S'abriter sous une feuille...

Image de couverture de S'abriter sous une feuille...

A la petite équipe d’ambulanciers qui, déjà, ne l’écoutaient plus, Jean-Bernard Marigot racontait encore que, parfois, le ciel de Roissy flamboyait de bleu et qu’il suffisait de se pencher un peu, sur la gauche, pour presque apercevoir les tours de Clergy. Et que l’on devinait à peine la ligne grise, sinueuse de l’autoroute, effectivement à moitié dissimulée, sans doute déjà dans l’ombre des collines qu’enjambaient les zébrures électriques de la Centrale. Et aussi, voyez-vous, qu’une multitude d’oiseaux nichait dans le parc, un peu plus bas. Et qu’ils venaient se satisfaire des quelques miettes que l’on abandonnait, plus ou moins à leur intention, sur le balcon, picoraient gentiment de concert, se posaient de temps en temps, y compris sur le rebord de la fenêtre. Et que l'on pouvait, alors, s'amuser de leur vivacité, observer tout à loisir leurs becs insatiables… A condition, toutefois, de ne pas bouger d'un cil ! De garder parfaitement immobile le bol de café que l'on tenait à la main, sans même respirer tandis que l'aube gagnait l'horizon et que, d’un peu partout, montaient mille rumeurs de levers maussades, de disputes qui n'avaient plus cours, d’enfants pleurnichards que l’on tirait du lit en rouspétant, de pyjamas fatigués que l’on glissait au dernier moment dans le tambour de la machine à laver, de téléviseurs aux couleurs saturées que l'on n’écoutait plus, d'informations météorologiques ou musicales qui n’intéressaient personne, de cartables bien trop lourds que l’on soupesait en geignant, de clés que l'on avait égaré, oubliées dans les poches du pantalon, glissées ici ou là, Dieu sait pourquoi, et que l'on cherchait en maugréant l’œil immanquablement rivé sur l'horloge. Oh, bon sang, que tout cela passait vite… Car c'était tellement drôle, croyez moi, de pouvoir espionner ce manège. La femelle, presque apprivoisée, se régalait de la moindre aumône… Et quant au mâle, chamailleur au possible, c’était immanquablement au milieu du festin qu’il surgissait ! S'invitait au premier rang à grand renfort de piaillements pour disparaître brusquement dans l'envolée d'une bourrasque de vent ou le claquement d'un volet… Et Jean-Bernard Marigot, dans la tourmente et les aléas de l’escalier, les obstacles et les jurons, plaidant encore sa cause depuis son brancard, ajoutait à ses juges, d’un air entendu, qu’il connaissait absolument par cœur les ressorts secrets de toute cette pitoyable mascarade de plumes et de becs depuis qu’autrefois, savez-vous, sur le chemin de l’école, il épiait les solitaires égarés, histoire de jouer les chasseurs de rapaces, les redresseurs de torts, les coupeurs de têtes, les explorateurs de forêts impénétrables, armé d’un lance-pierre dérisoire, d'une brindille en guise d’arbalète, d'un soliloque pour effrayer les plus faibles. Et Jean-Bernard Marigot s’emportait. Rectifiait. Reprenait. S’essoufflait. Pestait. S’accrochait maladroitement à la rambarde. Ou à la branche. S’allongeait. S’épuisait. Puis se redressait. S’abritait sous une feuille. S’agitait comme un malheureux sur sa couche. Postillonnait. S’imaginait. S’envolait. Oui… S’envolait enfin rejoindre les autres... 

Contemporain
Tous droits réservés
1 chapitre de 2 minutes
Commencer la lecture

Commentaires & Discussions

S'abriter sous une feuille...Chapitre2 messages | 9 ans

Des milliers d'œuvres vous attendent.

Sur l'Atelier des auteurs, dénichez des pépites littéraires et aidez leurs auteurs à les améliorer grâce à vos commentaires.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0