, l’apprentissage avait une odeur, une saveur, un rugissement d’ailes.

12h00 — Repas et débat

À midi, les enfants déjeunèrent dans la cour. Après le repas, chacun devait présenter une idée devant les autres : un projet, une solution, un rêve.
Yannis proposa :
— On pourrait construire un abri de bois pour que les ruches restent à l’ombre l’été.
Les autres discutèrent, chiffrèrent, évaluèrent : combien de bois ? combien d’heures ? qui pour le faire ?
Une adolescente conclut :
— Projet validé. Démarrage demain.

14h00 — Voie alternative

L’après-midi, Yannis rejoignit son groupe alternatif : il n’aimait pas les chiffres abstraits. Alors on lui avait donné une autre voie : apprendre les mathématiques par l’agriculture. Ce jour-là, il calcula la quantité d’eau nécessaire pour irriguer un champ de tomates. Les chiffres n’étaient plus des ennemis : ils répondaient à une question concrète.

16h00 — Contribution citoyenne

Chaque enfant devait consacrer deux heures par semaine à une tâche collective. Aujourd’hui, Yannis et trois camarades nettoyaient les berges de la rivière. Gabriel les accompagna. Pas de plainte, pas de “corvée” : seulement des gestes rapides, un chant improvisé.
Un enfant lança :
— Si tu salis, tu répares. Si tu répares, tu appartiens.

18h00 — Cercle du soir

Au crépuscule, les enfants se réunirent de nouveau en cercle. Chacun devait dire si son intention du matin avait été réalisée.
— Comprendre le miel, dit Yannis. Aujourd’hui, j’ai vu qu’il est le travail de milliers de vies. Alors je crois que le miel, c’est la cité.

Gabriel eut un frisson.

20h00 — Veillée

La journée se termina autour d’un feu. Un vieil homme raconta une histoire de pêcheurs crétois disparus dans la brume. Puis une adolescente chanta.
Les enfants s’endormirent par petits groupes, roulés dans des couvertures, le visage paisible.

Gabriel, lui, resta éveillé un long moment. Il se dit qu’il venait de voir en une seule journée ce qu’il avait perdu depuis des années : la conviction que l’éducation n’était pas une cage, mais une route. Une route vers soi-même et les autres en même temps.

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