Hôtel Dunygoroth (partie 3/3)

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 Lorsque le détective regagna sa chambre, le feu se mourait dans la cheminée et la température avait considérablement fraîchi. Cela ne fut pourtant pas ce qui contraria le plus l'enquêteur. En effet, ce qui le mit réellement mal à l'aise était le fait que la couverture avait glissé du miroir, alors qu'il était pourtant convaincu de l'avoir fixée avec soin. Il recommença donc l'opération, les mâchoires crispées et s'assura qu'elle ne pourrait se décrocher par la suite. Bien des années après le drame, il répugnait toujours à observer son image.

 Devant le feu, Harry hésita un instant à remettre une bûche puis haussa les épaules. Peu lui importait, au fond, la température de la pièce. Dehors, il faisait nuit noire. On entendait au loin le bruit monotone du ressac. Le détective surprit un instant son reflet sur la vitre et tira sèchement les rideaux sur le rectangle obscur au centre duquel il se silhouettait. Les ténèbres appellent les ténèbres. Il était temps de s'y plonger et de remplir la mission pour laquelle il s'attardait encore ici-bas.

 Allongé entre les draps blancs, linceul glacé et humide, le détective ferma les yeux et attendit. Au bout d'un instant indéterminé, une minute comme une année, il sentit les premiers remous autour du lit. Rapidement, le meuble se trouva ballotté en tout sens, comme une barque à la dérive au milieu d'une mer agitée. Bien avant de le voir, Harry sentit la présence de l'esprit qui le frappa de toute la force de son chagrin, avant de s'appesantir sur sa poitrine. Lorsque le détective ouvrit les yeux, il ne fut guère surpris par la face de cauchemar penchée sur lui qui l'observait, l'air avide. Cela ressemblait autant à une gargouille difforme qu'à un démon doté de grands yeux luminescents emplis de rage. Harry grimaça lorsque la chose agrippa ses cheveux et se mit à les tirer sauvagement, puis, avec peine, il repoussa l'assaillant afin de se redresser. L'homme et la chose s'empoignèrent alors et roulèrent d'un côté à l'autre du lit en une sinistre parodie d'étreinte amoureuse.

 La lutte fut âpre. Chacun des adversaires tentait d'étrangler son adversaire avec l'énergie du désespoir. De cette empoignade naquit la connaissance mutuelle de l'histoire de l'autre. Harry avait reconnu dans son assaillant une mara, créature diabolique qui peuple les nuits de sa victime d'horribles cauchemars dont il arrive qu'elle ne se réveille pas, puisque la mara a coutume d'étouffer cette dernière dans son sommeil. Le détective sut ainsi ce qu'il fallait faire pour s'en débarrasser. Quant à la mara, celle-ci cessa de lutter lorsqu'elle comprit qui était Harry Hunt et elle s'amollit entre les mains du vainqueur. Toutefois, dans un dernier sursaut, elle se saisit à pleines griffes d'une poignée de cheveux et tira brutalement, arrachant dans son geste un morceau de cuir chevelu. Les doigts du détective se crispèrent sur la gorge du monstre qui s'étiola peu à peu jusqu'à disparaître.

 La chambre, à la lumière de la lampe de chevet, ne gardait aucune trace de la lutte qui venait de se jouer. Seuls l'état des draps, réduits à un amas loqueteux, et le matelas déporté sur le côté qui avait renversé au passage une des tables de nuit attestait de la violence du combat.

 Harry s'extirpa du lit et alla se planter devant le miroir. Il leva la main pour se saisir de la couverture et se ravisa au dernier moment. Le geste lui coûtait tant qu'il laissa lourdement retomber son bras le long de son corps. Tel un boxeur déterminé qui se concentre dans les vestiaires juste avant le match de sa vie, Harry baissait la tête face au miroir, murmurant de vagues paroles d'encouragement et serrant les poings. Au bout de quelques secondes, d'un geste rapide, il se saisit de la couverture et tira d'un coup sec. Dans le mouvement cependant, l'étoffe entraîna le miroir qui se décrocha et vola en éclats sur le parquet. "Sept ans de malheur", songea-t-il, et il se prit à rire. L'envie de contempler son reflet lui était passée. De toute façon, il savait bien à quoi il ressemblait, avec son visage en partie brûlé et son front sur lequel devait retomber à présent un morceau de cuir chevelu sanguinolent.

 Le lendemain matin, le détective rejoignit de bonne heure la réception, convaincu d'y trouver Monsieur Finley. Ce dernier ne pensa même pas à dissimuler son soulagement en le voyant descendre les escaliers de sa démarche nonchalante. Il semblait aussi frais et reposé que la veille, toujours aussi élégant dans son impeccable costume. Le détective adressa au vieil homme un hochement de tête qui signifiait que tout était rentré dans l'ordre. Lorsque le propriétaire de l'hôtel le pressa de questions, Harry Hunt lui expliqua posément qu'il avait chassé la créature responsable de ses malheurs mais qu'il fallait détruire le lit, ce lit que Finley avait acheté dans une brocante dix ans auparavant, car la créature y était liée. Il fallait le brûler sur le champ ou l'offrir à son pire ennemi. Après quoi les deux hommes s'accordèrent sur la rétribution du détective. Finley ouvrit le tiroir du comptoir de la réception pour y piocher la coquette somme réclamée mais son œil fut attiré par la sonnette rutilante posée sur le meuble. La forme de l'objet renvoyait bien sûr une image déformée mais l'éclat du laiton ne permettait pas non plus de douter de ce qu'il vit à cet instant. Livide, le vieil homme releva la tête vers Harry Hunt puis son regard se posa à nouveau sur la sonnette vers laquelle il se pencha. La grande main du détective voila la surface réfléchissante. "Les ténèbres appellent les ténèbres, Monsieur Finley... Dépêchez-vous. Mon taxi m'attend."

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