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— Il y a quelqu'un, en bas?

 La maison s'élève sur trois étages. Depuis le jardin, on distingue une fenêtre au sous-sol, dont il émane une profonde lueur bleue. Je la montre à Keira, assise sur mes genoux, qui hausse les épaules d'un air indifférent.

— C'est Odin, répond un gars que je ne connais pas. Ça va pas fort.

— Qu'est-ce qui lui arrive ?

— C'est compliqué.

 Je n'insiste pas. Depuis la petite table du jardin, on ne distingue pas l'intérieur de la pièce. Je parle à l'oreille de Keira en lui tapotant le flanc.

— Désolé, il faut que j'utilise les toilettes.

 Elle se lève ; je lui souris, l'embrasse avant de rejoindre la porte d'entrée. À l'intérieur, il fait moite. Musique assourdissante. Je cherche les escaliers. Me faufile entre les corps brûlants, brusques, précipités les uns contre les autres. Chope une bouteille de rhum au passage. Puis trouve les escaliers. Descente dans la pénombre, les pieds hésitants, les mains tâtant les murs.

 En bas, me croise dans un miroir. M'y distingue à peine.

 J'avance.

 La lumière bleue. Glissant de l'encadrure d'une porte.

 Un instant, immobile. Pendu à cette lumière, j'entends mon coeur qui bat.

 J'enclenche la poignée.

 Deux yeux noirs me regardent avec stupeur.

— Ce n'est que moi, dis-je sans savoir pourquoi, ou ce que cela signifie vraiment.

 Odin ne répond rien du tout.

— Ça va ?

— Oui, ça va.

 Il a la voix étouffée.

 Je suis saoul et étrangement ému : je vois à travers lui — je crois voir à travers lui. J'ai envie de lui dire, mais je me tais. Je me tiens au pied du lit où il est assis. Moi, silhouette titubante, une parmi d'autres, une parmi celles qui dansent au-dessus, qui s'étreignent et se détachent, se jettent et s'oublient. Moi, rien qu'une ombre qu'il oubliera demain. Car tous les visages se confondent, s'effacent et disparaissent. On ne se voit déjà plus vraiment. Ses mains tremblent et ses yeux cherchent dans tous les sens.

— Si tu veux parler, je suis là. Vu qu'on ne se connaît pas, c'est peut-être plus simple pour toi.

— Tout va bien.

 Je m'imagine assis à côté de lui. À discuter. Dire des choses pour se distraire. Se tenir compagnie. Il a un beau visage, doux, le genre qui passe au cinéma — gros plan sur la larme qui roule, sur la joue qui se froisse. L'espace d'une seconde, planté devant lui, je me sens capable de lui venir en aide, capable même, peut-être, dans une certaine mesure, d'aimer. Cela ne dure pas. Je sens la honte m'envahir.

— Je ne voulais pas te déranger. (Un pas en arrière.) Tu devrais monter, ça te changerait les idées.

 Il se lève.

— T'as raison.

 Et disparaît.

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