9. Sacha

3 minutes de lecture

 Pourquoi je n’ai rien dit ? Pourquoi je n’ai pas rétorqué ? Pourtant, je sais le faire, on me l’a souvent dit, s’il y a bien une chose que je maîtrise, c’est l’art de la parole. J’aurais pu – j’aurais dû – lui renvoyer une saillie bien sentie, bien cinglante, sans me départir de mon ton calme et assuré. Je suis douée là-dedans, normalement. C’est même pour ça que je suis demandée, sur le marché. Pour cette capacité que j’ai à être ferme sans sortir de mes gonds, ce don que j’ai de paraître toujours maîtriser la situation. Et là, face à lui, je n’ai rien répondu, j’ai juste remonté le drap sur mon corps, comme si je voulais disparaître.

 Pourtant, ce n’était pas compliqué de lui montrer à quel point sa remarque était déplacée. Insultante, même. Pour qui me prend-il ? Pour une femme froide et calculatrice ? Ou carrément pour une pute ? Parce qu’il appelle ça comment, lui, baiser en échange d’un service ? Je n’en reviens toujours pas. Comment a-t-il pu penser une seule seconde que j’ai couché avec lui pour qu’il ne pousse pas son enquête plus avant ? Et il me dit ça calmement, en plus, en s’excusant. Je l’entends encore, alors qu’il me caresse l’épaule, me chuchoter à l’oreille : tu sais, ça ne va pas m’empêcher d’écrire un article à charge, ce qui se passe entre nous. Comme si je l’ignorais ! Comme si j’avais prémédité quoi que ce soit ! Je n’ai rien prévu, moi, rien voulu. Je n’ai rien demandé, ça m’est tombé dessus comme on trébuche contre un trottoir. Par inadvertance. Moralité, il faut toujours regarder où on met les pieds.

 Mais qu’est-ce que j’y peux, moi, s’il m’attire comme une dingue ? J’aurais dû m’en tenir à ce que j’avais décidé : ne plus le revoir, après la première fois. Mais je n’ai pas pu. C’est quand même terrible de se laisser guider par ses sens à ce point ! Moi qui me croyais raisonnable, rationnelle ! Qu’est-ce qui m’arrive ?

 Arrête de te poser cette question, ma grande, cesse de faire la mijaurée, tu connais très bien la réponse, tu viens de la donner : tu brûles de désir pour Beaux bras. Tu aurais dû te voir, tout à l’heure : dès qu’il a commencé à approcher la bière de sa bouche, dans son repère de gauchistes, ça t’a donné la chair de poule, ton visage s’est empourpré, tu t’es imaginée à la place de la bouteille. Heureusement qu’il y avait du monde, sinon tu te serais littéralement jetée sur lui dans le café et tu l’aurais violé sur place.

 N'empêche que ça ne m’est jamais arrivé, un désir aussi irrépressible. Et il a fallu que ça tombe sur ce journaliste qui passe son temps à écrire des tirades contre les gens comme moi, c’est bien ma veine.

 Ce qui me rassure, c’est qu’il n’a pas l’air de pouvoir se retenir davantage que moi, en dépit de tous ses principes, à voir la façon dont il a dévoré mes lèvres dans l’ascenseur de l’hôtel. À un moment, j’ai bien cru qu’on allait baiser là, ou dans le couloir, qu’on n’aurait même pas le temps de franchir le pas de la porte. À plus de cent euros la chambre, ça aurait été un comble.

 Cesse d’y penser, ma grande, ça va encore t’exciter, alors que cette fois-ci, c’est décidé, c’est sûr, c’est certain, tu ne reviendras pas là-dessus : c’était la dernière fois. Finalement, c’est très bien qu’il t’ait prise pour une pute : ça te fait une bonne raison pour ne plus jamais le revoir. C’est bien compris ?

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Gilles Panabières ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0