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 J'entre. Prends place juste à côté de lui.

— Écoute, ça ne va pas fonctionner si tu ne parles pas du tout.

 La dame – CPE, à en juger par l'écriteau posé sur son bureau – agite un petit papier rose sous les yeux de Frans.

— Si on t'a envoyé me voir, c'est pour une raison.

 Elle esquisse un sourire qui ne dure qu'une seconde, forcée de constater qu'il ne le lui rendra pas. Frans a son air habituel – indicible, indéchiffrable. La femme soupire. Remet en ordre les feuilles qui trainent, empile des pochettes en carton pour s'occuper, avant de revenir à son interlocuteur :

— Ici, c'est toi et moi. Tu peux tout dire.

 Derrière l'élève, le mur est scindé par une grande baie vitrée. D'autres étudiants passent en discutant – des bribes de conversation ressortent : un prochain DST, les vacances à venir, la dernière soirée de l'un, la prochaine de l'autre – certains se sont même assis contre les murs du couloir, plaquant leurs dos contre la vitre, projetant leurs voix dans de longs échos pleins d'humeur.

 Le brouhaha couvre le silence qui s'est installé dans la petite pièce. Les sourcils étroits de la CPE se froncent davantage. Elle cherche quoi dire pour provoquer une réaction, mais je me dis que c'est en vain.

 Le vide est insondable entre elle et Frans.

 C'est toujours le vide entre les Hommes. Béance qui m'obsède, béance comme sentier, pour moi qui connais l'errance. Entre moi et les vivants, entre moi et Frans, entre Frans et les autres : l'absence (toujours pas le mot qui va). On essaie de marcher à travers, de l'enjamber, de faire des ponts ou des écarts, on essaie d'y tenir debout, dressé au milieu du rien, de bomber le torse, de faire preuve de courage, d'humanité, mais on s'y enfonce toujours. Et quand cette femme reprend : C'est à cause de tes camarades, c'est ça ?, elle s'y perd complètement, elle creuse au fond du gouffre.

—Bon, – elle jette un œil au papier rose – Frans, tu es malade, c'est ça ?

 Ce n'est pas vraiment une question. Elle se frotte les yeux, sans se soucier du mascara qu'elle étale, à fleur de peau. C'est comme ça, maintenant, Frans est malade. S'il ne veut pas répondre, c'est que quelque chose cloche ; et le plus simple reste encore une grippe ou un mal de ventre. Je peux comprendre. Ce mutisme, je sais comme il est excédant.

— Tu peux rentrer chez toi. Tu te reposes, tu reviens demain et tu verras, ça ira beaucoup mieux.

 Nous sommes le 28 mars, je le vois écrit sur l'écran d'ordinateur encore allumé. Reviendra-t-il demain ? Peut-être. Sûrement. Frans se lève.

— Et, le retient-elle, si jamais il s'agit d'un problème avec tes camarades, tu sais quoi faire ? Tu as vu les affiches dans le couloir ? C'est le plan anti-harcèlement.

— Oui.

 Il a la voix un peu rauque de quelqu'un qui ne s'est pas exprimé depuis longtemps.

— Tu as quelqu'un pour rentrer avec toi ?

— Non.

— Ah... eh bien, fais attention sur la route.

— D'accord.

 Échange de regards, un instant, comme si Frans allait dire quelque chose.

 Mais il ne parlera pas. Il s'éloigne et – c'est toujours la même histoire – il disparaît. La porte claque derrière lui, tremble, se brouille et se transforme. Laisse place à une autre. Double, battants bleus.

 Je suis au pied d'un bâtiment. La froideur tranche avec le bureau climatisé, la pénombre avec les spots emplafonnés. Pleine nuit, Frans attend au pied d'un long immeuble.

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