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— He bro ! Bien ou bien ? Les vacances ? T'as vu, Maddie s'est mise avec Virgile ! Ils arrêtent pas de s'galoche H24 ! C'est insupportable ! s'exclame Félix à peine Maïeul a-t-il décroché.

— Cool... répond mollement ce dernier, sachant pertinemment que lorsque Félix est lancé il est inarrêtable.

Son regard rivé sur la fenêtre désormais réparée de la chambre de Myranda, il entend. Et encore. Tout juste. En tout cas, il écoute pas. Ça, c'est sûr et certain. Absolument rien.

Et pourtant, il les aime, ses amis. Profondément. Très, très, très profondément. Ils sont sa seconde famille.

Mais toutes ses historiettes le laissent indifférent. Que Maddie et Virgile s'amourachent l'un de l'autre et s'acoquinent, grand bien leur fasse ! Lui, tout ce qu'il veut à cet instant précis, c'est s'assurer que Myranda va bien. Il l'imagine en pleine santé, avec des joues rosées et autre chose que la peau et les os. Ils se promèneraient près de la rivière, parfois seuls, parfois avec Bald, joueraient au foot, dégusteraient les tartes de Mamie Coco, qu'ils l'auraient bien entendu aidée à cuisiner.

Mais non, il ne l'a jamais vue comme ça. Et c'est pas demain la veille que ça arrivera...

Et puis, elle est sublime comme elle est : le teint cireux, les yeux cernés, les lèvres aussi pâles que sa peau, sa maigreur inquiétante...

Il n'a pas d'autre choix que de se dire ça pour se rassurer. Pour l'accepter telle qu'elle est : mourante. Ou pour ne pas l'accepter telle qu'elle est. Il ne sait pas. Il ne sait plus. Il est perdu.

Oui, c'est clair qu'elle est sublime... parce qu'il sait voir à travers la maladie. Tant son corps que son âme. Pour un autre que lui, elle doit être... juste... une mourante rachitique. Il y a quoi de magnifique à cela ? Lui, il voit. Tout. Myranda telle que les autres la voient. Myranda telle qu'elle est. Myranda telle qu'elle devrait être. Myranda telle qu'il rêverait qu'elle soit.

La silhouette de Virginie s'agitant derrière le rideau lui fait froncer les sourcils. C'est une femme sublime elle aussi, et en pleine santé, alors il ne peut pas s'empêcher de se demander si Myranda aura la chance d'être aussi magnifique un jour, d'aller à l'université, de se bourrer comme un coing en soirée, de rencontrer l'amour, de se marier, de fonder une famille... avec lui... il rêverait plus que tout qu'elle expérimente tout ça avec lui...

Mais pourquoi voudrait-elle de lui ? Pour commencer, elle doit se dire qu'elle n'a pas d'autre avenir que celui de mourir. Et puis... avec lui ? Il est juste... gentil. Il est aussi agile, rapide et malin comme un singe, et il a de l'humour, mais à quoi ça lui servirait pour embellir sa vie ? Elle mérite le meilleur, et peu importe toutes ses belles qualités, il ne sera jamais à la hauteur de lui offrir tout ce qu'elle souhaite, tout ce dont elle a besoin et tout ce qu'elle mérite.

Entouré de ses amis et de ses proches, il trouve toujours que tout va trop vite, il veut se poser, prendre le temps, ne pas grandir trop vite, être encore un enfant avant que le poids de l'avenir et des responsabilités ne s'abatte sur ses épaules. Mais avec elle, il veut faire un bond dans l'âge adulte, expérimenter toutes les premières fois de l'univers avec elle, le mariage, les enfants, leurs premiers mots, leurs premiers pas, leurs premiers tout, puis la retraite, côte à côte.

— Alors, t'en dis quoi ? Tu p...

— Je te rappelle, Mamie Coco m'embistrouille de pas passer ton mon temps au téléphone, salut... marmonne distraitement Maïeul avant de raccrocher sans se soucier des protestations de son ami. Bon ? Allez, Maïeul avec un i, pas avec un y, bouge-toi ! se morigène-t-il, avant de pouffer, surpris d'utiliser le surnom que Myranda s'amuse à lui donner pour le taquiner en référence à leur toute première rencontre.

— Reste.

Ce murmure-souvenir, si douce mélodie à ses oreilles, le transporte aux côtés de Myranda, sa Myranda.

— Décris-moi l'extérieur : je ne sors jamais de cette chambre.

Alors que l'heure survient qu'il retourne avec Bald chez les Perrier pour s'aquitter de leur punition, il a des termes plein la tête pour décrire l'extérieur à Myranda : pétrichor, zinzolin, flavescent... Peut-être pourra-t-il encore voir Myranda cet après-midi, et ainsi avoir une chance d'utiliser tous ces termes. Il se promet que durant ses vacances, tous les soirs au coucher, il écrira des pages de ce qu'il voit, entend, sent... pour pouvoir les donner à Myranda, à défaut de pouvoir les lui lire...

Il le sent bien, que Virginie ne les apprécie pas beaucoup, lui et Bald, et lui encore moins, parce qu'il furète tout le temps auprès de Myranda. Quand elle est là, il se sent de trop, comme un vase Ming dans un taudis, il se perçoit comme un danger pour les Perrier. Avec David, il se sent juste... comme un ami de Myranda.

Pourquoi serait-il un danger pour Myranda ? Peut-il la tuer rien qu'en venant lui rendre visite ? Et si elle attrapait un virus à cause de lui par-dessus sa maladie et succombait ? Mais dans ce cas, pour quelle raison David, qui est si aimant et attentionné envers tous ses enfants, et surtout Myranda du fait de son état de santé, ne le percevrait-il pas également comme un danger ?

— C'est curieux...

— C'est quoi qu'est curieux ‽

Maïeul fait un bon de frayeur et plaque ses mains sur son palpitant affolé, les yeux écarquillés désormais dirigés sur Bald, sur le seuil de leur chambre.

— Désolé, je venais te dire que c'est l'heure qu'on part chez ta Myranda chérie.

Bald, taquin, mime un baiser et papillonne des cils. Maïeul rit en lui lançant son oreiller en pleine figure.

— Arrête, triple buse ! C'est pas ma Myranda ! proteste-t-il. Bon, ok, c'est ma Myranda... ou en tout cas j'amerais bien... marmonne-t-il en virant à l'écarlate, poussé à avouer par le regard scrutateur et transperçant de Bald. Mais ça reste entre nous, Mamie, Papi et papa, d'accord ? Je veux pas me faire bâcher par les copains aussi !

Il ébouriffe les cheveux de Bald avec un grand sourire, heureux de leur complicité fraternelle toujours au sommet.

— Arrête ! C'est l'heure de retrouver ta Myranda, tu pourras jouer avec ses cheveux à elle et lui faire des poutous !

Bald s'enfuit au pas de course en riant aux éclats. Maïeul pouffe et le poursuit en s'exclamant :

— Reviens ici, espèce de...

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