La sorcière de Lima

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Il est neuf heure du matin quand on toque à la porte. Mon frère et moi échangeons un regard par-dessus nos tasses de café. Tendu comme un arc, il s'empare du pistolet posé sur le plan de travail, alors que je me glisse silencieusement jusqu'à la porte.

-Mademoiselle, Monsieur ! Nous apostrophe une voix, à travers le battant de bois. Pouvez-vous ouvrir ? C'est plutôt lourd !

Je jette un coup d’œil par le judas, et observe un visage un peu rond aux joues rouges, surmonté d'une masse de cheveux couleur miel. Je remarque du mouvement derrière lui.

-C'est Vincent, il est avec Georges, Ben et Maxence, indiquai-je à Haruto en lui faisant signe de poser son arme.

J'ouvre la porte en grand, et les quatre hommes déposent un congélateur dans l'entrée. Tous sont des majordomes, au service de notre famille depuis des générations. Je ne pense pas qu'il soit utile de préciser que nous leurs demandons d'effectuer des actions dont des majordomes normaux ignorent l'existence... Ils sont tous plutôt essoufflés, mais aucun ne prend deux secondes pour se reposer.

-Monsieur nous envoie en renfort, indique Georges, alors que Ben et Maxence s'emparent du sac mortuaire pour le mettre dans l'équipement qu'ils ont amenés.

Georges est un grand brun qui semble assez rigide aux premiers abords, mais qui se révèle être une véritable crème. Au service de notre père, Haruto et moi le connaissons depuis que nous sommes nés. Ben est plus extravagant, et quelques-une de ses mèches sont colorés en rouge. Il tranche complètement avec l'aspect strict de Maxence, qu'il passe son temps à charrier joyeusement. Le premier travaille avec Wayatt, le deuxième seconde Missy. Quand à Vincent, il est notre majordome, à Haruto et moi, nous le connaissons depuis l'enfance, car il est le fils de Georges, et nous sommes proches, tous les trois.

-Monsieur Votre Père m'a dit de venir avec vous à Lima, nous annonce celui-ci. Il pense que je pourrais vous être utile, bafouille-t-il.

-Tu nous serviras pour la logistique, sourit mon frère en lui pressant l'épaule.

Notre ami lui rend timidement son sourire, peu sûr de ses capacités.

-Vincent reste avec vous, il va vous aider à faire vos bagages, intervient son père. Nous trois allons l'amener jusqu'au jet, indique-t-il en désignant le congélateur désormais fermé du menton. Nous vous attendrons au hall de l'aéroport. L'avion décolle dans une heure trente, ne soyez pas en retard.

Ils nous adressent un bref signe de tête avant de partir avec le colis, embarquant dans le même temps les valises contenant nos armes et uniformes. Ça de moins à se traîner !

-Ils ont été rapides, commente Haruto en fermant la porte derrière eux.

Je récupère ma tasse de café, m'assois sur le plan de la table, et questionne en sirotant le liquide encore chaud.

-Tante Missy est trop impatiente de disséquer son nouveau jouet, pour vous avoir fait partir en avance ?

Vincent grimace, pas vraiment à l'aise avec le concept de « nouveau jouet », et sa réaction me fait sourire. La passion de Tante Missy pour la dissection -dans touts les sens du termes- des nouveaux spécimens afin de chercher leurs points faibles a de quoi mettre mal à l'aise, même en y étant habitué.

Je pose ma tasse désormais vide dans l'évier, laissant le soin à mon frère de la laver en même temps que son propre bol, et vais m'enfermer dans la salle de bain. J'en ressort une demi-heure plus tard, et mon jumeau prend ma place. Il nous reste encore quarante-cinq minutes pour nous rendre à l'aéroport de la Nouvelles-Orléans quand il nous rejoint dans le salon, Vincent et moi. Nous avons profité de son absence pour boucler les valises et partons dans les minutes qui suivent sa sortie de la salle d’eau.

Nous traversons le tarmac sans prêter véritablement attention à ce qui nous entoure, et montons à bord du jet. Un gros soupir d'aise passe les lèvres de mon frère quand il s'installe sur un des sièges moelleux, la tête enfoncée dans le repose-tête, le regard tournée vers le hublot. Je m'installe en face de lui, avec plus de retenue. Le rôle de majordome de Vincent le contraint à prendre place plus en arrière par-rapport à nous. Mais, en tant qu'ami, nous le forçons à s'asseoir à nos côtés. Il proteste quelques instants, « Ce n'est pas convenable » étant son argument le plus fort. Il finit par poser ses affaires avec les nôtres, mais ne reste pas en place, se lève très rapidement après le décollage et s'affaire à préparer des boissons pour mon frère et moi. Jus d'orange pour lui, jus de citron pour moi. Il est dos à nous, sans bouger depuis quelques minutes, comme s'il réfléchissait.

-Je ne comprends pas.

Sa voix s'élève, un peu hésitante, en pleine réflexion. Vincent se retourne, et nous tend nos verres sous le regard inquisiteur de Haruto.

-Tu ne comprends pas quoi ? Questionné-je gentillement en portant le jus à mes lèvres.

Dans ses yeux chocolats, on peut voir les mots tourbillonner alors qu'il les cherche. Du menton, je lui fais signe de s'installer sur le siège à côté de mon frère, et nous patientons jusqu'à ce qu'il se lance.

-Pendant des centaines d'années, les sirènes n'ont pas donné signes de vie, à tel point que vos carnets n'en font pas mention... Donc je ne comprends pas pourquoi elle refont surface d'un coup, ce qui les a fait revenir.

Haruto et moi échangeons un regard. Réflexion pertinente. Vincent continue, devenu visiblement innarêtable :

-Durant votre absence, la mise à jour des archives s'est terminée, et Miss Missy a reprit les recherches sur les sirènes. Il s'est avéré qu'en réalité, les missions concernant celles-ci étaient beaucoup plus nombreuses que vous n'en aviez trouvées.

-Que disent les rapports ? Presse mon jumeau en se penchant légèrement vers lui.

-Leurs attaques étaient très éparpillées dans le monde, et après chaque mission, il n'y avait plus aucunes traces d'activités, même des années plus tard. A tel point que votre famille a pensé les avoir complètement exterminées, et les a enlevé des carnets. Cependant, en regardant les lieux, nous avons remarqué que chaque population agissait dans une zone assez restreinte. Et il y a aussi les dates ! Par exemple, la première chasse aux sirènes a eu lieu à Venise en 1775, mais un autre rapport indique une nouvelle chasse, au même endroit, mais 105 ans plus tard ! Et il en va ainsi pour chaque groupe de sirènes. Votre tante pense à une...

-Dormance ! Le coupons-nous, alors que la lumière se fait dans nos esprits.

-C'est logique, continué-je. Le dernier rapport sur les sirènes était en 1920, sur une population en Amazonie. A quand remonte la dernière attaque en Nouvelle-Orléans ?

-1875.

-145 ans hein... Chuchote Haruto. Effectivement, je me demande pourquoi personne n'a pensé à une dormance plus tôt...

-Parce que la durée est très aléatoire, entre 100 et 220 ans, explique Vincent en se dandinant un peu. C'est parce qu'il y a eu trois périodes de chasse en Papouasie que votre tante en est arrivée à cette conclusion. Mais elle estime qu'il serait très difficile de prévoir le prochain groupe à se réveiller.

Haruto soupire à cette phrase. Un très long et profond soupir qui exprime son énervement. Et je le partage ; connaître le système de l'adversaire sans pouvoir prendre un coup d'avance est quelque chose de très frustrant et de très dangereux dans notre milieu.

Je reporte mon attention sur les nuages en-dessous de nous, et que je vois par le hublot. Le soleil se trouve sur ma droite, et ses rayons éclairent l'intérieur de l'appareil, mettant en avant le blanc cassé des fauteuils et le bleu foncé de la moquette au sol.

Mon frère allonge ses jambes devant lui, jusqu'à enfoncer ses pieds sous mon fauteuil. Je me place légèrement de travers sur mon siège et croise mes mollets sur ses tibias dans une position plus confortable. Il me fixe, l'air de me dire « Va y, fais toi plaiz' » avec un air indigné auquel je réponds par un sourire un peu moqueur.

De l'écran accroché à côté de nous nous parvient la sonnerie d'un appel entrant.

-Décrocher ! M'exclame-je d'une voix forte alors que nous tournons la tête vers l'appareil.

Sur l'écran apparaissent Père, Tante Missy et...

-Mère ? M'étonne-je.

Le visage de celle-ci se détend en voyant que nous sommes saufs. Elle va pour dire quelque chose, mais Tante Missy la coupe en s'adressant à nous.

-La sorcière que Izabelle est partie chasser à Lima a continué de montrer des signes d'activité. On dénombre quatre victimes de plus, elle n'a donc pas réussi à l'éliminer.

-Depuis quand Tante Izabelle n'a pas établi de contact avec vous ? Questionne Haruto. Et quelles sont les informations dont nous avons besoin pour démarrer nos recherches ?

Tante Missy prend une profonde inspiration, signe que l'explication va être longue.

-L'agent Lisa Shamning est portée disparue depuis maintenant 5 jours alors qu'elle était sur le terrain à Lima, je demande donc aux agents Richard Knox et Lucy Jhonson d'aller enquêter sur sa disparition et de la ramener.

A cet instant, Vincent nous tends les badges Interpol correspondants, auxquels nous jetons à peine un regard, absorbés que nous sommes par le discours de Tante Missy.

-Elle a été vue pour la dernière fois il y a maintenant cinq jours, à 17h30, sortant du petit apothicaire à la devanture bleue et rouge.

La photo de ladite devanture s'affiche sur l'écran, et je cligne des yeux plusieurs fois tellement elle est pétante. Par la fenêtre, on peut voir un bout du comptoir de l'accueil, au-dessus duquel est tracé un demi-cercle. Le dessin me fait froncer les sourcils, mais mes yeux sont happés par les orbes avelines d'une petite fille, postée droite derrière la vitre. Ses grands yeux verts fixent la personne qui prend la photo, et son visage, à la peau halé, est encadré par des cheveux noirs coupés au carré. Il y a dans son regard quelque chose qui me met aussitôt en alerte. Légèrement mal à l’aise, je me tortille sur mon siège pour m’installer autrement et reprendre un semblant de contenance.

Ma tante continue de parler, mais je n’écoute pas ce qu’elle dit, laissant à Haruto le soin d’enregistrer les informations qu’elle nous donne, et réponds par automatisme lorsque l’on s’adresse à moi. Près d’une heure plus tard, alors que nous raccrochons, Haruto tend le bras vers moi et me tape le haut du crâne avec le paquet de feuille qu’il a en main.

-Occupes-toi du rapport sur la Nouvelle-Orléans, et je m’occupes du cas Lisa Shamning, vu que tu n’as rien écouté. Pourquoi tu étais à l’ouest d’ailleurs ? Questionne-t-il en s’installant en face de la tablette centrale.

-La gamine, sur la photo, elle ne t’a pas semblé étrange ?

-Et ben… Non, répond-il en commençant à trier les données.

Le silence s’installe, et il ne me jette plus un regard, concentré qu’il est sur ses papiers. Je rabats ma tablette vers moi, et commence le travail qu’il m’a donné. Il me faut près de cinq heures pour en venir à bout, et c’est avec un soupir lassé que j’éloigne de moi le dossier que je viens d’écrire. Valentin s’occupe de le ranger, et il profite d’être debout pour me resservir à boire et m’apporter de quoi grignoter.

J’avale quelques gorgées du bout des lèvres en observant Haruto dormir, allongé sur les sièges en face de moi. Ses cheveux blonds sont en bataille, et ses yeux ont quelques soubresauts sous ses paupières. Son rêve semble être intense, à en juger par les grognements qu’il émet. Il se réveille en sursaut, à peu près deux minutes plus tard, et ses prunelles bleues balayent son environnement avec angoisse. D’un geste de la main, je lui indique que tout va bien. Il se redresse en se massant les tempes.

-C’était horrible, se contente-t-il de dire.

Puis il se lève et va se dégourdir les jambes. Pour a part, je m’étire un instant avant de porter mon attention sur le tapis de nuages visible par le hublot. A un moment, la voix du commandant de bord, Maxence en l’occurrence, nous indique que nous n’allons pas tarder à arriver. J’entends les ceintures se boucler autour de moi, alors que tout le monde se prépare pour l’atterrissage. Moins d’un quart d’heure plus tard, Haruto, Vincent et moi somme débarqués à l’aéroport de Lima. George nous indique l’emplacement de l’endroit où logeait notre tante, puis part s’occuper des détails concernant leur départ, à Ben, Maxence et lui.

Traînant nos valises derrière nous, nous nous mettons en route sans plus attendre. Quarante-cinq minutes de transport, c’est le temps qu’il faut pour rejoindre le motel. Celui-ci, très sobre, tranche particulièrement avec le dernier dans lequel nous avons logé. Sa devanture, bien que colorée, est néanmoins terne. Il dispose de six chambres, d’après les portes en bois vernies que je compte. Une porte entièrement vitrée donne sur l’accueil, et une clochette tinte quand Haruto l’ouvre. Derrière le comptoir, un jeune homme, qui avait l’air de s’ennuyer profondément, se redresse soudainement en nous fixant. Je consulte rapidement mes compagnons du regard. Commençons-nous l’enquête maintenant ? Ou dois-je juste prendre une chambre ? Je me contente finalement de la deuxième option, lui demandant s’il ne possède pas une chambre avec trois lits simples.

Sa meilleure offre comprend un lit double et un lit simple, ce qui nous suffit largement. Après avoir réglé les différents détails de la réservation, il me confie la clé de la chambre numéro quatre. Les garçons et moi nous y installons, et mes yeux parcourent rapidement les installations qui s’y trouvent, alors que je dépose mes valises à côté de la porte d’entrée. Les deux lits sont alignés contre le mur de gauche, au fond de la pièce, avec une commode en face de chacun. La couleur orange pâle des édredons s'accordent avec celle des murs, et l'espace chambre est séparé de la kitchenette-salon par un semi-cloison. La porte du fond mène sur une salle de bain comprenant une douche, un lavabo et des toilettes. Je me passe un coup d’eau sur le visage, et vais sortir de ma valise ma tenue Interpol ; un tailleur jupe noir cintré avec une chemise blanche que j’enfile en vitesse. Je me coiffe en un chignon serré, me munit de mon badge, de la photo de ma tante et celle de la devanture de l’apothicaire et retourne à l’accueil. Ma nouvelle tenue fait sursauter l’employé, qui n’avait visiblement pas prévu ça dans son emploi du temps.

-Lucy Jhonson, d’Interpol, commence-je en présentant mon badge. Je suis à la recherche de cette femme, Lisa Shamning, continue-je en alignant la photo de ma tante sur le comptoir. D’après mes renseignements, elle logeait dans votre motel.

Sa réaction en se fait pas attendre ; il saute de son tabouret, s’empare d’une des clés pendues derrière lui, et m’invite à le suivre en commençant à parler.

-Je me rappelle d’elle, oui ! Elle a pris cette chambre-là, m’indique-t-il en ouvrant la porte de la numéro six . Mais ça va faire une semaine que je ne l’ai pas vu.. Elle est en retard sur le paiement, vous allez…

Mon haussement de sourcil le dissuade de finir sa phrase.

-J’aimerai garder la clé, si ça ne vous dérange pas, me contente-je de répondre. Pour pouvoir inspecter la chambre.

-Oh ! Evidemment ! Bafouille-t-il en me la tendant.

Je rentre dans la pièce, le jeune homme sur le pas de la porte. La valise de Tante Izabelle est Ouverte dans un coin de la pièce, elle n’est donc pas partie, mais bel et bien disparue. Je me retourne vers mon hôte.

-Vous a-t-elle dit quelque chose avant de disparaître ?

-Elle m’a posé des questions à propos d’un magasin du coin…

-Celui-là ? Questionne-je en lui plantant la photo sous le nez.

-Oui, le Brujeria, exactement.

-Où se trouve-t-il, par rapport à ici ?

-A trois pâtés de maisons dans cette direction, à peine. Vous vous y interessez aussi ?

Je ne réponds pas à sa question, mais le remercie d’avoir répondu aux miennes. Il fait demi-tour et retourne s’installer dans son bureau, alors que je rejoins la chambre que je partage avec mon frère et Vincent.

-Alors ? Me questionne Haruto, alors que je m’installe sur une des chaises autour de la petite table ronde de la cuisine.

-Ses affaires sont toujours là, et l’apothicaire n’est apparemment pas très loin. Mais mangeons un bout et allons fouiller sa chambre. Il y a peut-être un sac de sort ou truc de ce genre planqué quelque part…

-Si la chambre a été nettoyée, ils l’auront peut-être enlevé, fait remarquer Vincent, qui s’active aux fourneaux.

Je reste songeuse à cette déclaration. L’état de la chambre semblait montrer un nettoyage plutôt sommaire ; enlever la poussière des meubles, refaire le lit… Rien de très poussé qui pourrait gêner dans nos recherches. Du coup, je me contente, de hausser les épaules en mangeant la part qu’il dépose devant moi. Des œufs brouillés et du bacon.

-Où est-ce que tu as trouvé ça ? Quand ?

-Dans la superette d’en face, pendant que tu étais en train de bosser.

Je hoche la tête en mangeant mon assiette. Pendant le repas, nous recevons un mail de Wayatt contenant les différentes adresses où s’est rendue Tante Izabelle durant son enquête. Haruto et moi nous répartissons la liste, Vincent restant ici pour inspecter la chambre. J’attends que les garçons finissent de se préparer pour marcher jusqu’en ville avec mon frère.

-Bon, je te laisse gérer ici, m’annonce-t-il devant le magasin aux couleurs flashies. Vu que je parles pas Espagnol, je ne serais d’aucune utilité. Je vais au poste de police !

Haruto me regarde, alors que je le fixe également.

-J'ai plus bossé l'allemand, lâche-t-il en haussant les épaules.

-On est censés se séparer pour les recherches ! Comment on fait si tu captes pas un mot d'espagnol ?

-Je parlerai anglais ! Assure-t-il en me tapotant l'épaule avant de s'éloigner dans la rue.

Je lui fusille le dos du regard, puis me détourne en soupirant bruyamment. Je replace une mèche de cheveux dans mon chignon et tire un peu sur la veste de mon tailleur pour enlever les plis. Puis je grimpe les quelques marches qui permettent d'accéder à l'apothicaire indiqué par l'hôtelier.

La sonnette tinte quand j'ouvre la porte de la boutique, et l'énorme symbole dessiné sur le mur derrière la caisse me saute à la figure. Mes pupilles vagabondent un instant sur ce qui m'entoure, et gravent au fond de ma rétine ce que je vois.

-Holà !

Je me tourne vers la voix, et salue d'un hochement de tête la femme qui m'a apostrophé. Son teint est mat, et ses lèvres et ses yeux marrons sont rehaussés d'un léger maquillage rouge foncé accordés à son T-shirt.

-Je peux vous aider ? Demande-t-elle.

-Peut-être, réponds-je en réfléchissant rapidement à mon espagnol. Je suis l'agent Jhonson d'Interpol, continué-je en sortant le badge correspondant ainsi qu'une photographie de ma tante. Je suis à la recherche de cette femme. Son nom est Lisa Shamning, le dernier endroit qu'elle a visité est celui-ci, il y a une semaine environ. Vous en rappelez-vous ?

Je lui tends l'image, qu'elle fixe longuement, les yeux brillants, comme si elle se rappelait quelque chose.

-Non, dit-elle finalement en me rendant la photo.

Mais sa gestuelle l’a déjà trahi.

-Nous avons des témoignages affirmant sont passage ici, insiste-je.

-Je vous dis que je ne l’ai jamais vu ! Continue-t-elle de démentir.

Le ton de sa voix monte un peu. Derrière elle, une porte donnant sur une remise s’ouvre, et des yeux verts me regardent fixement. De la colère gronde aux fond d’eux. De la colère et autre chose. Quelque chose qui me hérisse les poils le long du dos.

-Appelez-moi sur ce numéro si jamais vous vous souvenez de quoi que ce soit, dis-je d’un ton un peu abrupt.

Je pose ma carte de visite sur le comptoir et bats en retraite, quittant le magasin. Je marche plus rapidement que ne le ferait une personne sereine, mais je continue de hâter le pas pour mettre le plus rapidement possible de la distance entre cette force magique et moi. Parce que c’était ça. La lueur que j’avais discerné au fond des prunelles, c’était une trace de puissante magie. Cette gamine semble n’avoir que dix ans à peine, contrôle-t-elle vraiment ce pouvoir ?

Je passe plusieurs jours à surveiller l’établissement, pendant que Haruto fait des recherches sur internet pour en apprendre plus sur son histoire. Deux jours après notre arrivée, Vincent disparaît. Il ne rentre que le surlendemain, mais déballe son sac immédiatement.

-La petite ! Je pense que j’ai une piste la concernant !

-Et tu l’as suivit, sourit Haruto. Yeux verts ou marrons ?

Vincent lève les yeux au ciel, mais ne peux s’empêcher de rougir comme son imagination travaille.

-Non, sérieusement Monsieur. Quand nous sommes retournés au poste de police, j’ai remarqué un avis de recherche qui ressemblait à l’enfant sur la photo que nous avons. Je me suis renseigné, j’ai pensé avoir trouvé la famille, alors je suis allé dans le village d’où vient l’alerte. Un enfant correspondant à la description a mystérieusement disparue depuis presque un an. Je n’ai pas vu les parents, mais le voisinnage confirme que ça pourrait être la même.

-Beaucoup de conditionnel quand même, remarque mon frère. Moi j’ai la confirmation que le magasin et la sorcière sont liés.

-C’est-à-dire ? Soupire-je devant l’air mystérieux qu’il affiche soudainement.

-En reprenant les notes du rapport de Tante Izabelle, on peut soulever un point commun entre les victimes ; elles ont toutes essayé de racheter le magasin, ou l’ont vandalisé. D’après certains témoins, l’enfant aurait été aperçue rôdant autour de leurs maisons après les faits, et notre tante a récupéré des sacs de sorts en fouillant les habitations. On a trouvé la cible.

-Il émanait d’elle une magie très puissante, mais elle est trop jeune pour pouvoir la maîtriser.

-Si elle est issue d’une lignée de pratiquantes, c’est complètement faisable…

Avec une moue qui indique à quel point je suis convaincue, je hausse les épaules et m’avachis un peu plus sur ma chaise.

-Dans ce cas-là, il faut aller fouiller. De ce que j’en ai aperçu, la réserve semble être le pont névralgique de cette affaire.

-Qu’est-ce qui t’amène à cette conclusion ?

-Elle n’a jamais été ouverte une seule fois en journée, et pendant les gardes de nuit, j’ai vu de le lumière et des ombres étranges, même si cela n’a duré que quelques heures à chaque fois.

-Ok ! Allons-y demain soir, quand la fête sera finie. Quelle heure ?

-Environ trois heure du matin. Si on y va pour quatre heure, ça devrait aller.

-Vous aller vraiment tuer une petite fille de 10 ans ? Question Vincent.

Il brise le silence dans lequel il s’était plongé quelques minutes plus tôt, et son visage s’est paré d’un air inquiet qui indique combien il est incertain du bien fondé de notre action. Il veut réellement sauvé l’enfant.

-C’est une sorcière qui utilise ses pouvoirs pour assassiner des humains, tente de le raisonner mon frère. On ne peut pas la laisser continuer.

-On va juste fouiller à la recherche de sacs de sort et d’autres preuves, ajoute-je. On avisera sur la marche à suivre en fonction de ce qu’on trouvera.

Vincent n’est pas, mais pas du tout convaincu ! Mais il est conscient que nous devons faire notre travail. Jusqu’à l’heure décidée, nous passons notre temps à préparer l’attaque et rassembler le matériel. Jusqu’au moment de nous fondre dans la nuit pour passer à l’action. Silencieux comme des ombres, nous rejoignons le poste de garde que j’occupais pour mes observations.. Il n’y a pas un bruit, alors nous décidons d’entrer en passant l’arrière. La réserve est fermée à clé, mais il ne faut pas longtemps pour crocheter la serrure.

-Bon, murmure-je en poussant la porte. Cherchons si il y des sacs de sort et…

-Et merde, termine mon frère.

Devant nous s’étend ce que l’on pourrait se représenter comme un repaire de sorcière ; un pentacle est tracé sur le sol dans un cercle, des bougies posées à la pointe de chaque branche de l’étoile, une petite construction en os surmontée d’un crâne volatile trône en son centre. Sur notre droite, un chaudron bouillonne joyeusement sur un feu de flammes bleues, un grimoire posé non loin, et toutes les étagères sont remplies d’ingrédients à potions ; fioles aux couleurs étranges, bocaux aux contenus mystérieux…

-On cherche quoi déjà ? Ironise mon frère à voix basse.

Je ne réponds pas, mes yeux balayant la pièce, désormais à la recherche du moindre signe de vie, que ce soit Tante Izabelle ou la sorcière. Nous nous faufilons dans la pièce, et ne pouvons nous empêcher d’inspecter de plus près tout ce qui s’y trouve.

-Un autel de vision, commente Haruto devant la structure en os. Et il y a… Un bout de peau ?

-Sûrement la personne avec qui elle se lie.

-Tu veux dire que la gamine se lie à d’autres personne ?

Soudain, un détail me revient en mémoire ; un carré de chair à vif juste sous la clavicule, à demi-caché par le col de T-shirt qu’elle portait.

-Non! Réponds-je, sous le choc de ma révélation. C’est la gamine qui…

-Gala, attention ! S’exclame soudain mon frère en pointant sur ma gauche.

Mais c’est trop tard, mon vol plané à travers la pièce est déjà amorcé, et je m’écrase lourdement sur une étagère qui se renverse avec violence en répandant son contenu sur le sol.

Alors que j’essaie de me relever, je remarque l’ombre qui plane sur moi. Pas très grande. Mes yeux rencontrent ceux, luminescents, de la petite péruvienne ensorcelée par la sorcière. Du coin de l’oeil, je vois Haruto aux prises avec la créature. Je ne sais pas si l’enfant possède des capacités magiques, mais je préfère ne pas tenter le sort en lui tournant le dos pour aider mon jumeau. La lumière des bougies se reflètent sur sa lame, alors qu’il l’agite en tentant d’atteindre la sorcière. Je reporte mon attention sur mon propre adversaire, même si je ne sais pas vraiment comment m’y prendre pour la neutraliser sans la blesser, voie pire.

Je commence par me relever et m’éloigner, me faufilant entre les meubles pour l’attirer le plus loin possible des deux autres. Par chance, elle me suit. J’esquive quelques objets qu’elle me lance depuis les étagères, jusqu’à ce que je me rendes compte que la fiole rouge vive qui vient de passer au-dessus de mon épaule fait fondre le métal contre lequel s’éclate, dans un volute de fumée orange et d’étincelles dorées. Pas moyen d’en prendre une seule dans la figure ! Quand elle se retrouve à court de munitions, elle se jette simplement sur moi, cherchant à me griffer et à me mordre. Je l’évite au mieux, cherchant toujours comment ne pas lui faire de mal, quand j’entends soudainement un grand cri, une voix masculine, puis le bruit de quelque chose tombant au sol.

L’étincelle magique qui faisait luire ses yeux s’éteint. Le lien est rompu, la sorcière est morte. La gamine, l’air soudain terrifiée, part se recroqueviller derrière une armoire. Lorsque Haruto me rejoint, je suis agenouillée à côté d’elle, lui murmurant quelques mots en espagnol, espérant la calmer, la rassurer. Elle tremble comme une feuille et, à l’arrivée de mon frère, a un grand sursaut, les yeux écarquillés de terreur.

Je fais signe à mon jumeau de se reculer, et l’écoute obtempérer. La petite suit chacun de ses mouvements des yeux, jusqu’à ce qu’il disparaisse de son champ de vision. Puis elle fixe de nouveau son attention sur moi, pour peu que je bouge d’un millimètre. Du coup je recommence à travailler sa confiance en moi. Et j’arrive à obtenir son prénom. Cataleya.

-Vincent a laissé un message pendant qu’on s’amusait, m’interrompt mon frère un instant plus tard. Il a continué les recherches et confirme que la petite est celle de l’avis de recherche. Comme c’est pas la sorcière, qu’est-ce qu’on fait ? On la ramène chez elle ?

-Pourquoi ? Tu la trouves pas bien entre les meubles ?

-C’est bon, j’ai compris, ma question est stupide…

-Evidemment qu’elle l’est !

Quand je fais part à la péruvienne de la ramener chez ses parents, ses yeux se mettent à briller d’espoir, et les larmes à couler sur ses joues. Elle avait dû leur être arracher si brutalement, et subir de si horribles choses… Je lui tends la main, et elle la prend sans hésitation. Nous rejoignons Haruto, qui se penche vers elle, une photo à la main. Tante Izabelle.

-Est-ce que tu as déjà vu cette femme ? Questionne-je doucement.

Elle désigne du doigt une trappe que je n’avais pas remarqué jusqu'alors. Mon frère s’y dirige sans la moindre hésitation, et pendant qu’il s’acharne pour détruire le cadenas, je fouille autour de moi pour dégoter une couverture dans laquelle j’enroule l’enfant.

Finalement, le loquet cède, la trappe s’ouvre, et l’odeur qui s’en dégage vient me frapper les narines avec violence. L’odeur de la mort. Mon frère me lance un regard lourd de sens qui m’intime de ne pas m’approcher, puis il descend l’escalier.

-Oh putain de merde ! Entends-je au moment où la lumière s’allume là-dessous.

-Haru ?

-Ne descends pas ! Hurle-t-il. Appelle Père…

J’entends le tremblement dans sa voix, alors qu’après avoir bougé dans la pièce, il remonte vers nous. Son pas est beaucoup plus pesant, et, lorsqu’il émerge de la cave, je ne peux que constater le corps enroulé dans un linceul de fortune qu’il tient dans ses bras.

-On a des funérailles à préparer, termine-t-il, la voix complètement cassée.

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