CHAPITRE 5 :

6 minutes de lecture

 Franchement, je me débrouille plutôt bien. Depuis maintenant huit mois que je survis depuis mon dix-huitième anniversaire où je me suis retrouvée abandonnée. J'ai complètement séché les cours, je suis trop préoccupée par mes problèmes d'appartement. Il faut absolument que j'arrête de me prendre la tête avec toutes ces questions sans fin. Mon choix est simple, et je refuse de me laisser traiter comme une prostituée, à l'image de ma mère. Il faut que j'arrête de me tracasser et que je me concentre sur des problèmes plus urgents. Cependant, je dois encore attendre quelques heures avant de pouvoir manger. En effet, j'ai une faim de loup, un rappel constant des défis quotidiens qui parsèment ma vie en ce moment.

Malheureusement, je repense à ce matin, où je me sentais tout mélancolique, sans trop comprendre comment j'ai atterri dans ce maudit hôtel. Quand c'est l'heure de la pause déjeuner, je me retrouve seule sur un banc, je préfère ne pas penser à tout ce qui m'arrive et aux gargouillements de mon estomac.

Mais, bon, j'en profite pour sortir mon carnet de dessins et observer ce qui m'entoure. Néanmoins, il n'y a personne dehors, sauf un écureuil perché sur une branche. Puis, progressivement, des gens arrivent en groupes, trois mecs discutent dans le parc, et l'un d'eux me mate depuis un banc, il apprécie ma présence. Mais même dans ces moments-là, mes pensées divaguent pendant que je dessine, je perds complètement la notion du temps qui passe. L'heure file à toute vitesse, emportée par mon art, et finalement, je remballe mon carnet. En passant près du groupe de mecs, je ne les calcule même pas, je préfère rester absorbée par mes propres pensées et mes créations artistiques.

De retour en cours, je réussis à garder ma concentration jusqu'à la fin de la journée, mais voilà que je suis convoquée au bureau administratif et cela vient tout chambouler. Forcément, je me pointe à cet entretien en me demandant déjà quel est le motif de cette rencontre. Il va sûrement falloir que j'invente un mensonge bien ficelé pour gagner du temps avec mes factures en retard. La banque, en rajoutant à la complexité de ma matinée déjà bien mouvementée, a bien sûr refusé les paiements. J'avais bien senti que mes appréhensions étaient fondées, mais maintenant, avec un trimestre de retard, je suis à court de mots.

On me donne trois jours pour régler la situation, sinon mon admission à la fac est en danger. Mon boulot de serveuse, qui est ma principale source de revenus, ne suffit pas alors que je travaille uniquement cinq soirs par semaine. Et bien sûr, le salaire de fin de mois ne sera pas suffisant. Bon, je soupire, confrontée à l'ampleur des problèmes financiers qui s'accumulent, sans vraiment voir de solution viable à l'horizon.

Ensuite, je décide de retourner au parc, j'ai un peu de temps avant de commencer mon boulot. Mais même l'envie de dessiner, qui d'habitude me fait tellement de bien, semble m'avoir lâchée. À la place, une sensation familière réapparaît en moi, une chose que je n'essaie pas de repousser : le vide, un sentiment d'absence totale. Je me redresse et tente de chasser cette émotion indésirable, mais elle persiste, tapie au fond de moi, cachée dans l'ombre. C'est une présence sourde et tenace, une compagnie dont je voudrais bien me défaire. Mes pas résonnent d'un rythme résigné alors que je me dirige vers le restaurant dans lequel je travaille. Le poids des épreuves ressemble à charge constante sur mes épaules, une réalité implacable qui ne me lâche jamais. Les rues familières s'étendent devant moi, mais chaque pas parait être une avancée laborieuse dans un monde sur lequel les problèmes sont omniprésents.

Pourtant, malgré ces pensées sombres qui emplissent mon esprit, je continue sur ma lancée jusqu'à ma destination. Comme si mon engagement pour mon travail faisait office de phare dans l'obscurité qui m'entoure. La nécessité de subvenir à mes besoins financiers et de garder une certaine stabilité guide mes pas, même quand le fardeau émotionnel est lourd à porter. C'est là, dans ce restaurant, que je trouve un peu de réconfort en mangeant, même si c'est éphémère. Chaque bouchée est un soulagement momentané, un apaisement des gargouillements incessants de mon ventre.

Ces instants fugaces de satisfaction nourrissent non seulement mon corps, mais également mon esprit, me donnant la force nécessaire pour affronter les prochaines heures de travail et les défis qui vont avec. C'est dans ces petits plaisirs éphémères que je puise la résilience pour continuer d'avancer, même quand la vie essaie de me faire trébucher à chaque coin de rue. Alors que je franchis les portes du restaurant, je me prépare mentalement pour une nouvelle soirée, en espérant que le boulot me procurera un peu de soulagement. Même si les problèmes personnels hanteront encore les coulisses de ma vie. Peut-être que, pour la première fois, je commence d'envisager de demander de l'aide au travail.

C'est une nouvelle idée personnellement, car je ne suis pas du genre à quémander de l'aide, même quand la vie me met dans une position difficile. Mes collègues ont essayé de discuter avec moi, mais je suis restée vague, repliée sur moi-même. La solitude que j'ai cultivée au fil des ans a créé une barrière, compliquant pour les autres de percer ma carapace.

Cependant, dans ma quête de solutions, je me suis dit que je pourrais peut-être prendre une décision un peu folle et sortir de ma réserve habituelle. Probablement que partager un peu de ma charge émotionnelle avec ceux qui m'entourent pourrait me soulager un peu. C'est un pas incertain, mais sûrement nécessaire pour trouver du soutien dans ce monde qui, jusqu'à présent, a semblé bien solitaire. Alors, je lance simplement un petit 

« Salut ».

Je vois mes collègues en train de manger. Je me joins à eux, mais mon patron arrive et me demande de le suivre. Tout à coup, mon repas devient une nouvelle source d'interrogation et de tournant imprévu dans ma soirée, à cause de la situation dans laquelle mon patron m'a convoqué dans son bureau. L'ambiance à table se tend subitement. Les mots de mon patron résonnent dans la pièce, annonçant une nouvelle difficile à encaisser. Même si le client a eu un comportement déplacé, mon patron souligne que ma réaction physique n'est pas acceptable. Malgré les circonstances qui ont conduit à mon geste, j'apprends que je dois quitter mon boulot à cause de l'incident de la veille.

La déception et le choc se lisent sur mon visage, et j'essaie de négocier, de faire comprendre la pression que je ressens. Mais, les mots de mon patron semblent irrévocables. Je baisse les bras, accepte mon chèque et quitte le bureau, en laissant derrière moi un boulot qui représentait bien plus qu'une simple source de revenus. Alors que je franchis la porte du bureau, l'amertume m'envahit. La stabilité fragile que ce boulot me procurait vient de s'effondrer, en ajoutant un fardeau supplémentaire à ma vie déjà tourmentée. Dans un dernier souffle de dignité, je dis simplement 

« Bonne soirée à vous ».

Je tente de dissimuler autant que possible ma déception qui transparaît dans mes yeux. C'est une conclusion amère et inattendue qui vient s'ajouter aux tourments déjà présents dans ma vie, ouvrant la voie à un avenir incertain et précaire. Je ne mettrai plus jamais les pieds dans cet endroit, j'ai besoin de prendre un peu de recul après cette journée catastrophique. Ainsi, je me sens perdue, je pars le ventre vide en regardant le chèque, seulement 150 euros. Par ailleurs, je le range dans mon sac et passe en revue ma journée de merde dans ma tête.

« Se réveiller sans souvenir de la perte de ma virginité ».

« Ne pas savoir à quoi il ressemble ».

« C'est sûr, ce n'est pas un prince charmant, sinon il serait resté avec moi ».

« Il s'est barré avec sa bagnole et le peu d'argent qu'il lui restait ».

« Plus d'apparts dans quelques jours ».

« Plus de taf ».

« La fac ne veut plus de moi ».

« Sauf si je paye avec de l'argent que je n'ai pas ».

La dernière solution qui s'offre à moi, aussi difficile qu'elle soit, c'est de demander de l'aide financière à mon père. Je sais que c'est risqué, compte tenu de notre relation tumultueuse depuis toujours. Mais, ma détresse actuelle m'incite à envisager cette option, même si cela signifie raviver des souvenirs douloureux et franchir des barrières émotionnelles que j'aurais préféré laisser derrière moi.

L'idée de demander de l'aide à une personne qui a coupé tous les liens, les financiers, humains et émotionnels, cela passe mal. Je prends mon portable et compose le numéro de mon père, un geste qui peut être interprété comme un dernier recours. Chaque sonnerie résonne comme un battement d'incertitude dans ma tête, me rappelant l'inconnu qui m'attend de l'autre côté de cette communication potentiellement compliquée.

J'attends avec anxiété, le téléphone collé à mon oreille, me demandant quelle sera sa réaction, s'il va même décrocher. C'est un moment de vulnérabilité où l'espoir et l'appréhension se mêlent en attendant d'entendre la voix de celui qui a été absent de ma vie depuis toujours.

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