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 Quand il émerge du Barbare Ailé, une longue boîte couleur azur sous le bras, Frans ne reprend pas sa direction initiale. Il fait demi-tour en direction de l'arrêt de bus le plus proche, s'assoit sous l'abri et sort son téléphone portable.

 Je regarde par-dessus son épaule le message qu'il envoie à Keira :

  « T'es chez toi ? »

 Réponse immédiate :

  « Oui, pourquoi ? »

  « J'arrive. »


 Faute de place, le trajet se fait debout à l'intérieur du bus. La boîte d'Eraci plaquée contre sa poitrine, son sac bouffi ballotté entre ses baskets au rythme des à-coups pneumatiques.

 À quoi songe Frans ? (Encore et toujours, la question.) Est-il revenu sur sa décision initiale ?

 Une fois descendu du bus, il n'est plus très loin de chez Keira. Il presse le pas sur quelques rues et puis la voilà – elle émerge en relief, se déplie comme d'un livre pour enfants – la bâtisse aux murs ocre. À l'une des fenêtres de l'étage, la bien-aimée fait un signe de la main avant de s'éclipser. Frans passe le portillon et se précipite au pied de la porte d'entrée, qui ne tarde pas à s'ouvrir.

— Salut toi, fait Keira, un petit sourire au bord des lèvres (prêt à lui échapper et se fendre en grand). Qu'est-ce qu'il t'arrive ?

 Frans lui tend la boîte d'un geste un peu brusque.

— Ça s'appelle Eraci.

Eraci ?

Eraci. (Chez lui, même pas un sourire. Trop de nervosité. Tellement que ses mains tremblent un peu et que son regard évite celui – déconcerté – de Keira.) Ouvre, tu verras.

 Lui place son cadeau entre les mains.

— Frans, il ne fallait pas, vraiment... Ce n'est pas encore mon anniversaire, tu sais ?

— Je sais. Ouvre. (Il la presse. Elle trouve ça amusant.)

 Keira obtempère. Soulève le couvercle. (Frans l'en débarrasse et joue avec, le fait tourner entre ses doigts. De quoi occuper son anxiété.)

 Bouche bée, elle touche timidement les plumes.

— C'est... pour ma pièce ?

 Il hoche la tête.

— Tu t'es souvenu de ce que j'avais dit ? (Ses lèvres se fendent d'un vrai grand sourire, incrédule.)

— Je crois bien.

 Frans semble se détendre enfin.

— Elles sont sublimes. Elles ont dû te coûter une fortune ?

— Je les ai eues d'occasion, t'en fais pas.

— Elles sont en super état, en tout cas. Franchement, je ne sais pas quoi dire... (Elle n'en a pas besoin. Son émotion transparaît.) Les autres vont être jaloux quand ils me verront sur scène.

 Elle s'avance, l'embrasse, le serre dans ses bras. Et puis, Frans parle.

— Je vais devoir filer.

 Keira se décolle de lui.

— Comment ça ?

— J'avais quelque chose de prévu, à la base.

— Ah bon ?

— Une sortie avec des potes. Ils ont décalé à la dernière minute, donc je me suis dit, autant ne pas gaspiller mon temps et passer te voir. Mais là, je dois filer. Maintenant.

— Tu ne veux pas me voir les essayer ?

— On peut toujours faire ça plus tard...

— S'il te plaît, reste. Rien qu'une petite heure. Tes amis ne t'en voudront pas pour une petite heure de retard... Ils sont toujours à la bourre.

— Keira... (Il est très embêté.) Je n'avais pas prévu de rester.

 Elle n'en démord pas pour autant.

— Juste une heure... C'est vraiment rien, une heure ! On pourrait trainer, tu sais, dans l'aire commerciale désaffectée. J'ai une amie qui y est allée, il paraît que c'est désert en journée. Si on y va avec mon nouvel appareil, on pourra prendre des photos vraiment incroyables.

 Frans l'écoute en se mordant l'intérieur des joues.

 Et moi, j'ai une envie soudaine.

Il a quoi, dans la tête ?

 Envie puante. Primitive. Malpropre et dérangée.

 Envie de l'ouvrir, sa tête.

 Me glisser sous sa peau, sous ses ongles, sous ses paupières. Me glisser partout, remplir chaque commissure et voir par ses yeux, toucher, salir avec ses mains, embrasser avec ses lèvres, courir avec ses jambes et tomber, choc contre les os, sac de chair ébranlé. Vivre toutes ces choses et comprendre. QUOI À L'INTÉRIEUR DE FRANS ?

— Si c'est juste une heure...

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