Chapitre 2 : Aquarelle et fusain

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   Le soleil avait fait iruption dans sa chambre depuis longtemps lorsque Léa s'extirpa enfin des bras de morphée. Les douces cascades de rayons qui s’infiltraient par les persiennes révélaient par touches les vestiges du cataclysme d’hier. Partout où pouvait se poser le regard, se trouvait éparses des feuilles couvertes de larges traits noirs. Les réminiscences des symboles qui avaient habité Léa jusqu’à tard. Devant le bureau, les lames du parquet s’effaçaient sous les rivages de papier tâchés des symboles heptagonaux. Il lui avait fallu les sortir de son crâne pour enfin lâcher prise ; sans grands succès, car ses rêves furent hantés par ces formes et des éclairs de lumières blanches. À moitié comaté, elle posa le pied sur le sol et fit face aux résidus de son angoisse. Dans son cœur vivait le paradoxe de l’incroyant qui doute à la frontière de son monde : incapable d’expliquer ou de comprendre. A cet instant croire semblait être une option. Croire que le réel n’est pas ce que l’on pense, qu’autre chose se cache derrière. Pourtant, il était encore trop tôt pour se résoudre à cette thèse qui semblait s’acoquiner avec la folie. Léa ne regarda qu’à peine son œuvre et s’enfuit emmitoufler dans un plaid en direction du salon. Là-bas l’y attendait Arthur, levé aux aurores comme à son habitude. Le jeune homme était négligemment affalé sur le canapé, les yeux rivés sur son écran d’ordinateur. Il faillit ne pas remarquer la présence de Léa. Elle avançait à petits pas, avec pour seul objectif de rejoindre la cafetière. Cependant sa quête changea radicalement lorsqu’elle aperçut l’écran du jeune homme :

— Attends tu as récupéré les photos de Tiphaine ! Comment tu as fait ça, il lui faut des plombes pour qu’elle nous les montre d’habitude, le temps qu’elle les bourre de retouche. Fais-moi de la place je veux voir, dit Léa en se laissant tomber lourdement sur le canapé.

— J’ai réussi à lui faucher la carte mémoire de son numérique, mais tu vas être déçue. Depuis une heure que j’épluche toutes les photos, aucune silhouette sombre et franchement aucun des signes étranges dont tu nous avais parlé. Tout m’a l’air de street art tout ce qu’il y a de plus normal.

Arthur passa de longues minutes à décortiquer chacune des photos sous les yeux de plus en plus tétanisés de Léa. Rien. De toute l’horreur qu’elle avait pue ressentir, aucune de ses sources n’avait pues êtres capturés. Elle n’était pourtant pas folle et ce n’était pas son genre d’avoir des hallucinations. Elle n’avait pas bu, pas fumé. Comment un truc comme ça pouvait-il lui arriver ? Elle les voyait : chacun des emplacements qui aurait dû être criblés de symboles, chacune des ombres qui aurait dû dissimuler la silhouette d’un homme. Sa respiration devint soudain haletante :

— On s’arrête là Léa. Écoute-moi, dit Arthur en levant vers elle ses yeux étonnement cerné, tout ce que tu as vu peut-être le fruit de ton imagination. Au début aussi quand je me promenais dans ces lieux j’imaginais des spectres et des fantômes, mais toutes les choses que j’ai rêvé n’était que des délires de jeunes qui s’amusent. Je serais vraiment triste que cette soirée t’ait traumatisée, n’y pense plus tu veux.

Léa s’apprêtait à répondre, à lui dire qu’il se trompait qu’il ne s’agissait pas de délire. Mais soudainement, comme une chape de plomb sur ses pensées, une évidence. De quoi parlait-elle ? De symboles ésotériques, de formes fantomatiques ? Au lieu de protester, elle se tut. Sans preuve ses dires seraient juste vus comme une autre phase délirante. Aussi, Il lui faudrait faire disparaître toutes ses créations avant que ses amis commencent à s’inquiéter. C’est à ce moment de la réflexion que Tiphaine choisit pour faire son entrée, déjà vêtue et coiffée, ses longs cheveux blonds ramassés en une queue de cheval agrémentée de tresses sophistiquées.

— Déjà levés, qu’est-ce que vous complotez tous les deux de si bon matin ?

— Je montrais à Léa le jeu qu’on est en train de coder pour mon projet de fin d’année, dit Arthur en faisant habilement disparaître la carte SD de son pc, d’ailleurs je vais vous laisser discuter entre filles j’ai pas mal de boulot ce week-end.

Personne ne mettait Léa plus mal à l’aise lorsqu’elle voulait dissimuler quelque chose que la présence de Tiphaine. Elle avait cette fâcheuse manie de balayer du regard ses interlocuteurs ce qui ne mettais pas vraiment à l’aise lorsque l’on a des choses à cacher :

— Tout va bien Léa ? Tu ne m’as pas l’air dans ton assiette.

— La soirée d’hier ne m’a pas mal chamboulée, apparemment je suis la seule à m’imaginer des choses, mais je le vis bien t’inquiètes pas. Je vais juste passer à autre chose.

— Arthur n’est pas une référence pour ça, il est toujours super terre à terre, il nous fait vite passer pour des folles avec Magalie, mais ne t’inquiète pas ça n’arrive pas qu’à toi.

Les mots étaient rassurants, mais pas suffisamment pour lui donner l’impression de normalité qu’elle cherchait. C’était ridicule de se prendre autant la tête pour une aventure d’un soir. Il lui fallait passer à autre chose, se changer les idées. Léa prit son carnet à dessin, un porte-mine et fila dans les rues d’Aix-en-Provence. À ses yeux aucune autre ville ne pouvait lui permettre de s’approcher autant de son idéal : la première et dernière demeure de Paul Cézanne et de biens d’autres artistes. La jeune femme ne pouvait s’empêcher d’admirer cet homme malgré le fait que beaucoup de ses camarades lui préférait des peintres moins connus, sans doute pour affirmer leur différence. La vivacité de ses aquarelles la fascinait et s’est avec l’optique de réaliser le tracé préalable à l’une des siennes qu’elle errait dans le centre-ville. Les couleurs automnales commençaient à poindre çà et là. Les quelques arbres qui habitaient la ville perdaient doucement leurs feuilles. Dans le centre-ville, là lumière se faisait plus froide et affadissait le teint habituellement chaud des maisons ocre. Mais peu importait tous ces changements, ce matin seuls les traits comptaient. Léa s’assit sur un petit escalier qui servait d’entrée à un immeuble crasseux. Traînait dans ce coin de rue une poubelle accompagnée de ses traditionnels cartons et de son micro-ondes usagé. Posé à côté, un pot de fleur solitaire s’épanouissait avec insolence dans une raie de lumière qui arrivait tout juste à s’introduire dans la ruelle. Léa s’apprêtait à dessiner ce curieux tableau quand à côté elle le vit : un pauvre antivol, abandonné sur une barrière rouillée. C’était lui qu’elle avait choisi comme sujet.

Il fallait d’abord dessiner les formes, grossièrement, délimiter les volumes, puis les ciseler jusqu’à la perfection ou que mort s’en suive. Pour le moment, Léa n’était jamais parvenue à aucune de ces deux extrémités, mais l’une se faisait de plus en plus probable. L’année dernière avait été éprouvante. Son école ne lui avait laissé aucun répit. Est-ce que tous ces efforts en valaient la peine ? se demanda-t-elle. Tout ça pour une vie précaire, soumise à une épée de Damoclès soutenue par le seul fil de son inspiration. Son chignon fait à la va-vite devenait de plus en plus chaotique au fur et à mesure que son dessin avançait. À tel point que ses longs cheveux noirs finirent par tomber en mèches rebelles autour de son visage. Parfois quelques personnes passaient dans la ruelle pour filer au travers d’une autre fine et étroite qui s’ouvrait dans un angle. D’abord épars, les quelques passages se firent plus intenses avec le zénith. Il faut dire qu’étonnement ces badauds avaient un certain style. Léa le remarqua avec le passage d’une jeune femme transportant sur son dos une sorte de sac rectangulaire fait de bois et recouvert d’une multitude de tiroir. Elle était vêtue de vêtement usé, mais à l’aspect solide qui lui donnait des airs de baroudeuse. Quand elle la regardait, la jeune artiste imaginait une voyageuse sortie d’un autre temps, vivant une vie de route. Cette idée l’effrayait autant qu’elle la faisait rêver.
Cette vision fugace plus à Léa qui tourna sa page pour croquer jeune femme cette avant que son souvenir ne s’estompe. En tout cas c’est ce qu’elle entreprit de faire lorsque son téléphone sonna, c’était Magalie :

— Tout va bien Léa ? Tu manges dehors aujourd’hui ?

— Je comptais rentrer, mais ne m’attendez pas. J’ai oublié le temps qui passe en dessinant.

— On non, c’est moi qui ai cuisiné en plus. Dépêche-toi, on t’attend.

Sur ses mots, Magalie raccrocha aussi sec. Léa plia alors rapidement ses affaires, s’il y avait une chose qu’elle pouvait faire pour énerver Magalie c’était bien de rater un de ses repas. Les colocataires avaient pris l’habitude de manger ensemble le plus souvent possible et en cette période personne n’avait d’autres plans. Sur le chemin du retour, la jeune femme gardait tout de même l’image de cette étrange voyageuse en tête. Tout son attirail sortait vraiment de l’ordinaire et même s’il lui arrivait de croiser des musiciens de rues ou d’autres intermittents aux styles marginaux, elle ne pouvait s’empêcher de penser que cette jeune femme portait sur elle une impression d’étrangeté peu banale. Bien sûr le lien avec les signes ésotériques du château défraîchis apparut dans son esprit, mais elle le chassa avec fermeté. Elle n’allait décidément pas se mettre à trouver des coïncidences bizarres en tout point de sa vie. C’était le premier pas vers la folie, il lui fallait se raisonner. Ce sera bien la première fois qu’elle sera soulagée de retourner en cours, ce week-end avait vraiment une aura désagréable.
Heureusement, le repas en compagnie de ses compères fut aussi distrayant qu’à l’accoutumée. Magalie les noyait dans les anecdotes croustillantes au sujet de ses collègues. Pendant que Tiphaine et Arthur lançaient des piques assassines. Puis lorsque les pâtes au curry furent englouties, tous se posèrent dans le grand canapé d’angle et la discussion se fit plus sérieuse. Ils parlèrent de Jeremy, un de leurs amis communs qui commençait à trouver grâce aux yeux de Magali. Durant toute la discussion, ses pommettes ne cessèrent de rougir et le duo infernal que formait Tiphaine et Arthur s’en donnèrent à cœur joie. Ce petit interlude permit à Léa de souffler au contact de ses amis. Mais une fois les coups de 15 heures sonnées il était temps de sonner la fin de la récréation. Elle avait du travail. Cependant, la jeune femme avait oublié qu’une épreuve l’attendait dans sa chambre. Sur le sol de sa chambre, les heptagones l’attendaient la fixant comme des yeux. D’une secousse de la tête elle évinça toute les pensées parasites qui s’immisçait dans son esprit. La jeune artiste avança sa main vers l’un des symboles, celui représentant un heptagone entier complété d’un point en son centre. Sa main demeura bloquée. À quelques centimètres de la feuille, elle pouvait presque la toucher, la saisir et la froisser ; impossible d’approcher, c’était comme si une force la paralysait. Cette fois-ci, elle cria : « Tiphaine ! ».

Son amie fit irruption dans la pièce, d’abord effarée par l’amoncellement de feuilles griffonnées, elle la tira rapidement en arrière :

— Qu’est-ce que c’est que ça ? Proféra Léa dont l’inquiétude avait rendu le ton dur.

— Ce sont les symboles de la nuit dernière, ils me rendent folle. Je n’arrive pas à les jeter, je n’arrive pas à les toucher, répondit Léa dont le visage trahissait l’apparition prochaine de larmes.

Les émotions lues sur le visage de son amie avaient immédiatement adouci Tiphaine qui se baissa pour attraper les feuilles et les faire disparaître de leurs existences. Alors que sa main s’apprêtait à toucher le symbole, ses sourcils se froncèrent. Durant quelques secondes sa main s’arrêta au-dessus du glyphe. Dans sa tête, ce temps paru durer une éternité. Elle se demanda si toutes les histoires racontées par Léa ne commençaient pas à l’atteindre elle aussi. Dans un effort de volonté, elle parvint à briser sa résistance et comme après avoir brisé une fine vitre de ses doigts, elle saisit les papiers et les froissa avec hâte. Elle ne pouvait s’empêcher de penser que ces symboles n’étaient pas sortis de nulle part et qu’ils exerçaient une étrange influence sur elles.

— Tu l’as senti toi aussi ? osa demander Léa après avoir vu les hésitations de son amie.

— Ouais… J’ai eu du mal à attraper la première comme si mon bras ne voulait pas la toucher.

— Tu l’as senti toi aussi, je ne fonds pas les plombs, ce n’est pas juste dans ma tête ?

— Arrête-toi Léa, dit Tiphaine en posant sa main sur son épaule, ce n’est qu’une sensation, on a eu la même certes, mais on a pu se monter le mou toutes les deux. En plus de ça, c’est parti assez vite et finalement les papiers ont tout de même fini à la poubelle.

Léa s’apprêta à proteste quand son amie s’exclama :

— Attends, si tu veux être sûre de quelque chose, on va vérifier. Arthur, Magalie ! cria-t-elle.

Quelques minutes plus tard, Magalie déboula dans la chambre suivie de près par Arthur. Ils n’eurent même pas le temps de dire un mot que Tiphaine les enjoints à toucher le symbole qu’elle avait préalablement défroissé. Le jeune homme tandis son bras et sans une hésitation le saisi et les apostropha d’un laconique : « et ? ».

Ne sachant pas quoi répondre Léa reprit rapidement la feuille tandis que Tiphaine lui adressa un haussement de sourcil en guise de réponse :

— Ce n’est rien, c’est un des signes que Léa avait vus dans le château. Il nous faisait un drôle d’effet, mais ça ne devait être qu’une impression.

— Clairement, répondit Arthur le sourcil relevé et un sourire moqueur au coin des lèvres.

Il ne prenait pas du tout cette affaire au sérieux et à vrai dire les cernes sous ses yeux bruns indiquaient d’autres problèmes. Sur ces mots tous retournèrent à leurs affaires et Arthur à sa sieste. Léa réussit à travailler un peu. Elle tira un très sur son projet actuel pour se lancer dans un nouveau.

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