17. Samir

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 Couché sur le côté, Samir contemplait le dos nu de Sacha, éclairé par la lueur de la pleine lune, conséquence de la demande de Sacha, la veille au soir, de ne pas tirer les rideaux : elle voulait le voir pendant l’amour, lui avait-elle murmuré. Il allongea le bras pour sentir le grain de sa peau sous ses doigts, se retint au dernier moment ; il était encore tôt, il ne voulait pas la réveiller. Lentement, il fit glisser un peu plus le drap, jusqu’à ce qu’il distingue la naissance de ses fesses, plaça sa main quelques centimètres au-dessus, assez près pour sentir frémir le duvet de sa peau, assez loin pour qu’elle reste endormie, puis la remonta le long du dos, jusqu’à la nuque, effleura les lèvres entrouvertes d’où s’échappait un souffle tranquille. Ce qu’il sentit en lui, à ce moment précis, ce fut une sorte de plénitude, l’impression de n’avoir besoin de rien d’autre que de Sacha à ses côtés.

 Malheureusement, à ses côtés se trouvait aussi une table de chevet, et sur celle-ci un petit objet rectangulaire qui se mit brusquement à vibrer, à s’allumer, avant qu’une petite musique ne se déclenche. Samir se précipita vers le smartphone pour l’éteindre. L’alarme venait de lui rappeler le principe de réalité : il devait être parti avant le réveil des filles de Sacha, elle le lui avait expressément demandé la veille, lorsqu’elle lui avait proposé de rester dormir dans sa chambre. Elle lui avait dit tu comprends, déjà qu’elles font la gueule les trois quarts du temps, et avait laissé la phrase en suspens. Samir avait bien compris ce qu’elle logeait à l’intérieur de cette ellipse : elle et lui n’en étaient pas encore là. Il en avait éprouvé un léger pincement au cœur, ça ne l’aurait pas dérangé du tout, qu’elle lui présente Bérénice et Camille. Il avait dû se faire violence pour ne pas le lui dire. Il ne s’agissait plus, pour lui en tout cas, d’une simple passade. Ses résistances s’étaient fissurées au moment où il rédigeait son article sur l’entreprise AEF, et la digue s’était rompue les jours suivants, alors qu’il attendait avec fébrilité un signe de Sacha. Beau joueur, il avait alors fini par reconnaître sa défaite sur ses présupposés idéologiques.

 Une fois habillé, chaussures à la main pour ne réveiller personne, il allait s’éclipser de la chambre quand il se ravisa ; il avait cru entendre un bruit, comme le craquement d’un lit ou d’un plancher. L’oreille collée contre la porte, il attendit quelques secondes. Il avait dû rêver, seul son souffle rompait le silence, alors il se décida à sortir. Le corridor fut traversé à pas feutrés. L’escalier qui menait à l’étage inférieur fut descendu sur la pointe des pieds. Tout allait bien, personne n’avait rien entendu. Du moins Samir le crut-il jusqu’au moment où, alors qu’il s’apprêtait à quitter l’appartement, un voix mi-endormie, mi-goguenarde, se fit entendre :

 — Alors, c’est vous, le nouvel amoureux de ma mère ? Elle ne s’emmerde pas, elle s’attaque aux jeunes, maintenant.

 Samir sursauta. Elle se voyait tant que ça, leur différence d’âge ? Combien d’années d’écart avaient-ils d’ailleurs exactement ? Sacha et lui n’en avaient jamais parlé. Mais ce n’était pas le moment de se livrer à ce genre de calcul. Samir se retourna et se trouva face à une jeune fille en pyjama, bras croisés, l’œil revêche, prête à en découdre. Il bredouilla quelques mots confus, oui, c’est moi, enfin, on peut dire ça comme ça, pour l’instant on est juste… Il ne finit pas sa phrase. On est juste quoi ? Amoureux, l’adolescente avait trouvé le mot juste. D’autant plus qu’il ne se voyait pas répondre quelque chose comme non, ne t’inquiète pas, avec ta mère, c’est juste un plan cul. Ce que ça n’était, du reste, plus. Samir cessa donc de tergiverser en assénant un oui plus franc, qui sembla convenir à Camille ou à Bérénice, Samir n’aurait su dire s’il s’agissait de la cadette ou de l’aînée, Sacha ne s’étant pas beaucoup étendue au sujet de ses filles.

 — Je m’appelle Bérénice, dit la jeune fille, comme si elle avait percé à jour les interrogations de Samir. Et ne me dites pas que c’est un joli prénom, original ou je ne sais quoi, ça fait des années que j’ai à subir ce genre de remarque et je n’en peux plus. Ah, tant que j’y pense, ne me parlez pas de Racine non plus. Je ne peux plus le voir, lui. Il peut toujours courir pour que je lise un jour un de ses livres à la con.

 Le moins que l’on puisse dire, c’était que cette jeune fille avait du répondant, elle ne se laissait pas intimider. Elle tenait de sa mère. Ce fut à ce moment que, du haut de l’escalier, la voix de la mère en question retentit, sauvant Samir d’une réplique qu’il peinait à trouver.

 — Je vois que vous avez fait connaissance, finalement. Bon, c’est peut-être mieux comme ça. Bérénice, c’est Samir. C’est mon…

 — Ne t’excite pas, j’ai compris, je ne suis plus une gamine.

 Le ton était sec, à la limite du sarcasme, mais apparemment Sacha avait l’habitude. Elle ne répondit rien, changea de sujet. Pourquoi Bérénice était-elle déjà debout ? Il était pourtant encore tôt. En guise de réponse, elle eut droit à un cinglant : Ça t’épate, hein ?

 Sans doute réveillée par tout ce remue-ménage inhabituel, ce fut au tour de la cadette de sortir de sa chambre, traînant par la queue une peluche informe, vaguement marron, qui avait dû être, à un moment donné, une biche. Ou une gazelle. Une girafe, peut-être. Samir n’eut pas le temps d’approfondir le sujet, car Camille, lorsqu’elle découvrit sa présence, le fixa avec des yeux éberlués. Bérénice, décidément en verve malgré l’heure matinale, entreprit de mettre sa petite sœur au courant de la situation :

 — C’est Samir, la nouvelle trouvaille de notre mère, et peut-être, qui sait, notre futur beau-père.

 Samir et Sacha ne purent s’empêcher de rire face à l’incompréhension de Camille. Les informations ne s’imprimaient pas tout à fait dans son cerveau à moitié endormi. Sacha se dirigea vers elle, passa une main dans ses cheveux et la rassura :

 — Ne t’inquiète pas, ta sœur plaisante, tu sais comment elle est. C’est un ami, il va juste prendre le petit déjeuner avec nous.

 Puis elle écarta les bras, à destination de Samir, comme pour lui signifier qu’elle n’avait pas trouvé mieux, comme explication. Bérénice, décidément très inspirée, dit alors à Samir :

 — Dites, vous comptez garder vos chaussures à la main, pour déjeuner ?

 Samir regarda sa main. En effet, elle tenait encore ses chaussures, grâce au majeur et à l’index, pour être plus précis. Tout le monde s’esclaffa. La glace venait d’être brisée. Ce qui permit à la suite des événements de s’organiser assez simplement : Samir posa ses chaussures avant de se voir chargé de la mission de faire le café, Bérénice déposa sur la table bols, cuillères, couteaux, Camille se chargea du lait et des céréales, quant à Sacha, elle apporta biscottes, beurre et confiture. Puis tout le monde s’installa autour de la table ronde du salon. Y compris la biche. Ou la gazelle. Ou la girafe. Samir hésitait toujours quant au nom à donner à l’animal qu’était censée représenter la peluche.

 Dire que les deux adolescentes furent loquaces et agréables serait embellir la réalité. Elles répondirent néanmoins aux questions que Samir leur posa dans l’espoir de s’attirer leurs bonnes grâces : quel âge avez-vous et comment ça se passe au collège obtinrent des réponses concises, mais polies. Samir et Sacha échangèrent un regard qui signifiait quelque chose comme ça ne se passe pas trop mal, finalement. Et un quart d’heure plus tard, ce fut le cœur léger que Samir quitta l’appartement, après avoir discrètement, sur le seuil, embrassé Sacha, et lui avoir murmuré à l’oreille un à très vite dont elle accusa réception par un hochement de tête et un sourire.

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