Resister

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Le temps passait. L'étau se resserrait. Prask, assis à son bureau, ne savait plus quoi faire. Lakr était la tête pensante de l'organisation. Il utilisait son influence pour obtenir des ressources qu'il distribuait à ses alliés. Il utilisait son charisme pour les mener. Il utilisait les informations que Prask lui confiait pour mener à bien ses actions. Le perdre serait terrible. Pour la résistance et pour Prask lui-même.

Lakr était le seul qui lui avait tendu la main lorsqu'il était arrivé dans ce monde à la fois cruel et enivrant de la cour, avant qu'il ne devienne ministre. Prask venait de fuir son père et son intransigeance, pour finalement se retrouver entouré de petits barons comploteurs et de comtes arrogants. Il s'était enfermé dans son logement, incapable de comprendre les autres démons. Il était devenu ministre car il avait remarqué par l'empereur lui-même, ou plutôt, parce que sa discrétion avait été remarquée. Il avait accepté dans un seul but : se noyer dans le travail.

L'arrivé de Lakr changea beaucoup de chose. Au début, il le trouvait insupportable. Quelle était cette joie, cette façon de rire en permanence, comme si la vie n'était qu'une blague ? Pourtant, il ne le refusait pas lorsque le libertin frappait à la porte. Son aura avait quelque chose d'étrangement captivant. Prask finit par apprécier la visite de cet étrange démon.

Puis il découvrit que son nouvel ami était un résistant. Il avait des preuves, qu'il avait découvertes lui-même en feuilletant des dossiers. Il l'avait alors confronté, dans son bureau, ce même bureau où il ruminait actuellement. Il lui avait demandé de dire toute la vérité. Lakr avait obéi. Il n'avait dénoncé personne, mais acceptait son châtiment.

Il ne s'attendait probablement pas à ce que Prask détruise les preuves et décide de rejoindre la résistance, pensant que cela donnerait enfin un sens à son existence. Il l'avait alors sauvé, ce jour-là.

Il devait le sauver une fois encore.

Son fiacre traversa la ville vers les quartiers plus pauvres, après un détour afin de semer d'éventuels espion. Vêtu d'une cape qui dissimulait son visage ainsi que de vêtements ordinaires, Prask était méconnaissable. Il faut dire que son image de démon tiré à quatre épingle lui collait tellement à la peau qu'il était aisé d'en jouer.

  • Laissez-moi là, demanda-t-il au cocher.

Il descendit, dans la boue de la rue, au milieu des bâtiments sombres. De faibles lueurs, sans doute des bougies, éclairaient quelquefois les fenêtres à moitié brisées des maisons. L'endroit était presque désert, et les rares démons, encapuchonés de haillons, préférèrent s'écarter de ce nouveau venu. Quelques habitants fermèrent brusquement leurs volets. Prask n'était pas le bienvenu ici.

Et pourtant, malgré la puanteur et cet accueil glacial, il se sentait plus en sécurité qu'à la cour. Au moins, ici, la puanteur se manifestait clairement. Pas de faux-semblants.

C'était pourtant pour un complot qu'il était là. Il marcha dans les ruelles obscures, évitant les passants qui l'évitaient tout autant. Enfin, il s'arrêta à une porte. Un simple X était gravé dans une des pierres de l'encadrure.

Il frappa. Deux long. Deux court. Un long.

La porte s'ouvrit sur un démon trapu. Il avait la corne de gauche abimée et une verrue sur le nez. À la vue de Prask, il pâlit, mais se reprit vite.

  • Vous désirez voir... ?
  • Je suis là pour la Dague Fumante, lâcha l'aristocrate. J'ai rendez-vous.

Le petit démon sembla hésiter, puis hocha la tête et lui fit signe d'entrer.

  • Il vous attend.

La demeure était sobrement aménagée. Une table, de multiples tabourets.... Et nulle décoration. Elle n'avait rien à faire ici. Pas le temps d'admirer la beauté quand la révolution devait éclater.

Prask entra dans le salon, où un démon musclé, fumant une triple-pipe, causait avec deux autres. Il tourna la tête vers Prask.

  • Et voilà notre...

Il se leva brusquement, laissant sa triple-pipe tomber au sol. Son regard brun était plein de terreur mais aussi de colère. Il regarda le démon qui avait laissé entrer Prask.

  • Imbécile ! Tu ne sais donc pas qui c'est ?

Prask le jaugea rapidement. Il avait de larges épaules, et la peau noire. Ses cheveux chatains, hirsustes, étaient coupés très court. Il avait mis la main sur sa dague. Et de toute évidence, il était bien mieux renseigné que ses compagnons qui les dévisageaient, lui et Prask, sans comprendre. Oui. C'était un solide membre du réseau de résistance.

  • Calmez-vous, Gorgo, tempéra Prask. Je suis dans votre camp.

La Dague Fumante, comme on le surnommait, tressaillit, sans lacher sa dague. Il se demandait probablement si c'était un piège. À son regard, Prask devina qu'il était en train de réfléchir à toute vitesse.

  • Vous êtes le ministre de l'information et de la censure, je ne vois pas pourquoi je devrait vous faire confiance.

Les autres démons reculèrent et portèrent eux aussi la main à leurs armes.

  • Peut-être parce que la majorité des informations que Sir Lakr obtient, il les a de moi, répondu froidement le ministre, sur les nerfs.

Le fait d'être menacé par des démons armés ne l'aidait pas à se détendre. Le résistant musclé réfléchi un instant, et se relacha imperceptiblement.

  • Vous êtes l'ami du boss, c'est ça ?

Prask hocha la tête. Il ignorait que Lakr se laissait appeler "boss", mais c'était actuellement le cadet de ses soucis.

  • Et si je prend le risque de me montrer à vous, c'est pour lui. Il est en danger.

Gorgo fronça ses sombres sourcils. Puis récupéra sa triple-pipe au sol.

  • Dans quelle galère a-t-il réussi à se mettre ? lâcha le résistant d'un air davantage fatiguée qu'énervé, comme si les mauvaises nouvelles s'enchainées.
  • Il est observé de près par la démoniapol. Il.... il veut que je le livre.
  • Quoi ?

C'était un autre démon, aux traits jeunes et aux cheveux roux, qui venait de parler. À en juger par la cicatrice qu'il arborait à la joue, la vie n'avait pas été tendre avec lui. Il s'approcha, semblant être à moitié abasourdi et à moitié en colère.

  • Le seigneur Lakr nous abandonne ? Pourquoi est-ce qu'il renonce maintenant ?
  • Il se pense condamné, et il veut que je lave les soupçons qui pèsent sur moi du même coup. Je pourrais ensuite continuer à vous aider. C'est ainsi qu'il pense.
  • Ah ouais ? Et ta peau vaut mieux que la sienne ? cracha le jeune résistant.
  • Cela suffit, Arzot, fit séchement Gorgo. Tout membre de la résistance, si puissant soit-il, sait que la mort est une possibilité.

Le jeune démon baissa la tête en serrant les dents.

  • Non, le jeune démon à raison.

Tous se tournèrent, surpris, vers Prask, toujours aussi impassible malgré ce qu'il venait de dire.

  • Ma vie ne vaut pas mieux que la sienne. Au contraire, je pense. Et c'est justement pour ça que ne compte pas lui obéir.
  • Que voulez-vous dire ? demanda la Dague Fumante.
  • Je compte bien faire en sorte de le sauver du radar de la démoniapol. Mais pour ça, je vais avoir besoin de votre aide.

Ces mots lui coûtèrent, mais ils étaient on ne peut plus vrai. Cette fois, Prask ne pouvait rien réussir seul.

Le résistant répondant au nom d'Arzot dévisagea Prask, plus curieux que méfiant à présent. Les autres démons discutaient entre eux à voix basse. Gorgo pris une bouffé de tabac et hocha la tête.

  • Et c'est quoi le plan ?

Alors ils semblaient lui faire confiance. Enfin confiance était un grand mot, quelque chose qui y ressemblait. Bien. Car ça n'allait pas être de tout repos. Le ministre se redressa.

  • Nous allons simuler la mort du seigneur Laskr.

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