L’écho du silence

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Le jour

Boom, boom, boom, boom.

L’examen est bref, mais suffisamment concret pour m’attendrir. Mon corps se relâche enfin après huit semaines de peur au point que j’en ai la nausée. Je tremble en essuyant le gel présent sur le bas de mon ventre. Ton père discute avec le gynécologue, mais mon cerveau refuse de décoder leurs échanges.

Le médecin nous félicite et me tend un cliché de l’échographie. Je le serre dans une main, l’autre agrippant celle de ton père. Notre famille. Celle que j’ai voulu construire quand la mienne s’est atrophiée, déchirée jusqu’à disparaître. Ta grand-mère est morte d’un cancer il y a cinq ans. Puis, ton oncle… Il s’est donné la mort.

— Il y a des jours avec et des jours sans, me disait-il.

Il tournait en dérision ses actes les plus sombres. Il caricaturait l’indicible. Crois-moi, j’ai essayé de le sauver. Un jour, je t’expliquerai. Mon frère n’était pas fait pour vivre dans ce monde… et toi, sauras-tu y survivre ? La peur du lendemain, le tumulte de la vie, voilà ce que j’ai à t’offrir.

Ne m’en veux pas.

— Détends-toi Nina, tout va bien, le bébé va bien.

L’incertitude rôde autour de moi tel un vautour prêt à s’emparer de mon bonheur naissant. J’ai peur pour toi. Je ne supporterai pas de porter en moi la mort une seconde fois. Mon corps ne me trahira pas cette fois.

— Tu passes voir ton amie Jade ce soir ? m’interroge Adam.

— Non, je suis déjà passé la voir cet après-midi.

Jade me conseille… quand ce n’est pas elle qui monopolise la conversation.

Maintenant… J’ai mal aux jambes et à l’estomac. Jade dit qu’il faut y faire face avec le sourire. La grossesse n’est pas une partie de plaisir, affirme-t-elle, il faut souffrir pour donner la vie. Elle est enceinte, elle aussi, mais c’est facile à dire pour une femme qui ne connaît ni les douleurs, ni les nausées, ni les fausses couches.

La chanceuse.

Mais ne m’épargne rien, mon amour, puise toute mon énergie pour faire battre ton cœur.

Boom, boom, boom, boom.

Le mien s’emballe depuis que tu es en moi. Les jours s’étendent et se tordent pour jouer malicieusement avec mes nerfs.

Lorsque ton père accompagne une louche fumante près de mes narines. L’odeur de tomate et de thon me donne la nausée. Il ne comprend pas que, depuis que tu es là, mon corps ne tolère que pâtes, saucisses et pizzas.

— Avec de tels goûts, ce ne peut être qu’un garçon, plaisante-t-il.

Peu importe le sexe. Moi je souhaite seulement que tu cries le jour de ta naissance, rien de plus. Jade, elle, attend sûrement une fille. Elle ne jure que par le sucré. Parfait, je pourrais choisir ton prénom sans déclarer une troisième guerre mondiale.

La nuit

Je me réveille, agitée, par de terrifiantes pensées. De la sueur perle sur mon front. La proximité de ton père me déplaît. Je m’extrais précipitamment du lit, et fuis vers la cuisine. Mes jambes se dérobent, mes tempes bourdonnent. La nuit amplifie ma peur.

Boom, boom, boom, boom

Elle se rapproche. Elle est là, juste derrière moi.

La bête.

Jade dit que cauchemars et insomnies sont fréquents pendant la grossesse. Mais moi, je sais que la bête n’est pas un simple mauvais rêve. Je l’ai vue dans les yeux de mon frère avant qu’il ne saute. Je l’ai sentie dans mon ventre, quand mon premier bébé s’est éteint. Elle me traque, grignote mon discernement. La journée, je trouve la force de ne pas sombrer en me connectant à toi, mon amour.

Quand le soleil brille, j’imagine ton visage et quand la nuit tombe, je vois la bête. Je repense à Théo, mon frère… à ce que la bête lui a fait. J’ai peur. Elle s’étire dans mon ombre, déforme mon reflet dans le miroir.

Je bois un verre d’eau pour me calmer et caresse mon ventre du bout de mes doigts. Je m’abandonne et savoure la délicate sensation. Il m’arrive rarement de le toucher, car la proximité réelle de ton existence abstraite me bouleverse. En cet instant, j’ai besoin de toi, tu es l’unique bouclier qui me protège de la bête.

Boom, boom, boom, boom.

Cela fait une heure que je ne t’ai pas parlé. Il m’a fallu ce temps pour accepter ton absence. À travers ce saut dans le temps, je t’annonce que tu es parti, mon bébé.

Ma souffrance n’a pour égale que l’amour que je porte. Notre dernier moment ensemble était si doux contrastant avec le suivant. Des crampes douloureuses. Tu voulais t’échapper de moi, ou était-ce la bête qui t’y a forcé ? Dans les toilettes, je te laissais partir dans un tourbillon rouge sang.

Je m’effondre. La bête s’engouffre dans le vide que tu as laissé. Elle enfonce ses crocs dans ma chair. Une décharge parcourt mon corps. J’étouffe un cri.

— Il y a des jours avec et des jours Sang, Nina, murmure Théo.

Mon frère se moque de moi. Je ris.

La bête multiplie mes angoisses et mon intuition. Un éclair de lucidité. J’ouvre l’ordinateur d’Adam. Tu n’étais pas la raison de mes insomnies. Je trouve les preuves de mes soupçons enterrés. Les emails défilent. J’assimile un maximum d’informations.

Jade. Adam. Adultère. Elle s’accroche à lui. Elle pense qu’il est le père de son bébé. Ils pourraient former une famille.

Je ne ressens rien, si ce n’est du dégoût. La bête me suggère de regarder l’heure. Sept heures du matin. Ton père va bientôt se lever. Le temps est compté. La vie ne m’a pas offert la famille que je mérite et je n’accepte pas que Jade puisse jouir de ce bonheur.

La bête me souffle une idée intéressante, la solution. Si Adam disparaît, Jade n’a plus de famille.

Échec et mat.

Ton père descend. Je serre les couteaux dans mes mains. Nous voilà tous les trois réunis.

Ma famille.

— J’ai perdu le bébé, Adam.

Il se fige. Puis, ton père se rapproche.

Boom, boom, boom, boom

La bête m’alerte. Adam va agir.

Je frappe la première. Le choc me coupe le souffle. Un instant, je ne comprends pas. Puis, le feu s’installe dans ma chair.

Je baisse les yeux. Mon couteau est enfoncé dans mon ventre. Les yeux écarquillés, Adam me regarde.

Je puise mes dernières forces pour lui porter plusieurs coups au thorax. Il vacille à son tour. Un râle m’échappe. Je tombe à genoux.

La bête s’endort enfin.

Nous nous effondrons ensemble. Mes paupières papillonnent. La douleur devient lointaine. Je dérive. J’entends une voix. C’est toi, tu es là.

Adam rit, il porte un petit garçon sur ses épaules. Je te rencontre enfin. Tu es parfait, éclatant, mon enfant, Thomas. Mes lèvres forment ton prénom. Du sang glisse entre mes doigts et m’emmène ailleurs, encore plus près de toi. Tu ne me connais pas, mais en cet instant, moi, je te vois, je te sens, je te vis. Je suis ta mère.

Boom.

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