La danseuse aux chaussons noirs

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Le rideau blanc taché de sang se lève, et nous nous avançons sur la scène, tremblantes. Face à nous, des centaines d'hommes en costume noir qui nous fixent, silencieux. Je déglutis. C'est ma vingtième représentation.

Je relève la tête, malgré ma peur croissante, pour soutenir le regard des spectateurs. Je sais que, derrière moi, la plupart des autres jeunes filles baissent la tête, ne pouvant supporter d'être dévisagées de la sorte. Je n'ai pas besoin de me retourner pour comprendre qu'elles tentent de se faire aussi petites qu'elles le peuvent, sous les projecteurs. D'autres, quoique un peu mal à l'aise, ont néanmoins assez de courage pour admirer discrètement la salle immense que cachait le rideau.

Comme elles, lors de ma première représentation, je n'ai pas pu m'empêcher de laisser mon regard glisser sur la moquette rouge, sur les sièges en cuir noir, sur les belles femmes sculptées dans les colonnes de marbre, sur la fresque magnifique au plafond. Je n'ai pas pu me retenir de balayer l'assemblée d'un regard curieux, me demandant ce que j'avais fait pour me retrouver là et ce qui allait m’arriver.

Le pire, c’est que je ne sais toujours pas.

Non, ce que je sais, c'est que lorsque j'avais enfin regagné les coulisses, j'étais livide, à deux doigts de m'effondrer. Moi qui avais toujours aimé danser, j'ai appris à appréhender chaque geste, chaque saut, chaque mouvement. Des larmes se sont mises à couler, soudainement, deux sillons dévalant mes joues rougies par l'effort. J'ai pleuré, les jambes tremblantes, au milieu du couloir menant à ma loge.

Ce souvenir, marqué au sang, remonte des tréfonds de mon esprit à chaque fois que je me retrouve sous les projecteurs. Je prends une grande inspiration, me retenant de réajuster ma robe bleue scintillante et bien trop transparente pour que je me sente à l'aise dedans, ainsi que de resserrer les lacets de mes chaussons noirs.

- Harriet Acey.

La voix féminine monotone grésille dans les haut-parleurs. Comme toujours depuis que je suis arrivée. Une jeune fille rousse à ma droite s'avance timidement. Je devine au premier coup d'œil qu'elle est nouvelle : l'éclat dans ses yeux ne s'est pas encore éteint. Elle exécute une rapide révérence, avant de revenir à sa place lissant discrètement sa robe orange. La couleur trop claire ne cache rien de ce qui se trouve en dessous. La pauvre.

- Ashley Burge.

Elle s'avance avec grâce, la tête haute comme moi. Elle lève délicatement sa main, paume vers le public, avant de faire une révérence qui fait siffler quelques-uns des spectateurs. Puis, elle se retourne et me lance un regard haineux avant de se replacer en première ligne, à ma gauche. Cette fille me déteste, et à raison : je lui ai pris la seule chose qui lui permettait de survivre à ces galas nocturnes, les chaussons noirs d'encre que je porte.

La voix appelle une à une les autres filles à s'avancer pour saluer le public. Certaines sont sifflées et applaudies, d'autres sont huées, et d'autres encore sont accueillies par un silence ponctué par des murmures. Puis, lorsqu'elles se sont toutes présentées...

- Flora Reeves.

Je m'avance avec assurance et élégance, comme si la scène m'appartenait. Les projecteurs sont braqués sur moi, mais je ne me dérobe pas. Je m'arrête près du bord de la scène, et m'autorise à balayer la salle du regard, pour que le silence revienne. Je ferme les yeux, fais le vide dans mon esprit et commence à danser. Seule, sans musique. J'entame une valse lente, rythmée, puis j'accélère petit à petit, mes chaussons virevoltant sur le parquet de plus en plus rapidement. Je me force à gagner encore en vitesse, tellement que le monde autour de moi semble devenir flou,

puis je m'arrête brusquement, une main en l'air.

Je regarde ma paume descendre lentement, et mes doigts délicats et fins se fermer en un poing que je ramène contre ma poitrine. Puis mon regard se braque sur l'assemblée, et j'exécute une parfaite révérence. Je regagne finalement ma place, sous un silence pesant.

Je savoure leur absence de réaction, tout en soupirant de soulagement. Même s’il est interdit pour le public de juger bruyamment la danseuse aux chaussons noirs, et qu’elle est exclue de la vente aux enchères, il est déjà arrivé que certains hommes dérogent à la règle et finissent par acheter la danseuse normalement intouchable.

Une douce mélodie jouée au piano emplit la salle. Sans un bruit nous commençons à danser. Comme chaque fois, nous avons décidé de danser ensemble quelques pas. Les pointes tendues à l’extrême, concentrées pour ne commettre aucune erreur, nous nous mettons en cercle. Nous tournoyons, et nos jupons avec, laissant entrevoir nos jambes nues. Je ne pense pas à tous les regards fixés sur ces morceaux de chair exposés, et ancre mon regard sur la brune devant moi. Le cercle s’agrandit, puis se rétrécit à notre intention. Je me laisse entraîner par ce manège à l’apparence infantile.

Un coup de feu part, et la brune s’écroule, sa robe verte se tachant déjà de sang, criant de douleur. Un petit saut bien maîtrisé me permet de survoler le corps, et de reprendre les pirouettes juste après. Je vide mon esprit, me déconnecte de l’horreur qui vient de se produire sous mes yeux. Je relègue tout au second plan, m’accrochant à la douceur de la musique pour ne pas craquer.

Je ne dois pas m’arrêter.

Pas tant que la musique ne sera pas terminée.

Sinon, je mourrai.

La mélodie change subitement, et le cercle s’ouvre de l’intérieur. Dans un autre contexte, j’aurais pu trouver notre ballet harmonieux. Si trois corps ne reposaient pas déjà sur le sol.

Positionnées en V, de façon à ce que chacune de nous puisse être reluquée. C’est à moi, la ballerine aux chaussons noirs, que revient la place à la pointe de cette flèche. Je m’enferme dans la bulle protectrice que je me suis forgée au fil de ces spectacles. Seule les notes réussissent à y pénétrer. Je me laisse porter par ces accords tantôt tristes et mélancoliques, tantôt porteurs de joie et d’espoir. J’oublie la scène, les regards, la mort. Je m’oublie. Plus rien ne compte sauf ce rythme, ce courant vibrant de vie qui me traverse.

Ce cocon est ma dernière barrière avec ce monde cruel et avide.

Et là, je me mets à chanter. Je chante le désespoir, la peur et la souffrance dans ma langue natale, je parle de cette petite fille naïve et rayonnante qui est aveugle de la cruauté des gens qui l’entourent. J’ai l’impression de voir cette fille aux cheveux blonds qui rit à mes côtés. Elle danse avec insouciance. Une balle la traverse, mais elle ne s’arrête pas, et continue de me sourire. Elle me ressemble. Je chante plus fort, je laisse ma voix se mêler au piano. J’ai commencé à libérer ma voix il y a cinq représentations. Personne avant moi n’avait osé le faire.

Et c’est cette voix qui m’a permis de gagner les chaussons noirs.

Le rythme change, mais cela ne me surprend pas. J'accueille ce nouveau tempo comme on accueille un invité chez soi, en découvrant ses facettes. Je ne réfléchis plus, mes pas me portent, ils semblent s'être détachés de ma volonté. Je m'élance vers le devant de la salle, et je quitte le sol.

Mes mots et mon corps s'envolent dans les airs, libérés.

Dans cet instant suspendu, mes jambes forment l'écart parfait que toutes les danseuses rêvent d'avoir.

Mon salut.

Ma voix se perd dans les hauteurs. Exaltée, je souris à l'assemblée. Un jeune homme aimante mon regard. Debout, les bras croisés, il a ses yeux rivés sur moi. Pas sur mes jambes ou mon décolleté, sur mon visage. Il sourit aussi. Mais, contrairement aux autres, cela ne ressemble pas à un rictus, mais à un sourire sincère, si sincère que je ne peux qu'y répondre.

L'espace d'un instant, j'ai l'impression d'être aussi insouciante et rayonnante que la petite fille blonde. Ses lèvres bougent, et je n'ai pas besoin d'entendre ce qu'il m'a dit pour comprendre.

"Toujours"

Toujours...

Ce mot résonne au plus profond de son être, ébranlant ma concentration. Des échos surgissant des zones sombres de mon esprit lui répondent. Je secoue la tête pour chasser mes pensées,

et ma bulle de protection éclate.

Je glisse en me réceptionnant, et m'écroule au milieu des danseuses. Tout ce que je tentais d'oublier me revient à la figure avec force. Les coups de feu, les corps, les filles épuisées qui continuent de danser. La petite fille blonde a disparu. Je me relève, ravale un cri. Je réalise avec horreur que je me suis tordue la cheville en tombant. Je reste là, pétrifiée, à regarder mon pied pointer dans une direction totalement absurde.

Mon arrêt de mort.

Je viens de signer mon arrêt de mort.

D’un geste tremblant, je saisis mon pied et me mords la lèvre. Celui craque sinistrement lorsque je le remets en place. Je ravale un cri, les larmes aux yeux. Je me lève comme je peux, esquisse quelques pas de danse, mais sans ma bulle, je ne me fais pas d’illusions : c’en est fini de moi.

Un tir frôle mon oreille. D’autres trouent le sol à quelques centimètres de moi, me faisant sursauter. Des menaces. Ils ne peuvent pas me blesser, pas aujourd’hui, mais ils ne se retiendront pas la prochaine fois.

Mes mouvements sont dénués de grâce, dénués de magie. Ma voix est si brisée que je me tais. J’arrête aussi de danser, après que le sang d'une autre danseuse ai giclé sur ma figure. Je sens les regards peser de plus en plus lourds sur moi. J'ai peur. J'ai l'impression de revivre ma première représentation.

On me tire en arrière. Je réagis à peine. Le rideau blanc se ferme lentement. Je réalise avec un temps de retard que la musique s'est enfin arrêtée.

Je boitille dans les couloirs.

On me bouscule. Je ne relève même pas la tête. Je ne pense qu'à une chose : rejoindre ma loge. J'ai l'impression de voir et d'entendre à travers un filtre. Les contours flous des gens que je croise, leurs paroles, leurs gestes, tout semble lointain. Je trouve enfin la porte menant à mes appartements, défigurée par les menaces écrites au feutre, les impacts de balle, et les traces de sang. Une fois à l'intérieur, je m'assois à ma coiffeuse. J'observe ce visage ensanglanté, à la fois inexpressif et souffrant, qui est le mien. Le maquillage qui soulignait mon regard noisette a coulé, des mèches blondes sont sorties de la coiffure, et j'ai perdu l'une de mes boucles d'oreille. Devant le miroir, impossible de ne pas voir que je ne suis qu'une fille brisée et que toutes les couches de poudre et de bijoux ne serviront pas à masquer l'absence d’envie de vivre.

Trois coups violents à la porte. Il n'a pas perdu de temps.

Harris déboule dans la pièce, flanqué de sa secrétaire et de son garde du corps. Toujours dans le costume noir qu'il porte pour les représentations. Il ne dit rien pendant quelques minutes, se contentant de m'observer. Un poids de plus sur mes épaules. Puis, il me gifle. Un coup sec, précis, et ma tête part sur le côté. Je porte une main tremblante à ma joue rougie et le regarde avec incompréhension.

- Pour l'humiliation causé, il répond à ma question muette.

Les larmes menacent de revenir, mais je les ravale. Je ne veux pas qu'il me gifle encore, pour la faiblesse dont j'aurais fait preuve. Harris fait un signe à sa secrétaire, qui s'agenouille devant moi. Elle dénoue les lacets noirs de mes chaussons. Prise de désespoir, je lui donne un coup de pied et court me réfugier à l'autre bout de la salle. Ces morceaux de tissu me permettent de survivre. Je suis prête à tout pour les garder.

La secrétaire me regarde, éberluée. Je n'ai pas retenu mon coup, la marque rouge sur son visage en est la preuve. Mais je n'ai pas de regrets. Cette pauvre femme préfère sauver sa peau en jouant les hypocrites avec Harris plutôt que de nous aider. Elle se tourne d'ailleurs vers lui, attendant sa réaction. Harris décroise les bras et sourit. Il s'avance vers moi, nonchalamment. Je m'aplatis un peu plus contre le mur. Sa présence envahi mon espace vital. Il plonge ses yeux dans les miens.

- Tu peux les garder si tu y tiens tant que cela.

- Qu'avez-vous dit ?

Je ne comprends pas. Non, Harris ne peut pas faire preuve de gentillesse à mon égard. Pas lorsque je viens de gâcher sa dernière représentation. Il ne peut pas me dire cela et sourire plus largement.

- J'ai dit que tu pouvais les garder.

Il s'approche un peu plus de moi, et je sens son haleine chaude contre mon oreille.

- Mais peut-être ne seront-elles pas du même avis.

Je blanchis. Des souvenirs que j'aimerais oublier remontent dans mon esprit. Les coups, les cris, les miroirs brisés. Elles, s'acharnant sur une des nôtres, parce qu'elle n'avait pas voulu, comme moi, rendre les chaussons. Je la revois, son visage amoché, des mèches de ses cheveux arrachées, ses vêtements déchirés, brisée de l'intérieur comme de l'extérieur.

Je me penche. Lentement, je reprends moi-même le travail de la secrétaire, et enlève un à un mes chaussons noirs. Les tend à Harris qui ne cesse de sourire. Il avise mes pieds nus et couverts d’ampoules, et la satisfaction se lit sur son visage.

- Bon choix.

Il ajoute autre chose, mais je ne l'entends pas.

Je ne peux détacher mes yeux de ce qu'il tient dans les mains. Mon salut. Conscient de l'importance des objets pour moi, Harris recule lentement et traverse la loge, avant de refermer la porte doucement. Un bruit de clés dans la serrure. Mue par une soudaine rage, je vais me jeter contre la porte en criant. Le battant tremble sous mon poids mais ne cède pas.

Je finis par m'effondrer devant, épuisée.

Je me sens vidée, de toute énergie, de tout espoir.

C'est comme si en emmenant les chaussons, Harris avait emporté une partie de moi, celle qui se battait encore pour sa survie. Maintenant, il ne reste plus rien. Je me recroqueville au sol. Les murs semblent vouloir m'avaler toute crue, comme ces hommes en costume dans la salle, que j'entends à présent à travers la porte. Ils rient à gorge déployée, vantant les mérites de la fille qu'ils ont gagné à la vente aux enchères, et ce qu'ils feront d'elle une fois rentrés chez eux. Leurs paroles me dégoutent. Un frisson me saisit quand je réalise que bientôt, c'est de moi qu'ils parleront comme cela.

Un papier glisse sous ma porte. Puis un autre et encore un autre. Des ricanements derrière la porte. Ils attendent. Ils attendent de voir s'ils pourront m'entendre réagir à travers le bois. Des salauds, tous autant qu'ils sont. Je me retiens de leur hurler de partir, de les insulter. Cette envie me dévore de l'intérieur, tout comme l'envie d'abandonner la lutte, de laisser la flamme vacillante qui brule en moi s'éteindre une bonne fois pour toutes.

Je ne sais pas combien de temps je reste là, les yeux dans le vague.

Vide.

Je m'endors, quelques minutes, quelques heures, quelle importance au fond ? On viendra me réveiller lorsqu'il faudra rejoindre les autres pour répéter. Je devrai supporter leurs regards haineux ou désapprobateurs, leurs messes basses, et, pire encore, je devrai voir l'une de ces pestes recevoir les chaussons noirs qui m'appartenaient. Je ne sais pas si je tiendrais.

Un son. Celui d'un bout de papier de papier glissé sous une porte.

Je ne me retourne même pas. Je ne suis pas d'humeur à lire toutes les menaces et les suggestions perverses des spectateurs. Un nouveau frottement discret se fait entendre. Je me retiens de soupirer. Dans cet enfer, on ne peut même pas sombrer tranquillement.

Deux coups à la porte, très légers.

Je me redresse, tends l'oreille. Pas un bruit venant du couloir. Mon regard se pose sans le vouloir sur la pile de messages. Au milieu des mots habituels, des lettres roses, ou tachées de sang, deux pages de carnet arrachées, sur lesquelles on peut lire :

Toujours

Son visage chaleureux apparaît dans mon esprit, couvrant le gouffre sans fond de mon désespoir.

J'approche ma main du battant, hésitante. je toque deux fois, retiens mon souffle. Puis, après quelques secondes, deux coups discrets se font à nouveau entendre. Fébrile, je me lève, attrape quelques feuilles et un vieux stylo.

Qui es-tu ?

Je fais glisser le message sous la porte. Quelques secondes plus tard, ma feuille revient, accompagnée d'une réponse.

Tu ne te souviens pas de moi ?

Je relis la phrase. Une fois, deux fois. Décide de répondre franchement.

Tu étais à la représentation.

Sinon, non, je ne me souviens pas de toi. Je devrais ?

Il a un hoquet de surprise. Sa respiration se fait plus bruyante et accélérée. J'ai presque l'impression de le voir, assis dans le couloir, à griffonner.

Tu ne te souviens pas... Je n'arrive pas à le croire. Tu... tu ne sais pas depuis combien de temps je te cherche Flora... Si j'avais su que je te retrouverais dans un réseau de trafic humain... Si tu savais comme je m'en veux... Je t'avais promis que je serais toujours à tes côtés, quoiqu'il arrive... Et toi, quelques jours après, tu disparais comme cela... J'ai cru devenir fou.

Je ne sais pas quoi répondre. Ses mots me chamboulent, mais d'une manière que je ne peux expliquer. Comme s’il existait, quelque part dans ma tête, un souvenir insaisissable, qui me permettrait de comprendre. Je prends une inspiration, et saisis mon stylo.

Etions-nous amis ? Je ne comprends pas. Et puis, tu ne m'as toujours pas dit qui tu étais. Comment pourrai-je donner du crédit à tes paroles, si je ne me souviens pas de toi ? Tu pourrais très bien être un énième de ces riches qui cherche à m'attirer dans ses filets.

Son grognement et le froissement du papier me prouvent qu'il est différent. Qu'il n'est pas venu pour les mêmes raisons que les autres. L'espace d'un instant, j'ai vraiment envie de croire qu'il me connaissait, et qu'il s'est inquiété pour moi au point de chercher jusqu'ici. Il me fait passer une nouvelle feuille, l'autre étant inutilisable.

Pardonne moi pour la feuille, je me suis laissé emporter. Mais, j'ai donné tellement pour te retrouver, et lorsque j'y arrive enfin, je découvre que tu m'as oublié. Comprends un peu l'effet que cela peut faire ; découvrir que celle que l'on aime nous a oublié. C'est un déchirement, mais je te pardonne, car je sais maintenant les horreurs que tu as dû vivre. Sache que moi je ne t'ai pas oublié, ma Fleur, et que je t'aime toujours autant.

Nickolas Parks

Je parcours cette lettre du regard, mais deux mots me stoppent. Je les dévisagent, et dans mon esprit, une voix grave me les murmure encore et encore. Une certitude nait en moi. Je les ai déjà entendu.

Ma fleur.

Un souvenir ressurgit soudain. Un chagrin me submerge, et sans savoir pourquoi, je me dis que je pleure parce que j'ai raté un examen important. Assez important pour déterminer le reste de ma vie. Une main se pose sur mon épaule, une parole rassurante. Je me blottis contre un homme, avant de le regarder à travers un rideau de larmes. Son visage est flou, m'empêchant de bien voir ses traits, mais je sais au plus profond de moi que je pourrais lui confier ma vie sans problème. Il m'attire à lui, et me chuchote à l'oreille :

- Quelques soient tes échecs, je serais toujours à tes côtés.

Puis, son souffle dans mon cou, il ajoute :

- Je t'aimerai toujours ma Fleur.

Un coup à la porte me fait revenir à la réalité. Un autre papier glisse sous la porte.

Je n'ai plus beaucoup de temps avant que les hommes que j'accompagnais s'aperçoivent de ma disparition. Je ne peux pas te faire sortir de cet enfer tout de suite, c'est trop surveillé. Mais je viendrais à la prochaine représentation avec, je te le promets, un plan d'évasion. En attendant, ne prends pas de risques inutiles par pitié, et ne mets pas ta vie en danger. Rappelle-toi, à la prochaine représentation, tu quitteras ce… lieu peu recommandable. Je t'aime. Et débarrasse toi de ces papiers. Il ne vaut mieux pas que quelqu'un se doute de ce que tu prévois de faire.

A peine ai-je fini de lire que je l'entends se relever. Ses pas résonnent dans le couloir.

- Attends !

Je me mords la langue. Ce mot est sorti tout seul. Les pas s'arrêtent.

- Oui ?

Sa voix est grave, familière. J'hésite un instant avant de rouvrir la bouche, de peur qu'une autre personne nous entende. Puis, je décide de prendre le risque.

- Merci, pour tout ce que vous faites. C'est dommage que je ne me souvienne pas de vous. Vous semblez être quelqu'un de bien.

- Je… De rien, il finit par répondre. Merci de me faire confiance, même si je ne suis qu'un inconnu pour vous.

Je hoche la tête, et j'ai l'impression que même sans me voir, il a deviné ma réaction.

- Nickolas ?

Je me fige en entendant la voix de Harris. Heureusement, aucun papier ne dépasse de sous la porte. Aussi silencieusement que possible, je ramasse ceux qui ont servi à notre conversation illégale, et les fourrent dans ma robe.

- Oh Harris, je vous cherchais justement ! Je voulais vous féliciter pour la représentation. Je déplore que votre danseuse la plus talentueuse se soit blessée au milieu du spectacle. J'étais d'ailleurs, en train de m'assurer qu'elle serait présente à la prochaine représentation.

Nickolas ajoute, plus bas.

- Elle n'a malheureusement pas voulu me répondre, mais j'espère que vous lui permettrez de se produire une dernière fois sur scène, malgré tout, car j'attends depuis longtemps de pouvoir mettre la main sur elle.

Cette dernière phrase me glace le sang. Je sais qu'il joue la comédie. Néanmoins, l'entendre parler de moi comme d'un objet que l'on peut acquérir est écœurante.

- Je vois, fait Harris.

Je pourrais presque l'imaginer jauger Nickolas de son regard calculateur. Le silence semble s'étirer, avant qu'il ne reprenne la parole.

- Ne vous en faites pas, elle dansera. Cependant, je ne peux pas vous garantir que vous gagnerez la vente aux enchères.

- Ne vous inquiétez pas, j'ai les moyens. Encore bravo pour cette représentation. J'ai hâte d'assister à celle de samedi prochain !

Les deux s'éloignent, chacun dans une direction opposée. Une fois que le silence est revenu, je pousse un soupir de soulagement. Si Harris était arrivé quelques minutes plutôt... je n'ose pas imaginer ce qu'il se serait passé. Quelle punition il m'aurait infligé pour seulement avoir envisagé la fuite. Je frissonne. Une fois, une fille l'a frappé au visage pendant l'une des répétitions. Il avait encaissé sans rien dire. On ne l'a plus jamais revu. Depuis, Harris se déplace presque toujours accompagné.

Le contact du papier avec ma peau me rappelle que je dois m'en débarrasser. Je me lève, saisit sur ma coiffeuse du mascara et entreprends de recouvrir la moindre écriture avec. Puis, je déchire la feuille en si petits morceaux, qu'il serait tout bonnement impossible de reconstituer les mots. J'en renverse aussi sur quelques mouchoirs, pour faire croire que le tube a fui, et jette le tout à la poubelle.

- RÉPÉTITION DANS CINQ MINUTES !!!!

Je me réveille en sursaut. J’ai mal dormi. Une de ces nuits cauchemardesques sans récupérer l’énergie nécessaire pour affronter la réalité.

Je me lève avec empressement de ce lit presque trop petit pour moi, et ouvre le placard étroit. Dedans, trois robes délavées et trouées par les mites. Je m’empare de la plus propre, l’enfile rapidement, toujours avec cette pression et cette peur qui me pèsent sur les épaules. Je plonge une main sous le lit, et farfouille dans la poussière pour y trouver une boîte rose. Celle de mes anciens chaussons. Rose pastel.

Cinq minutes plus tard, je me tiens droite comme un piquet devant la porte, le regard fixe, comme les autres danseuses. Harris traverse le couloir avec nonchalance, posant son regard froid et calculateur sur chacune de nous. A frissonner de peur. Lorsqu’il passe devant moi, il baisse les yeux vers mes chaussons, et un sourire mauvais se dessine sur son visage. Je me force à rester impassible, me retenant de mes jeter à ses pieds pour le supplier de me rendre mes chaussons noirs. Ma liberté.

Il finit son inspection dans le même silence pesant. Puis, au bout du couloir, il nous souhaite une bonne répétition toujours avec ce mauvais sourire, et disparaît. La tension se relâche, juste un peu. Nous nous dirigeons vers la salle de danse. Plusieurs filles me bousculent, prennent plaisir à me faire trébucher. Ma cheville me lance douloureusement. Mais, je ne dis rien. Je me contente de me relever, encore et encore, en espérant que mon absence de réaction les lassent.

La salle de danse est comme toutes les autres, composées de miroirs et de barres, et de parquet. Sauf que le verre est si fissuré qu'il est presque impossible de se voir à travers, et que le parquet est taché de sang et de colophane. Un rappel constant de notre situation cette saleté. Nous sommes seulement des objets que l'on exhibe une fois par semaine dans des robes pailletées, reléguées à la poussière le reste du temps. On nous vend, on nous utilise, et on nous jette, rien de plus.

Mais moi, je ne les laisserai pas faire. Ils m'ont brisée, ils ne me vendront pas. Je m'en fais la promesse. Une fille se place devant moi, et me tire de mes pensées. Je la reconnais, elle dansait à ma gauche lors de la dernière représentation. Ashley Burge.

- T'as pas entendu ce que j'ai dit ?! elle me crache au visage lorsque je relève les yeux. Allez, va à la barre, magne toi !

Je baisse la tête vers ses pieds, dévisage avec horreur les chaussons qu'elle porte. Noirs. Elle me sourit méchamment, prenant plaisir à voir mon visage se décomposer. Elle se penche vers moi, et me chuchote à l'oreille.

- J'ai entendu dire que tu avais supplié Harris de les garder, et qu'il t'a donné le choix. Si les autres filles l'apprenaient...

Je déglutis, réalisant son sous-entendu. Je rejoins la barre, et la serre si fort que mes phalanges blanchissent. Au moindre faux pas, Ashley peut me condamner. Cette dernière allume une vieille enceinte, et une douce musique en sort. Au début, je ne comprenais pas comment un lieu rempli de violence pouvait côtoyer la mélodie fragile d'un piano. Puis, j'ai vite compris que le malaise occasionné par ce mélange était voulu, et que c'était la preuve que même les choses d'apparence pures et jolies, cachent en réalité quelque chose de sombre et d'horrible.

Mes mouvements sont mécaniques, répétitifs. Aucun changement dans cette routine. Tout d’abord les pliés, puis les dégagés et les jetés. Ashley déambule dans la salle pour nous corriger, appuyant les dos pour les faire cambrer, tirant sur les jambes pour les lever jusqu’à une hauteur inhumaine, et n’hésitant pas à tordre les pieds pour accentuer les pointes. À mon grand étonnement, elle me laisse tranquille, se contentant de me réprimander de temps en temps sur mon grand écart pourtant parfait.

Trois heures plus tard, l’odeur de sueur est omniprésente. Essoufflées, mal en point à force de tirer sur notre corps pour lui faire gagner en souplesse. Cette méthode est cruelle. Elle nous enlève l’étincelle dans notre cœur pour la remplacer par une absence totale de sentiments. Danser devient une banalité, une chose fade.

Ashley nous hurle de nous placer au centre de la salle. Elle va nous apprendre une partie de la chorégraphie que nous présenterons à la prochaine représentation.

- Bon, toi, toi et toi devant en première ligne, elle ordonne à trois filles qui se confondent en remerciements, les larmes aux yeux.

Elles savent que le prix de départ de la vente aux enchères diffère en fonction de la place que l’on occupe sur la scène. Plus visibles nous sommes, plus cher nous sommes vendues.

Ashley continue de nous organiser en plusieurs lignes. Elle ne prend pas la peine de nous appeler par nos prénoms. Elle se tourne finalement vers moi, et me pointe le fond de la salle. Je ne proteste pas, sachant que cela m’attirera plus d’ennuis. Les filles rient lorsqu’elles réalisent où Ashley m’a mise. Elles arrêtent bien vite pour se concentrer sur la démonstration de notre meneuse. Je reproduis les pas avec grâce et souplesse, mais je n’ai pas la force ou l’envie de me fondre avec la musique et de laisser parler mon cœur. Résultat, mes pas sont aussi vide que ceux des autres.

- Toi au fond ! Me crie soudain Ashley. Viens ici !

Je m’avance. Les autres filles s’écartent en chuchotant. Au moment où j’arrive à la hauteur de la peste qui nous guide, elle me gifle.

- T’as pas écouté ce que j’ai dit ?! Un pas de bourré, quatre pirouettes, deux valses, grande assemblée ! Montre moi !!

Je m’exécute, et reproduis à la perfection chaque mouvement, jusqu’au bout des doigts, même si ma cheville me lance affreusement. J’ai à peine fini que je me reçois une deuxième gifle.

- Recommence !

Je m’exécute, mais ma cheville douloureuse me fait tant souffrir que je me mords la lèvre pour ne pas crier. Je tremble et perds l’équilibre à la quatrième pirouette. Je m’effondre sur le sol, et me relève tant bien que mal pour finir l’enchaînement.

Les filles ricanent autour de moi. Ashley sourit largement.

- Tu es vraiment nulle dis donc. Tu ne comprends rien, tu n’as pas d’équilibre, tu tombes, tu te plains… Une vraie gamine ! Comment pourrai-je te corriger ?

La lueur mauvaise dans ses yeux m’horrifie. Non, non, pas ça, supplie mon corps déjà meurtri. Mais Ashley se tourne vers les autres filles.

- Vous savez ? En plus d’être nulle, elle n’est qu’une menteuse et une hypocrite. Elle vous a amadoué avec ses compliments, elle s’est montrée douce, elle vous a donné espoir. Oh quelle gentillesse ! Elle ironise. Mais au fond, elle ne soucie que de sa personne. Harris a dû la forcer à rendre ses chaussons !

Les filles me lâchent des regards noirs. Ashley, continue.

- Elle vous a laissé décider d’une partie de la chorégraphie pour que vous échouiez et qu’elle gardent ces morceaux de tissu. Heureusement qu’elle s’est cassé la figure ! Mais, qui sait ? Peut-être recommencera-t-elle ? Elle mériterait une bonne correction vous ne trouvez pas ?

Elles hochent la tête et une dizaine de sourires mauvais se dessinent sur leur visage couvert de sueur. Je recule, et mon dos heurte l’un des miroirs. On me tire brusquement les cheveux. Je hurle, perds l'équilibre. Je vois leurs mains, partout autour de moi, me griffer, me gifler, et leurs pieds s'attaquer à mes côtes. Je n'arrive plus qu'à pousser des gémissements et à lever mes mains fragiles pour me protéger avec peine le visage. Tout mon être crie de douleur et d'humiliation. Je crois entendre leurs rires et leurs commentaires tandis qu'elles me frappent, encore, et encore. Le parquet se colore de nouvelles taches de sang. J'ai mal partout, et même dans mon cœur. L'impuissance m'emplis de rage. Je dois me battre ! Je dois...

Un dernier coup me fait perdre connaissance.

***

J'ai mal.

Mes pensées sont embrouillées. J'ouvre les yeux, et la lumière m'aveugle. Je tente de lever la main mais lâche un cri de douleur.

- Doucement, me murmure une voix fluette, elles pourraient t'entendre et revenir.

Je me tais instantanément. Les souvenirs affluent dans mon esprit, me faisant grimacer. Elles auraient pu me tuer. Elles l'auraient certainement fait. Harris les a peut-être arrêtées avant. Une main se fraye un chemin sous mes épaules, et me permet de me redresser lentement et de m'assoir contre le miroir. Maintenant habituée à la luminosité, je découvre la visage de mon interlocutrice. L'une des danseuses. Sentant mon regard s'assombrir, elle baisse les yeux.

- Je suis désolée pour ce qu'elles t'ont fait, elle s'excuse honteuse. J'aurais dû t'aider plutôt que d'attendre qu'elles soient parties.

- Non, elles s'en seraient prises à toi aussi, je la rassure. Tu as bien fait de me laisser les encaisser.

A ma grande surprise, elle se met à pleurer. Elle me rappelle moi, quand je suis arrivée dans cet enfer.

- Pourquoi sommes-nous là ? elle sanglote. Qu'avons-nous fait ? J'ai rien fait moi... Pourquoi sont-elles si affreuses si elles vivent la même chose que nous ?

- C'est leur manière de survivre, je réponds. Cela n'excuse rien, mais tout le monde ici essaie de survivre. Même ces pestes.

Je l'attire maladroitement à moi. Mes côtes protestent, mais je n'en tiens pas compte et caresse gentiment les cheveux bruns de la fille. Elle se laisse aller contre moi. Ses pleurs s'espacent, avant de finalement disparaître. Elle renifle, puis finit par m'avouer.

- J'étais partie faire une colonie de danse dans un petit village. Mes parents n'ont pas de quoi me payer des cours toute l'année, alors je vais souvent en colonie pendant les vacances. Pendant une semaine je me suis beaucoup améliorée et j'ai pris goût à la danse. Alors quand le directeur de la colonie m'a proposé de monter un vrai spectacle j'ai sauté de joie ! Il m'a dit que l'un de ses amis manquait de danseurs pour sa prochaine représentation. Mais quand il m'a annoncé que cette dernière se ferait à Paris, j'ai dû refuser en disant que mes parents n'avaient les moyens de me payer les transports et le logement. Le directeur a dit que si ce n'était que cela il m'accompagnerait. J'ai accepté et averti mes parents. Je... Je me suis faite avoir...

Elle recommence à pleurer et je lui chuchote des paroles réconfortantes. La pauvre. Elle voulait seulement apprendre à danser, et elle s'est retrouvée là. Arnaquée et perdue. Mais cette douleur m'est étrangère. Je soufre oui, mais pas à cause de mon passé. Non, je ne me souviens pas de ma vie d'avant. Je ne suis pas capable de dire si ma vie ne s'est résumée qu'à ces semaines de répétitions et de représentations ou pas. Si j'ai un jour été heureuse. Nickolas me revient à l'esprit. Avec lui, un espoir. L'espoir de retrouver un jour les souvenirs que j'ai perdu, l'espoir de partir. Je regarde la jeune fille dans mes bras. Fragile. Brisée. Comme moi. Je dois la sauver. Je ne peux la laisser là et m'évader.

- Je m'appelle Flora, je dis soudainement.

Elle écarquille les yeux. Ici, nous avons l'interdiction de dire notre prénom. Nous ne sommes que des objets, des danseuses déshumanisées. Nous ne méritons pas notre prénom paraît-il. Mais dans cette salle vide, animée par un vent d'espoir, je prononce avec assurance mon prénom. Il est une part de moi. Je ne vais plus la renier. Non, je vais me battre.

- Moi, c'est Hope, elle finit par murmurer.

L'ironie de son sort me frappe de plein fouet. Le destin a vraiment malmené cette fille. A cette pensée, je prends ma décision. Si je dois m'évader, je ferais tout pour l'emmener avec moi. Je lui redonnerai espoir, tout comme ce Nickolas l'a fait pour moi. Je lui prends les mains, la regarde dans les yeux.

- Hope, toi et moi, on va tenir tu m'entends ? On ne va les laisser nous briser. Jamais. On va serrer les dents, et à la fin de la semaine, on dansera devant des gens avides et pervers.

Elle blêmit. C'est bien ce que je pensais : elle est nouvelle.

- On va tenir, d'accord ? Ce sera horrible dans tous les sens du terme, mais on ne flanchera pas. Non, on s'accrochera à cette petite flamme dans notre cœur, celle qui nous anime quand on danse. On s'y accrochera comme à la vie, et on s'échappera, je te le promets.

Elle hoche la tête. Et la lueur dans ses prunelles bleues me remplit de joie. Elle s'est ravivée. Il est de mon devoir de ne pas la laisser s'éteindre, comme la mienne. Non, je protègerai cette petite, je lui épargnerai l'enfer. Et Nickolas nous sortira de là.

Cette phrase devient un mantra.

Nickolas nous sortira de là. Nickolas nous sortira de là. Nickolas nous sortira de là.

Une semaine plus tard, j'y pense encore, quand j'enfile mes chaussons roses.

Nickolas nous sortira de là.

Je me place derrière le rideau, à côté de Hope, tremblante. Je lui prends la main, et lui transmet tout mon courage et ma détermination dans cet échange silencieux. Je suis prête. Lâchez moi dans l'arène. Levez le rideau qui cache l'horreur. Je vous montrerai ce qu'est le vrai courage.

Le combat pour la liberté.

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