De la pauvreté volontaire

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De la pauvreté volontaire.





I





L’être humain qui est si fragile

S’il avait la juste intuition

Verrait cette étrange vision

D’un Dieu, artisan habile.

Car en effet quelle harmonie

Règne dans tout l’univers :

Partout des galaxies entières

Par des lois divines régies.

Engendrée la féconde terre

Le feu qui donne vie à tout,

Le vent qui s’engouffre partout

Mais aussi la superbe mer.

Perdu au milieu des étoiles,

L’homme est pourtant privilégié

Etant doté de liberté,

Du choix entre le bien, le mal.

Car Dieu dans sa magnificence

A créé l’homme à son image

Pour qu’il choisisse d’être sage,

Rejetant le monde des sens.

Mais l’homme dans sa déraison

Hélas ! Est impuissant à voir

Un Dieu qui dans son désespoir

Est déçu de sa création.

Ainsi l’architecte divin

Aperçoit d’un œil étonné

Ce qu’ont fait de leur liberté

Les hommes aux actes incertains :

« Je n’aurai jamais dû laisser

Les humains à leur triste sort,

Dit-il rongé par le remords,

C’est le désordre spontané !

Je vois les buildings orgueilleux,

Les voitures, avions et bateaux,

Ordinateurs, télés, radios,

Aussi les portables hideux.

Mais surtout les humains souffrants

Mourant de mille maux funestes.

Famines, guerres et autres pestes

Guettent ces hommes impudents.

Car ils s’entretuent pour un rien:

Un mot de trop et c’est la guerre,

Ou quelque bien, un bout de terre,

Suffit à tuer le voisin.

Et quand sont finis les combats

La famine les guette, inique,

Rongeant leurs ventres faméliques

Faisant souffrir jusqu’au trépas.

S’ils échappent à ces deux maux

La maladie les frappe, hideuse,

Pourrissant leurs chairs malheureuses

Tuant les veules et les héros. »

Dieu était vraiment courroucé

De voir ces pauvres avortons

Pour un peu sortait de ses gonds

Tant ils se gavaient de péchés.

Il décida de convoquer

La sainte fée philosophie

Pour voir si l’humaine folie

Méritait d’être rachetée :

« Mes créatures m’ont déçu,

Vois-tu ma fée philosophie,

Je pense leur ôter la vie

Pour leur grand manque de vertu.

Mais qu’ont donc fait ces imbéciles

De ma divine liberté ?

Ils sont tellement déréglés,

Au comportement indocile !

Que vois-je sur la morne terre ?

Une guerre entre eux sans merci !

Ils pouvaient vivre au paradis,

Hélas ! Se sont créés l’enfer !

Quand l’un dit blanc, l’autre dit noir,

Sans cesse de vaines querelles,

Leurs désaccords sont perpétuels

Tant ils recherchent le pouvoir.

C’est l’insigne loi du plus fort :

Entrent en guerres fratricides

Ou commettraient un parricide

Pour quelques petits morceaux d’or.

Leur vanité est sans limites

Ce sont des êtres fort grotesques,

Nains, qui se croient gigantesques.

Pas un mon amour ne mérite.

Moi qui leur ai donné la vie

Je le regrette amèrement

Moi qui de la bonté attend,

Ne trouve que la fourberie.

Tarés aux vices innombrables,

Leur vertu est inexistante,

Et leurs illusions insistantes

Rends ma pitié improbable.

Moi qui voudrait tant qu’ils s’embrassent

Qu’ils passent leur temps à prier

Et de par leur sobriété

Qu’ils me rendent action de grâce.

Ces mouches ne m’amusent plus

Je vais punir ces parasites :

Demain quelques météorites

Tomberont sur terre tout dru ! »

Ecoutant la fée philosophie

Pressa le grand Dieu d’être bon,

De montrer de la compassion

Et calmement lui répondit :

« Vous me dites une vérité

Mais réfléchissez à ce fait :

Certains ne sont pas si mauvais,

Eux devraient être sauvés. »

« Ils sont ridicules au mieux,

Dieu dans sa barbe marmonna,

Ma bonté ne méritent pas,

Ma fureur s’abattra sur eux. 

Je peux te faire le pari

Que pas un seul n’est vertueux

Pas un seul vraiment heureux

Tant ils ont le cœur assombri. »

« S’il y a un seul bienheureux,

Garderez-vous les tous en vie ? »

« Même un seul je garantis

D’arrêter le céleste feu.

Vois-tu ma fée philosophie,

Les hommes sont tous mauvais

Et sans répit insatisfaits.

La liberté les pervertit.

Ils ne se guident qu’à leurs sens

Satisfaits de plaisirs grossiers

Triomphant de médiocrité

Leur liberté se fait licence.

Chacun se croyant vertueux

Ne mettant jamais en question

Leurs déraisonnables actions

Tellement ils sont orgueilleux.

Alors se vautrant, misérables,

Parmi les objets sans valeur

Croyant là trouver le bonheur

Ignorant les biens véritables,

Méprisant les joies de l’esprit

Refusant, pauvres paresseux,

De comprendre, alors bienheureux,

Ce pour quoi ils sont là en vie. »

Triste, la fée philosophie

Déplorait la céleste ire

Ne voulant voir l’homme mourir,

Cachant son chagrin répondit :

« O majesté ! Seigneur divin !

Si un homme je vous montrais

Qui dans un grand bonheur vivrait,

Serait-il alors opportun

D’épargner la petite Terre ? »

« S’il existe ce sage pieux

S’il y a cet être je veux

Ne pas déclencher ma colère… »

Faisant fi de son scepticisme,

La fée écarta les nuages

Laissant voir un coin de bocage

Qui engageait à l’optimisme.

Et un doux rayon de soleil

Eclairait une humble chaumière

Une maison de prolétaire

Loin du monde et de ses merveilles.

Dans cette modeste masure

Habitait là un gai vieillard

Rustique, frugal et roublard

Vivant dans un bien-être sûr.

Ce vieux n’était ni beau ni laid,

Banal, ni bête ni brillant,

Laissant les autres indifférents

Tellement il était discret.

De pauvreté il faisait vœu,

Du superflu n’avait besoin,

Ne suivait pas ses désirs vains

Et se contentait de très peu.

Il méprisait les apparences

Vivant dans la contemplation

Que lui procurait la raison

Et du monde cherchait le sens.

N’étant pas prêt à aliéner

Pour quelques objets inutiles

Et des plaisirs souvent futiles

Sa si précieuse liberté.

La bonne fée philosophie

Sa compagne de tous les jours

Celle à qui il vouait de l’amour,

Souffla dans son oreille et dit :

« Philalèthe ! Toi qui es sage,

Dévoile-moi donc ton secret ! »

« La vertu n’est pas un secret !

Fit, vexé, l’homme au très grand âge.

Pour qui recherche la sagesse,

Pas besoin d’être fortuné :

Un peu de bonne volonté

Du bonheur nous donne l’ivresse.

Si tu veux savoir mon secret

C’est la divine pauvreté

Que j’ai tout exprès adopté

Qui me procure ses bienfaits.

D’une pauvreté volontaire

Pas de celle qui est subie

Celle là, hélas, interdit,

D’avoir le simple nécessaire.

Ma pauvreté, moi, je la veux

C’est mon rempart contre tout mal

Chassant de façon radicale

Ce qui nous rend si malheureux.





II





Hélas depuis les temps anciens

On reconnaît au dénuement

Des vertus en nombre et pourtant

Nul ne veut posséder ce bien.

Dans les pays développés

Les gens ont bien plus qu’il n’en faut

Pourtant on ne pense avoir trop

Tant on croit en sa probité.

Mais quel fort étrange mystère

Occulte nos inconséquences

Même si au bonheur tous pensent

Souvent vivons dans la misère

Il y a inadéquation

Entre notre belle raison

Et notre abject comportement

L’homme, animal incohérent

Certes qui connaît les secrets

Des étoiles les plus lointaines

N’a pas connaissance certaine

De son cœur obscur et très laid.

Et enchaîné à nos viscères

Ce mal si radical ronge

De réussite nos vains songes

Lors qu’on croit toucher l’univers.

Et si la lune avons conquis

Notre pensée reste magique

Notre conduite totémique

Sans cesse l’on se contredit.

Preuve en est la saine raison

Qu’on croit voir partout triompher

Or, quand on veut se maîtriser

Ce n’est pas dans notre maison.

Nous sommes maîtres et possesseurs

De la nature c’est certain

Mais rien dans nos actes n’est sain :

On cherche encore le bonheur.

Nous sommes restés des Cro-Magnons :

Humains à l’esprit anémique,

Hélas ! Aujourd’hui nous avons

En nos mains la bombe atomique…

C’est que la raison est pour nous

Non la fin mais un instrument

Dont nous usons indignement

Tout en nous croyant de bon goût.

Aussi devons nous instamment

Nous poser fort sincèrement

Cette si pressante question :

A quoi donc nous sert la raison ?

Hélas ! On voit évidemment

Que la raison comme instrument

Dessert nos plus viles pulsions

Sans jamais nulle interruption.

L’être humain en veut toujours plus

C’est là sa triste nature

Et pour servir sa démesure

Sans normes de son savoir use.

Le cœur de l’homme est si vorace

C’est une hydre polycéphale

Son envie d’avoir, abyssale

A la gloutonnerie fait place.

C’est pourquoi nous nous vautrons

Avec un tel empressement

Et de brillants raisonnements

Dans la triste consommation.

Voitures, portables, télés

Autant de totems rassurants

Du mauvais sort nous protégeant

Aussi nous rendent aliénés.

L’homme moderne, dérisoire

Dégrade son être en avoir

Alors s’engouffre en rangs serrés

Dans d’insipides supermarchés

Las ! L’humanité totémique

Mutile sa satisfaction

N’achète que du chimérique,

Du rêve vendu en rayons.

Nous vivons, pensons comme porcs

Nous ne sommes plus de humains

Mais des êtres gloutons et vains

Car corrompus par le veau d’or.

Mon Dieu que la caverne est belle !

C’est le triomphe de l’ontique

Basée sur la pensée magique

Le manque devient éternel.

Le règne de la marchandise

De l’image aussi du plaisir

Entretient nos plus vils désirs

L’excès étend là son emprise.

Que cache donc ce gaspillage ?

La compétition perpétuelle

La guerre interindividuelle

L’égocentrisme et ses ravages.

Misère, envie et vanité

Rôdent, voilées, comme catins,

Que cette abondance de biens

Peut à peine dissimuler.

C’est la misère symbolique :

Notre désir est mutilé

Par la tyrannie des objets,

Notre jouissance est asthénique.

La raison qu’on croit éclatante

Censée nous rendre indépendante

Est dominée par l’arbitraire

D’un égoïsme fort vulgaire.

Plus rien désormais ne fait lien

Entre nous les frères humains

Désormais le virtuel, l’objet

Nous ont pour toujours séparé.

La place est maintenant vacante

Pour la goinfrerie générale

L’humanité inconséquente

Se met au service du mal…





III





Le plus étrange cependant

Est l’empressement zélé

Qu’ont les hommes à justifier

Leurs si mauvais comportements

D’ailleurs d’hideux idéologues

Se font puritains apologues

D’une liberté sans limites,

D’un humain individualiste…

Laissez faire ! Hurlent-ils en chœur

Entretenez donc vos passions

Et agissez sans restrictions

Voilà le secret du bonheur…

Tout est permis, sauf l’homicide

Ce qui ne nuit pas au prochain

Est considéré comme un bien

Du bonheur moi même décide.

Alors le seul but de l’Etat

Est d’éradiquer la violence

La paix étant la récompense

Du peu à quoi on renonça

Vivant dans la sécurité

Chacun pour soi se mit à suivre

Cela pour quoi ils voulaient vivre :

Leurs intérêts particuliers.

Mais les hommes étant par nature

Inégaux en de nombreux points

Certains ont plus et d’autres moins :

Le monde où l’on vit est si dur…

Qu’importe ! Hurlent les hérauts

Du capitalisme sans freins

Il est normal qu’il ait le gain

Celui qui est le plus finaud.

Loin de nous l’Etat providence !

Qui entretient tous ces feignants

Son seul ministère important

Est d’interdire la violence.

Ainsi nous pourrons voir ébahis

Par on ne sait quelle magie

Qu’émerge un ordre spontané

Où chacun trouve un intérêt.

Comment cela est-il possible ?

Que du jeu des passions humaines

Naisse un ordre qui soit pérenne

Et une humanité paisible ?

L’homme qui, livré à lui même

Est un loup pour ses congénères

Par force, renonce à la guerre

Cessent alors tous ses problèmes.

Pourtant on pourrait estimer

Que l’homme dans son sollypsisme

Suivant son hideux égoïsme

Ne puisse se domestiquer.

Par miracle, hurlent les hérauts,

Dès lors qu’il vit en société

L’homme avec rationalité

Agit, même s’il est idiot.

Si tous suivent leurs intérêts

C’est un intérêt bien compris.

Dans la société où l’on vit :

Maximisons l’utilité !

Par exemple chez mon boulanger

Ce n’est certes pas en l’aimant

Que j’achète ses bons croissants

Mais c’est que c’est mon intérêt.

Peu importe le bien, le mal

Les choses peuvent exister

Que si elles ont utilité

Toute valeur étant égale…

L’homme, la mesure des choses

Est le credo de ces penseurs

Le relativisme est vainqueur

Insufflant son poison morose :

Voici l’Homme ! Ils hurlent ! Ils crient !

Le capitalisme gagnant

Ne triche pas avec les gens

Même s’ils sont des abrutis !

Finie la raison comme fin

Ils jurent chasser l’animiste

Car pour eux la raison n’existe

Qu’utile pour tous et chacun

La justice distributive

Est pour eux de l’âge de pierre

Se disant modernes ils préfèrent

La justice commutative.

Par conséquent c’est la victoire

De la raison instrumentale

Devenant un outil notoire

De la régulation sociale.

Bien vivre dans ces conditions

Devient connaître les techniques

Rationnelles et fort pratiques

Pour que triomphent ses passions

Car plus les gens sont différents

Plus la raison se fait utile

Ces techniques rendent faciles

L’ordre nouveau entre agents.

L’homme autrefois être divin

Devient agent économique

La raison qui était la fin

Se fait alors simple technique.

Evidemment ça facilite

Ce qu’on nomme ordre spontané

Puisque nous sommes régulés

Par ces techniques si simplistes.

Et ce que hait par dessus tout

La société capitaliste

Ce ne sont pas les égoïstes,

Ce sont les marginaux, les fous,

Les poètes et les alcooliques

A la raison si famélique

Et ne pouvant pas s’adapter

A cette triste société.

Ces réprouvés vivent en marge

Et l’on tolère leurs méfaits

Autant que perdure la paix

Qui fait que personne n’émarge.

Toujours dans leur aveuglement

Les idéologues impudents

En sont même arrivés à dire

Sans même éclater de rire

Que c’est là la fin de l’histoire

Et ils s’empressent d’ajouter :

L’homme libéral a gagné

Et tant pis s’il est dérisoire.

Alors l’homme capitaliste

De son petit corps prend soin

Se créant de nouveaux besoins

Par magie se rationalise…

Démocratie occidentale !

Est ce qu’il y a de meilleur !

En ton sein voilà le bonheur !

L’homme s’est donné tant de mal

Pour un si parfait résultat

Qu’on a peine à imaginer

Qu’une meilleure société

Puisse voir le jour ici bas.

Tant tout cela semble parfait

Tant tout semble bien régulé

Par une raison atrophiée

Menant à un bonheur si laid.

Et c’est là la triste victoire

De l’homme égoïste, imparfait,

Suivant ses mesquins intérêts

Délaissant l’être pour l’avoir…





IV





Voilà le paradis sur terre

Le capital nous l’a promis

Hélas ! Ce triste paradis

Peut se transformer en enfer…

En effet être rationnel

Pour nous est la nécessité

Car je ne vis pas isolé,

Sans prendre en compte le réel.

Bien au contraire, je ne vis

Toujours que par et pour autrui,

La raison est mon instrument

Pour exister parmi les gens.

C’est bien là le positivisme

De ce nouveau capitalisme

Qui pose comme postulat

Que la raison est toujours là

Et que dans tous les cas j’agis

En pleine rationalité.

L’irrationnel est refoulé

Dans les tréfonds de notre esprit

Ce qui fait que l’homme devient

Un sinistre objet de calcul

Et son essence n’est plus rien

Qu’une somme de particules.

Il se délite en équations,

Il n’est plus objet de mystère,

Et il s’explique à la lumière

De la science et de la raison.

Mais alors si tel est le cas

Celui qui maîtrise la science,

Celui qui a la connaissance

Peut soumettre l’homme à sa loi.

Si l’homme n’a plus de mystère,

Celui qui connaît ses secrets

Peut bien vite le maîtriser

Pour des motifs fort terre à terre.

Et c’est bien là ce qui arrive

On croyait l’ordre spontané,

Nous voici sous l’autorité

De puissances fort subjectives.

C’est la société de contrôle

Ou à chacun selon son rôle :

Les puissants parlent de marché,

Font grand cas de la liberté

Mais la seule vraie liberté

Est de toujours plus consommer ;

Achète des objets débiles,

Ainsi tu te tiendras tranquille.

Mais comment les puissants s’y prennent

Pour qu’on reste dans la caverne ?

Par nombre de médias idiots

On capte notre libido,

On synchronise nos désirs

En nous vantant les faux plaisirs

De tous ces hideux bibelots

Qui de loin paraissent si beaux.

La conscience est hypnotisée

Par l’horrible publicité ;

De marketting, le diplômé

A dorénavant remplacé

Le si grand philosophe roi.

Désormais consommer fait loi

Et emprisonne les humains

Dans un mode de vie malsain.

Et si cela ne marche pas,

Si de ce monde on ne veut pas,

Les puissants jouent lors sur les peurs

Se faisant un autre facteur

Qui est d’ailleurs fort effrayant,

De cohésion entre les gens.

Car si consommons sans répit

C’est qu’autrui est notre ennemi,

Que nous craignons pour notre emploi,

Que nous craignons d’être sans toit.

Nous craignons tant le dénuement

Que nous sommes malades des gens

Alors je ne vois plus autrui

Qu’en concurrent, en ennemi.

Et contre une paix mutilée

Nous nous adonnons au marché :

Acheter, c’est si rassurant

Mais ne rend pas intelligent.

C’est la misère symbolique

Justifiant la pensée magique,

L’être humain lobotomisé

Est complètement contrôlé

Par ceux qu’on nomme les puissants.

On croit à l’ordre spontané,

On croit à notre liberté,

Et c’est le diktat du marchand !

Lors, le paradis sur la terre

Est loin de se faire tout seul

Au contraire, il est fort précaire

Et se fait son propre cercueil.

C’est la société du symptôme,

Postulant l’homme rationnel,

Ce qui est bien superficiel,

Hélas ! On en fait un axiome…

Car les puissants ne considèrent

En nous que notre aspect ontique

Et rejettent l’ontologique,

Jugeant ce concept de naguère.

C’est la société du symptôme,

Les humains suivent des fantômes

Notre désir n’est qu’étouffé

Certainement pas surmonté

Et entretenus nos désirs

Peuvent à tout moment ressurgir

La preuve ? Enlevez leurs jouets

Aux hommes, leurs hideux objets,

Les objets de consommation

Et très vite ils s’entretueront,

Tellement la paix est précaire

Dans le mode du laissez faire.

Et quelle étrange liberté

Où, si dépendants des objets

Je ne puis pas m’en affranchir

Sans voir la guerre ressurgir.

Libre, mais sans indépendance,

Sans raison, sans autonomie,

A mes vils désirs je me fie,

Esclave des plaisirs des sens…

Quand on entend à la télé

Que c’est la fin de l’histoire,

L’homme libéral a gagné,

L’homme sage ne peut que voir

Une étonnante escroquerie

Faisant croire à tous les humains

Qu’avoir abondance de biens

Est là le but de notre vie.

Mais alors quelles sont les fins

De la société libérale ?

Est-ce la liberté totale

Et le désir sans aucun frein ?

Si chacun est libre du choix

De ses règles, aussi de ses lois,

Il n’y a alors plus de loi

Définissant le bon en soi.

Chacun acquiert donc dans son coin,

Ce qu’il estime être un bien.

Pour untel, c’est une maison,

Pour l’autre, la télévision.

Le bonheur se fait subjectif

Au point qu’il devient invisible.

Les objets eux, se font sensibles

Seuls êtres vraiment positifs.

Alors produire et consommer

Deviennent nos seules valeurs

Nul principe régulateur

Ne vient borner la liberté.

Car la raison est cantonnée

A être un funeste instrument,

La raison comme achèvement

Est hélas marginalisée.

Et pourtant la raison doit être

Non un instrument mais la fin,

Principe normateur afin

De toute chose lui soumettre.

Alors amour et liberté

Seront principes universels

Que nous désirerons pour elles

Et non pour leur utilité.

Mais, hélas ! Une chose est sûre,

Nous faisons de la liberté

Un usage inconsidéré

Menant droit à la démesure.




V




Dans mes longues années de vie

J’ai acquis le discernement

Et enfin compris l’idiotie

De la raison comme instrument :

Si la raison n’est qu’un outil

Qu’est-ce qui nous différencie

Parmi les autres animaux

Animés d’instincts fort bestiaux ?

Bien au contraire la raison

Est notre spécificité

Par conséquent s’y conformer

Est la plus noble décision.

Et la raison agit alors

En principe régulateur

Car on est vraiment libre et fort

Que sous ce si bon gouverneur :

La liberté n’a aucun sens

Sans la responsabilité

Sans la raison pour réguler

La liberté se fait licence.

Et en ces temps si obscurcis

Etre quelqu’un de responsable

C’est aussi se faire capable

A soi-même d’avoir obéi.

Lors la responsabilité

Doit donc se faire autonomie

Et par la raison affranchis,

Usons bien de la liberté.

Ce que dans ma vie j’ai compris

C’est que l’autonomie n’est rien

Si en plus elle ne devient

Ce que l’on appelle autarcie.

Mais que vaut donc l’autonomie

Si elle est simplement abstraite ?

Elle se doit d’être concrète

Et doit devenir autarcie.

Car que vaut mon autonomie

Si elle reste à la merci

De ces misérables marchands

Suçant l’être des pauvres gens ?

Aux libéraux je ne veux pas

Faire le moindre compromis

La solution, c’est l’autarcie

Qui m’éloigne de ces gens là.

Et tant pis si mon attitude

Me conduit à la solitude :

J’ai la grande satisfaction

De vivre selon la raison.

Hélas les médiocres humains

S’entretuent, se font la guerre

Pour de petits morceaux de terre,

Pour avoir plus que le voisin.

Je ne veux pas perdre mon temps

A essayer de les changer

C’est impossible et insensé

Tant ils agissent sottement.

Du cours du monde s’éloigner

Devient une nécessité

Pour qui veut vivre sainement

Loin de ces hommes si violents.

Voilà pourquoi loin des humains

Du monde me suis retiré

Et j’ai fait de la pauvreté

Un principe de vie fort sain.

Alors dorénavant je vis,

Pauvre et seul, mais à l’abri

Dans une maison isolée

Loin de toute méchanceté.

Très simple et sobre est ma maison

Construite selon la raison

Faite en matières recyclables

Et d’aspect assez agréable.

J’ai aussi un peu de terrain

Où poussent différents légumes,

Salades, radis et agrumes

Qui apaise souvent ma faim.

Pour me chauffer une éolienne

Produit tout ce dont il me faut

Et j’ai de l’électricité sans peine,

Sans polluer ni en faire trop.

Car c’est la seule chose à faire

Pour qui veut vivre selon le bien

C’est vouloir vraiment être austère,

Se limiter à ses besoins.

Le naturel, le nécessaire

Suffit donc à me satisfaire,

Aussi je n’a pas de raisons

De vouloir imiter les cons

Qui amassent biens sans valeur

Sont prêts à se faire exploiteurs,

Vivant dans la méchanceté,

Pour de hideux colifichets.

Au contraire, autosuffisant

Si par hasard je veux manger

Quelques légumes vais chercher

Dans mon jardinet si charmant

Et si d’un poisson j’ai envie,

A la rivière vais pêcher

Et quand je veux boire du lait,

Ma jeune vache me le fournit.

Lors, quand il faut se déplacer

Un antique vélo rouillé

M’amène où je veux aller

Tout en procurant la santé.

Comme je vis de mon jardin

Du travail je n’ai pas besoin,

Tailler, sarcler et biner

Suffit déjà à m’occuper.

Et les gens qui viennent me voir

Ne sont pas mus par l’intérêt

Mais par l’amour du beau, du vrai

Sûrement pas pour mes avoirs.

Donc loin de moi les parasites

Qui autour des biens gravitent

Je n’offre que des discussions

Basées sur la saine raison.

Mes amis sont les psychotiques,

Poètes et autres marginaux,

Des gens par ailleurs fantastiques

Et qui se traitent en égaux.

Autrui est toujours mon ami

Car de ses bien n’ait pas envie

Mon intérêt est pour son âme,

Et si jamais une jolie femme

Avec moi veut bien converser

C’est qu’elle est désintéressée

Donc c’est qu’elle m’aime vraiment

Aussi pouvons nous être amants.

C’est bien sûr l’amour qui nous lie

Et ensemble nous contemplons

La beauté de la création

En communiant en esprit.

Comme je vis en autarcie

Et j’ai choisi la pauvreté

Je ne suis pas de ces gens qui

Ont peur de perdre leurs objets :

Ces gens qui vivent dans l’avoir

Ne connaissant que la terreur,

L’envie aussi le désespoir

De perdre ce qui est sans valeur.

Des hommes, de la société

Je n’ai vraiment aucun besoin,

Contre moi, ils ne peuvent rien :

L’autarcie m’en a détaché.

Et alors devant un bourgeois

N’ai pas à me prostituer

Réclamer ou bien mendier,

Me soumettre à sa triste loi ;

Au contraire je le critique

Je l’insulte comme il se doit

Car il ne peut rien contre moi

Malgré son désir tyrannique.

Comme j’ai ce dont j’ai besoin

J’ai aussi tout ce que je veux

Je vis donc à l’égal des Dieux

Car comme eux ne manque de rien.

Donc je plains les hommes vulgaires

Dont le bref passage sur terre

Est hélas guidé par la peur.

Ils ont peur d’un simple voleur,

D’un triste revers de fortune,

De ceux qui ne sont pas comme eux,

De perdre leurs objets affreux,

Et, plus que tout, manquer de thunes.

Mon indépendance fait que

Je deviens vraiment amoureux

Du juste, du beau, du vrai.

Je suis à l’abri des méfaits

De la peur, du désir d’avoir.

Je ne crains ni n’espère rien

Etant à l’abri du besoin ;

Je ne cherche que le savoir.

Et comme je suis détaché

De tous les biens qui sont terrestres

Je n’aurai vraiment rien à perdre

Quand la mort viendra me trouver.

Et je partirai sans tristesse

En n’emportant que ma sagesse

Car je n’aurai à regretter

Qu’une vie vertueuse et gaie.

Bien au contraire, après la fin

Je suis certain de partager

Les biens véritables donnés

Par un comportement très sain.

Les biens qui sont vraiment réels :

Amour amitié, vertu

La pauvreté m’en a pourvu,

Je les retrouverai au ciel.

Car quand je monterai aux cieux

Partager les plaisirs des Dieux

Je suis sur qu’eux et moi vivront

Conformément à la raison.

Et je plains ces hommes éblouis

Qui seront sûrement punis

Quand justice sera rendue

Sur des critères absolus.

Ils sont à ce point aveuglés

Par leur propension pour l’avoir

Que pour beaucoup il est trop tard

De réellement s’amender. 

En fuyant l’humaine folie

J’ai vécu raisonnable vie

Etablie par l’indépendance

Et guidée par la transcendance.

Je te prie Dieu d’avoir pitié

De notre vie si mutilée

Ignorant les biens véritables

Et se vautrant dans le rentable.

Nous sommes encore des sauvages

Nous souffrons de mille faiblesses

Car nous préférons la paresse

A la pénible voie du sage. »







VI




Lorsqu’il eut prononcé ces mots

Philalèthe était fatigué,

Dans son antre il voulait rentrer.

Il pensait en avoir dit trop.

Dieu et la fée philosophie

En étaient restés interdits

Mais ils devaient bien concéder

Que ce discours était censé.

Et Dieu prit la parole et dit :

« Ton beau discours te fait honneur,

Des humains tu es le sauveur

Car tu es vertueux, gentil,

Tu rachètes par ta vertu

Les humains au cœur obscurci.

Que je croyais déjà perdus.

Oui ! Tu m’as fait changer d’avis !

J’avais dit qu’un seul suffisait

Qu’un seul humain soit vertueux

Pour que tous puissent aller aux cieux

Tu rachètes tous leurs méfaits.

Soit ! Comme j’avais promis

Je ne détruirai pas la terre

Ni cederai à la colère

Car toi tu mènes bonne vie. »

« Votre majesté est très sage,

Lui dit la fée philosophie,

Je vous rend mille et mille hommages

Pour avoir un si bon esprit. »

Ce à quoi Dieu lui répondit :

« Tu as bien fait de me montrer

Ce Philalèthe si gentil

Je m’en vais le récompenser. »

Et se tournant vers lui il dit :

« Philalèthe ! Comme récompense

Je te donne éternelle vie.

Auprès de ma magnificence

Tu peux maintenant séjourner.

Tu auras la félicité

Connaissant plaisirs ineffables

Et pour un temps incalculable.

Tu l’as vraiment bien mérité.

Maintenant je n’ai qu’à laisser

Les humains à leur triste sort,

Tant pis s’ils vivent comme porcs. »

Alors Philalèthe monta

Tout transfiguré vers les cieux

Pour aller vivre auprès des Dieux

Partager des plaisirs de roi.

Sur terre personne ne vit

Que Philalèthe était parti ;

Ils continuaient à s’entretuer

Pour quelques misérables objets.

Bien sûr, personne ne songea

Que c’était ce vieil homme là

Qui par sa belle pauvreté

Avait sauvé l’humanité…


FIN












































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