Les enfants de Dana

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Nouvelle primée lors d'un concours

Réputés pour écrire avec habileté et détenir un esprit avisé, les Grim’Oires vivaient sereinement. Toujours joyeux, ils ne s’inquiétaient pas du quotidien. Lumineux, leurs chants emplissaient les salles de travail, tout comme les douces notes des instruments de musique maniés avec attention et amour. La paix régnait.

Respectés et aimés de tous, chaque être magique les associait à son cercle familial. Pour les nymphes, ils évoquaient les parents affectueux qu’elles perdaient trop tôt et pour les dryades, ils incarnaient les enfants immatures et attachants qu’elles adoraient gâter.

Caché dans son Sidh, lieu tant secret que sacré, ce peuple mystérieux vivait de visions et d’évasion. Le présent de la planète, ainsi que son futur, ne semblait pas leur échapper. Considérés comme de grands savants, leurs prophéties étaient célèbres et célébrées à travers tous les univers féeriques et les communautés venaient demander conseil. Grâce à ces perceptions, ils prenaient aussi soin des Hommes, qu’ils traitaient comme leur progéniture. Aller sur Terre pour distribuer sortilèges, avertissements et gaieté occupait leurs journées.

Bien que ressemblant aux humains en tous points, ils étaient reconnaissables grâce à leurs longues oreilles ornementées de bijoux. Des légendes racontaient d’ailleurs que la création des Elfes s’inspirait grandement d’eux, ce dont ils s’enorgueillissaient.

Un jour, un professeur de littérature, allongé dans un beau jardin, aurait aperçu un Grim’Oire se baladant gaiement. L’être étrange chantait, sautillait, appelait les forces de la nature à lui, s’éclaboussait de pétales de fleurs, distribuait sa joie de vivre et alpaguait les passants à portée. Le lettré, déjà féru de fantaisie, avait apprécié cette humeur simple et enchanteresse.

Depuis lors, ce peuple remarquable n’avait plus eu le droit de séjourner sur Terre. Cette aura solaire ne pouvait se soustraire à la vue et perturbait ou fascinait les Terriens. Le code du Sidh fut instauré par Dana, la Déesse primordiale, pour interdire toute interaction majeure avec les Hommes. Par cette loi, la déité désirait que la magie ne soit pas mise à nue face à la détermination des mortels de nuire aux entités inconnues. La divinité espérait également que ces derniers gardent leur libre arbitre pour rester les maîtres de leur destinée. Sa fabuleuse mère lui avait confié une mission et elle comptait s’en acquitter avec honneur.

Malgré la confiance accordée, les dires de Dana avaient été bafoués. Merlin avait outrepassé ses droits en façonnant Arthur et un groupe d’enfants grim’oirien avait fait l’école buissonnière et oublié ses livres d’apprentissage de la magie près de Glastonbury. Le mot « grimoire » avait alors vu le jour, avec une mauvaise orthographe. La terrible fureur de Dana avait fait trembler tous les Sidhs. Le passage entre les dimensions était désormais définitivement interdit pour les peuples désobéissants et quelques autres mages ou Dieux trop présomptueux.

Les Grim’Oires avaient accepté leur sort, s’étaient habitués à ce mode de vie et avaient établi des traditions pour ne jamais s’éloigner de leurs protégés, les humains. Pour l’une d’entre elles, les familles se réunissaient une fois l’an pour regarder les films de la trilogie du Seigneur des Anneaux. Il était de coutume de critiquer l’allure des Elfes, nettement moins radieuse que la leur, et de débattre des carrures des nains et de leurs barbes trop fournies tout en s’abreuvant de boissons fruitées et de mets délicats. Toutes les remarques fusaient et les larmes de joie coulaient. De nombreux débats continuaient jusqu’à l’aube sans qu’aucun groupe parvînt à choisir les plus gracieux représentants des sylvains chez Tolkien. Galadriel restait néanmoins dans les têtes de liste.

Un autre usage consistait à inviter les gens du Petit Peuple afin qu’ils racontent de vive voix ce qui se déroulait chez les Hommes. Dana ne leur avait pas interdit le passage. Ils savaient se dissimuler et ne se mélangeaient pas aux humains. Ils voyageaient ainsi à leur guise. Les korrigans étaient toujours avares de mots et faisaient rire par leurs mimiques et leurs allusions salaces. Les fées papotaient pendant des heures sans s’arrêter et assommaient leurs interlocuteurs. Les lutins se goinfraient de sucreries et riaient à toutes les facéties des enfants. Les gnomes aimaient parler de choses terribles ou malheureuses et souriaient souvent de manière cruelle. Les leprechauns sautillaient partout et distribuaient de l’or à tout le monde.

Les Grim’Oires chantaient la vie et la vénéraient. L’atmosphère flamboyante de ces rencontres les emplissait de joie. Une idée ingénieuse leur vint alors. Ils allaient aider les humains d’une autre manière.

Personne ne comprenait les retranscriptions des visions incroyables que leur don leur conférait. Celles-ci étaient d’une complexité singulière. Représentées sous forme d’arbres de probabilités mathématiques, les prédictions se composaient de multiples branches dont chacune dépendait d’un état précis, appelé « choix ». Quand une prémonition lui venait à l’esprit, le Penseur savait de quel choix elle dépendait et déterminait ainsi le nœud de départ de la nouvelle branche afin de la dessiner. Le passé et l’avenir s’entremêlaient sans cesse, les ramifications se comptaient par millions et les interprétations s’en trouvaient délicates. Les chemins probabilistes menant à une fin heureuse pour la Terre se faisaient rares.

Optimistes et investis dans leur mission, les Grim’Oires se mirent à fournir conseils et informations au Petit Peuple grâce à leur pouvoir de clairvoyance. Par ce moyen, ils voulaient continuer à faire avancer les humains dans la meilleure direction possible, sans défier Dana et son code. Les actions des êtres magiques du Petit Peuple se limitaient à apaiser les douleurs des humains, nettoyer la nature abîmée, insuffler de doux rêves, déposer de la nourriture sur les sanctuaires oubliés pour perpétuer les croyances celtes et guérir des blessures superficielles ou spirituelles. Elles ne pouvaient faire de mal.

La Déesse appréciait cette nouvelle façon de faire et était ravie de savoir les Grim’Oires véritablement heureux. Ils l’avaient bien mérité après toutes les souffrances vécues. La jeune immortelle espérait secrètement que cela aiderait également sa mère à apprécier davantage les Terriens.

Les Grim’Oires devinrent petit à petit des personnages plus importants. Ils n’avaient jamais eu autant d’interactions que depuis qu’ils ne pouvaient plus aller sur Terre et avaient enfin du temps pour aider les autres Sidhs. Certains Dieux venaient poser quelques questions et repartaient toujours avec davantage de certitudes. Cernunnos, le Dieu cornu, apprenait à mettre la puissance féminine et masculine sur un pied d’égalité et Epona, la Déesse des chevaux, commençait à apprécier les courses hippiques. Tout allait pour le mieux : ils croyaient en un avenir radieux pour eux et leurs petits protégés.

Jusqu’au jour où il se passa un phénomène rarissime. L’un des Conseillers n’avait pas trouvé de créatures magiques à alimenter en tâches depuis près de deux jours et s’en montrait extrêmement malheureux. Sa joie l’avait déserté. Les Grim’Oires faisaient face au phénomène de la déprime. Les cas se multiplièrent. Ils soulageaient les gens mal en point, mais se savaient impuissants face aux yeux larmoyants, crises d’angoisse et autres états apathiques de leurs semblables.

Les absences du Petit Peuple s’amplifiaient chaque jour davantage. Personne, même leurs pairs, n’était capable de dire où étaient passés les malheureux soudainement volatilisés. Des korrigans, nymphes, dryades, fées, gnomes, leprechauns et autres trolls manquaient à l’appel. Pourtant, le cercle des Penseurs ne signalait aucune prophétie nouvelle annonçant la fin des Sidhs ou celle de leurs habitants. Leurs visions étaient-elles troublées ? Dysfonctionnaient-elles ? Sans elles, arriveraient-ils à rester utiles ?

À suivre...

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