La Danseuse sous la Lune

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 Les premiers battements de la batterie retentissent. Je les entends. Bam. Bam. Bam. Bam. Je n'ai pas de cœur, et pourtant j'ai l'impression de pulser en rythme moi aussi. De là où je suis perchée, je ne la vois pas encore, mais je sais qu'elle ne saurait tarder. Je frémis d'appréhension. Bam. Bam. Bam. Bam. Dès que la guitare se met à chanter, une première jambe que ma clarté argentée révèle se faufile par la fenêtre. Bien vite, la deuxième. Je suis heureuse que mes rayons dessinent aussi précisément les muscles qui dansent déjà sous sa peau. La plante de ses pieds nus se pose bien vite dans l'herbe sèche mais douce de cette nuit. Une robe aussi blanche que mon teint redescend sur ses cuisses, elle rejette consciencieusement ses longs cheveux de jais derrière son épaule. Bam. Bam. Bam. Bam. Mon cœur imaginaire suit le rythme avec application, même si de temps en temps, il a envie d'accélérer. Notamment lorsque je redécouvre le dessin de sa gorge pâle qu'elle découvre.  Elle se prépare.

 La guitare accompagne déjà les mouvements qu'elle effectue, lorsqu'elle délie chacun de ses membres pour ensuite leur donner toute la liberté possible. Elle étire patiemment  son dos qu'elle a long, et gracieusement musclé. Elle étend délicatement ses bras, fins, élégants mais que l'on devine forts. Elle détend ses hanches, courbes si harmonieuses et souples. C'est tout son corps qu'elle bouge avec des gestes lents, créant un rythme autre que celui imposé par la batterie, mais non moins fascinant.

  Bam. Bam. Bam. Bam. Le rythme n'en finit jamais, il est entêtant, elle se prépare. Je la regarde, captivée. Mes rayons jouent dans ses cheveux d'obsidienne, et elle renvoie un éclat de pierre précieuse autour d'elle. Malheureusement ce soir, ses yeux sont clos. Je me contenterai donc de l'éclat de ses cheveux. Alors qu'elle se penche, le bout de ses doigts graciles effleure l'herbe presque tendrement. Comment fait-elle ? Elle teinte ses mouvements de la grâce la plus subtile, et je ne crois pas qu'elle en ait conscience. Bam. Bam. Bam. Bam. Bam.

  Il y a ce petit battement en plus. Elle se relève dans une longue expiration qui creuse sa poitrine, et ses cheveux caressent son visage. La guitare reprend de plus belle, et mon cœur imaginaire tressaute. Voilà les premiers mouvements qui naissent de son corps plus céleste que le mien. Elle ondule autant que son être bat au rythme de la batterie, trouvant un équilibre merveilleux. Elle n'hésite pas, jamais. Elle danse. Elle s'offre. Elle s'oublie. Bam. Bam. Bam. Bam.

 Ses cheveux caressent l'air, caressent ses bras, puis l'arête d'un nez qu'elle a fort jolie. Ses muscles forment une danse magnifique et superposée à la sienne, créant de nouvelles courbes sous cette peau d'albâtre. Son corps se crée encore et encore, à chaque nouveau mouvement, il n'est plus le même, et il offre une vision propice à entraîner une nouvelle forme d'apoplexie. Mon cœur imaginaire est soulagé de n'être que fictif. Mais je n'en suis pas moins émue. Elle est belle. Bam. Bam. Bam. Bam.

  Je la jalouse. Du plus profond de mon être de pierre. Elle peut se mouvoir avec une grâce qui ne connaît pas d'égale, et elle s'offre à mes rayons sans jamais me voir. Je l'éclaire, et je l'envie. Quand elle réalise un jeté à couper le souffle, je l'envie. Quand son dos s'arque dans une courbe que l'on peut sans doute qualifier de parfaite, je l'envie. Quand ses lèvres laissent passer un souffle chaud et rapide, je l'envie. Mon cœur imaginaire me fait souffrir tant je souhaiterais être à sa place. Mais je dois me contenter de la regarder de si haut. Bam. Bam. Bam. Bam.

 Moi je suis immobile, et je n'ai en commun avec elle que ma pâleur. Alors je la regarde s'offrir au cieux et se reconstituer à chaque nouveau mouvement. Ses lèvres, qu'elle a d'un délicat rose clair, murmurent quelques fois les paroles que je ne distingue pas, mais c'est une danse que je trouve charmante. Mon cœur s'invente un nouveau rythme, adjacent à celui de la musique qui résonne dans cette nuit calme. Elle danse, encore, et encore. Et jamais elle ne semble s'épuiser ! Ses bras se lèvent, elle tournoie avec une élégance ineffable et sa robe souple suit ses mouvements, accompagnant joyeusement la grâce du corps qu'elle recouvre. Tout n'est que majesté.

 Bam. Bam. Bam. Bam.

  Cependant la musique se termine. Il ne reste que quelques minces coups de batterie. Bam. Bam. Bam. Et déjà ses mouvements ralentissent, et son corps redevient le sien. Mon cœur imaginaire me donne l'impression de se fissurer doucement. Je sais qu'elle reviendra danser sous mes rayons sans savoir que je l'observe, mais quand ?

 Ses cheveux d'un joli noir cessent de virevolter dans les airs pour venir caresser ses épaules et le creux de ses reins, ses bras eux aussi redescendent le long de son corps, et ses jambes se campent de nouveau bien au sol. Immobile, il n'y a que son souffle qui fait encore danser sa poitrine. Je l'envie si fort. Une partie de moi s'éteint lorsqu'elle s'arrête de danser. Je me demande alors qui de nous deux illumine l'autre... Je pensais que c'était moi, je l'éclairai de ma lumière si blanche et faible. Je crois qu'elle a une lumière, elle aussi. Je l'envie.

 Bam. Bam. La batterie s'éteint elle aussi, la danseuse redresse la tête. Un mince sourire décore son visage harmonieux et orne ses lèvres rosées. Mon cœur imaginaire s'éteint doucement. Cependant, elle ouvrit enfin ses yeux et découvrit deux opales aux reflets irisés. Ses deux opales, c'est sur moi qu'elle les posa, m'offrant alors leur clarté et la danse des lumières qui s'effectuaient à l'intérieur. Mon cœur imaginaire recommença à taper en rythme.

 Elle me sourit, et la voilà qui disparaissait de nouveau par sa fenêtre ouverte. La danseuse m'avait vu. Ma pâleur m'en empêchait, mais j'aurais rougi si cela était possible. Bam. Bam. Bam. Bam. Un nouveau rythme naissait en mon sein rocheux. La danseuse m'avait eu et m'avait offert bien plus que les rayons que je lui proposais chaque nuit.

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