Promis, ça va aller
Arrivée en avance dans ce café au nom trop connu et aux boissons trop chères, je patientais tranquillement en sirotant un breuvage glacé caféiné. Elle arriva en courant, un peu en retard, le souffle court. Elle commanda une boisson sucrée et s'installa en face de moi. Je pris alors le temps de l'observer.
Elle avait les cheveux chatains, nuancés par un balayage trop clair, remonté en une queue de cheval haute. Les joues creusées, les bras fins, on apercevait bien clairement la forme de ses clavicules. Ses yeux étaient cernés d'un mélange de vert et de violet. Elle portait un hoodie trop grand pour elle, et elle avait tiré les manches pour cacher ses mains et ses bras, souhaitant à tout prix cacher au monde sa souffrance pourtant si visible. Ses mains tremblaient légèrement, elle ne le contrôlait pas. Elle était pâle, trop pâle. elle aurait inquiété n'importe qui. Pourtant elle se tenait là, le dos bien droit, le regard baissé.
Il m'a fallu un certain temps pour assimiler que cet adolescente de 16 ans, silencieuse et en détresse, c'était moi. Et je crois qu'il lui a fallu le même temps pour comprendre que nous étions la même personne, avec 9 ans d'écart. Elle demanda, d'une voix tremblante et faible :
-"Nous sommes toujours en vie ?
-Oui, car elle vaut finalement la peine d'être vécue."
Je ne savais pas trop quoi lui dire de plus à ce moment là, car je savais très bien que mes paroles allait être vaines, et que je croyais depuis si longtemps que je n'atteindrais pas la majorité. Je continuais doucement :
-"Dans quelques semaines, tu vas perdre espoir. Tu vas passer la nuit aux Urgences, et tu vas sortir de là bas avec la lourde sensation d'avoir échoué. Soit heureuse d'être encore là, tu vas-
-Je m'en fous d'être encore là. C'est trop dur !"
Elle m'avait interrompu en élevant la voix, qui tremblait plus franchement maintenant. Elle remonta les manches de son pull pour montrer les lignes rouges qui décoraient son bras gauche :
"-Ca ne fonctionne même pas pour me faire me sentir en vie, rien ne fonctionne !"
Silencieusement, je lui montrais le même bras, maintenant strillé de cicatrices à peine visibles. Elle sembla se calmer un peu. Je repris la parole :
"-Tu as beaucoup de colère en toi. De la colère envers toi-même, ton état de santé, ta famille, les injustices dont tu a été victime...Tout ceci s'apaisera avec le temps. Tu auras même des diagnostics et un traitement qui te convient. Aujourd'hui, nous allons bien et nous n'avons jamais été aussi sereine.
-Permets-moi d'en douter, c'est impossible."
J'eus un sourire rassurant, et dans ses yeux je crus voir une légère lueur d'espoir. Nous plongâmes toutes les deux dans mes pensées, et un ange passa. Elle finit par reprendre la parole :
"-Et l'amour ?"
Je soupirais. Bien grand sujet. Comment lui expliquer que nous nous sommes cassé la gueule et eu le coeur brisé trop régulièrement, et que nous guérissons encore de blessures qui ne s'envoleront jamais. Je pris mon temps avant de répondre :
"-Nous allons aimer, très fort, parfois trop. Notre coeur est trop grand pour une seule personne, et tu vas mettre des années à le comprendre et à l'accepter. Ne te réjouis pas que l'on te donne le strict mnimum, sois heureuse que l'on te traite comme une princesse, parce que tu le mérites. Ne t'entoure pas de ceux que tu pense mériter, car tu es trop belle, trop gentille et trop forte pour te limiter à eux.
-Est-ce qu'on a rencontré notre âme soeur ?"
Malgré moi, ma lèvre inférieure se mit à trembler. Elle était à présent sur le bord de son siège, en attendant impatiemment la réponse. Les larmes aux yeux, je lui répondis :
"- Oui. C'était un coup de foudre, comme dans les histoires que nous imaginons dans notre esprit. Un amour fort, passionnel, et en même temps si apaisant, si complémentaire. La meilleure chose qui aurait pu nous arriver. Mais nous allons le laisser partir, et le regretter amèrement par la suite."
Elle se laissa tomber au fond de sa chaise, en soupirant.
"-Pourquoi ?"
A cet instant, je sus que je devais lui omettre une partie de la vérité. Ne pas lui raconter la pire experience traumatique de notre vie, la protéger de cette réalité cruelle qui a laissé des marques physiques et psychiques qui ne partirons jamais. Je pris une grande inspiration :
"-Dans quelques années, tu vas aller en stage au Canada. Tu vas passer un bon moment, te faire des amis, essayer de composer avec les 12 heures de décalage horaire qui te séparent de lui qui a décidé d'étudier à l'autre bout du monde. Puis, tu vas rencontrer un québécois. Tu vas le trouver beau, affectueux, et imaginer peut-être plus que de l'amitié avec lui. N'y vas pas. Tu as beaucoup plus à perdre qu'à y gagner, crois-moi. Cette mésaventure va te coûter beaucoup plus que ton couple. "
-Oh..."
Elle ne demanda pas de détail, à mon grand soulagement. Elle but une gorgée de sa boisson, et reprit doucement, comme si elle posait une question très sensible :
"-Est-ce que tu l'aime ?
-Oui, plus que tout au monde.
-Pourquoi tu l'as laissé partir alors ?
-Parce que dans la vie, parfois, l'amour ne suffit pas."
Le silence tomba, lourd de sens. Je me fis la reflexion que nous avions bien changé, bien évolué, et que nous devrions être fière de ce que nous sommes devenue.
Alors je me levais. Elle fit de même, et je la pris dans mes bras. Elle était si fragile, tremblante, et si maigre, elle se mit à pleurer silencieusement, touchée de recevoir de l'affection pure et sincère. Je la serrais contre moi, fort, pour la rassurer, lui transmettre que tout allait aller mieux, et je ne sentis pas les larmes couler sur mes joues. Nous restâmes ainsi plusieurs minutes, aucune d'entre nous ne voulait mettre un terme à cette étreinte.
Mon téléphone sonna, nous faisant sursauter toutes les deux, nous ramenant à la réalité. Je pris alors mes affaires, et, en lui adressant un sourire nostalgique, je lui lançais :
"-A bientôt, et, promis, ça va aller."
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