Chapitre 57 - 2082*

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Chapitre 57

Notre court séjour dans Paris s’écoule rapidement. Paulo finit par sortir avec Valentine. Moi, j’évite au maximum « Hey » prénommée Amélie, sympa, mais pas mon genre…

Tata nous emmène visiter en famille le château de Vaux-le-Vicomte. Il n’y a pas grand-chose à dire dessus, mis à part que nous nous amusons à détailler à voix haute les tableaux de femmes nues. Ça fait bien rire ma tante et mes cousines. Surtout que nous y ajoutons une touche d’accent bordelais exagéré et un langage bien cru, assaisonné des expressions favorites de Paulo.

— Oh anqui* ! Regardez les gars, nous interpelle Max, capturé par un ornement mural gigantesque représentant un groupe de personnes qui se baignent dans un lac. Là, y du poil !

— Elle a la chatte fleurie, la brune ! nous indique Paulo en s’approchant un peu plus près pour admirer les détails…

— Arrête de loucher dessus, je me moque de lui. Tu vas finir par avoir les yeux en trou de bite !

— Putain con, je lui planterais bien mon javelot dans la moquette ! ajoute Paulo bien fort pour que tous les touristes présents autour de nous l’entendent.

Mes cousines éclatent de rire alors que ma tante regarde par la fenêtre les jardins en faisant mine de ne pas nous connaître.

— Et celui-là, les gars ! nous interpelle Louise devant la statue d’un Apollon bien monté.

— Ah ben lui, s’il était pas trop mou du sexe, continue Paulo à haute voix, il devait sacrément enflammer les cheminées…

— Et si nous allions faire un tour dans le parc, finit par nous proposer tata qui n’apprécie guère notre version des visites culturelles.

Ainsi, nous restons plus d’une heure à observer les carpes énormes qui nagent dans les douves du château et qui se battent à chaque fois que l’on crache un mollard dans l’eau. Les pauvres bêtes sont habituées à ce qu’on leur lance des morceaux de pain, mais avec nous, elles sont vraiment mal tombées.

Le dernier soir, nous sommes invités à une fête qui se déroule chez Valentine et Amélie. Mes frères et moi ne tenons plus en place, tellement heureux de rentrer à Bordeaux. Tandis que nous sommes toujours plongés dans notre Action ou Vérité, sur le pas de la porte de nos voisines, Max insiste particulièrement pour participer.

— Pas de trucs glauques avec les meufs ! Je ne tromperai pas Agathe, mais je ferai tout le reste !

— On verra, répond Paulo en me faisant signe qu’il lui réserve une surprise.

— Allez-y, les gars !

Il joint ses deux mains pour nous supplier tellement il a peur de s’emmerder si on passe la nuit à draguer.

— J’ai pas trop d’idées, ce soir ! je prétends pour l’embêter.

À peine arrivées, les filles se retrouvent pour ricaner entre elles et échanger sur leurs nouvelles robes, alors que mes frères et moi cherchons le bar. Paulo, qui entre le premier dans la cuisine nous indique d’un signe de tête que la vitrine d’alcools est juste devant nous. Sans hésiter, il ouvre le placard et en sort une par une les bouteilles, en énumérant les délicieux spiritueux :

— Rhum, liqueur de poire, Malibu, Get 27, Whisky…

— Et mon Action-Vérité ? l’interrompt Max qui s’impatiente, toujours désireux de jouer.

— Attends ! continue Paulo, imperturbable dans son tri. Putain, y a un Cognac de vingt-cinq ans d’âge !

— C’est pas beaucoup pour un Cognac ! je lui rétorque. T’y connais rien sur le vieillissement des alcools !

— On s’en fout ! me coupe Paulo qui débouche la bouteille pour inhaler l’odeur. Max, passe-moi trois verres !

Max souffle et trépigne face à nous comme un gosse qui n’a qu’une idée en tête. Il dépose les trois gobelets devant Paulo. Celui-ci sert un fond de Cognac dans chacun des récipients.

— On joue quand ? nous questionne Max qui ne lâche pas l’affaire.

— Mais qu’il me saoule ! je râle en goûtant l’élixir. Max, Action ou Vérité ?

— Action !

— Bois un Cognac cul sec ! lui ordonne Paulo en remplissant le verre de Max.

Paulo se tourne vers moi avec son petit sourire sournois des mauvais coups. Je comprends tout de suite ce qu’il manigance et je trouve l’idée excellente. Une fois ivre mort, Max nous foutra la paix !

— Ok, approuve mon frère.

Il s’enfile d’un trait le liquide ambré en faisant la grimace. Je suis ébahi de le voir s’enquiller plusieurs gorgées d’affilée de cet alcool puissant. Mais finalement, à la cinquième, il s’arrête et se racle le gosier un bon coup.

— Je me disais que t’étais bien parti… je me moque de lui.

Je fais tourner le Cognac dans mon verre comme les grands amateurs. Max est motivé et après avoir repris sa respiration, il termine d’un trait son gobelet.

— Et voilà ! conclut-il en écrasant son verre sur le comptoir.

Dans moins de cinq minutes, il ne va plus pouvoir aligner deux mots et tituber…

— Toi, tu ne vas pas tenir longtemps ! je me marre.

— Tonio, Action ou Vérité ? me demande-t-il en rigolant.

J’hésite, j’ai peur de tomber dans le jeu machiavélique de mes frères qui pourrait consister à se défoncer toute la nuit. Mais c’est le dernier soir et je me fiche totalement de ma tante, car demain elle n’aura plus d’emprise sur nous. Aucune punition ne sera possible !

— Action !

— Pareil que moi ! me défie Max qui commence à avoir les yeux brillants et du mal à articuler.

— Pas le Cognac, il n’a que quinze ans, lui interdit Paulo. Trop fort pour lui !

Paulo m’énerve quand il agit en aîné protecteur.

— Quoi, j’ai que quinze ? On joue ou on joue pas ! Passe la bouteille de COGNAC !

Alors que mes deux frères me regardent me servir, je remplis tranquillement mon verre de Cognac jusqu’à ras bord. À ma grande surprise, aucun des deux ne m’arrête. Je suis conscient que ça va être vraiment dur de m’enfiler tout ça d’un trait, mais je vais montrer à ces deux connards que je peux faire aussi bien qu’eux ! J’en ai marre qu’ils me disent toujours comment me comporter, comme si je ne savais pas prendre mes propres décisions.

Je provoque mon frère :

— Paulo, prépare-toi ! T’es le prochain !

— Je vais choisir Vérité, me défie-t-il.

— Sale lâcheur, articule Max qui se cramponne au plan de travail.

Le Cognac commence à agir sur son corps…

Je porte le verre à mes lèvres devant ces deux abrutis qui m’observent, mais ne mouftent pas. Je me sens presque accepté à part entière et j’apprécie le trio que nous formons désormais. Ils ont compris que je suis en mesure de leur faire vivre des moments inoubliables. Quant à moi, j’aime bien leur présence, je m’amuse vraiment quand ils sont là et grâce à eux le séjour chez tata est passé très vite.

Allez, c’est parti. Je choisis de faire de grandes gorgées afin de terminer au plus vite. Une, deux, trois, quatre… Oh, putain ! Ça arrache ! Cinq ! J’ai fait la moitié ! Six ! Jamais plus je ne ferai le malin ! Sept ! Ça brûle les tripes, ce truc ! Huit ! Encore une, j’ai presque fini ! Neuf ! Merde, pas assez avalé, il en reste encore ! Dix ! J’ai réussi !

Je jette le verre sur la table et je me mets à sautiller sur place.

— AAAHHH ! Ça tue !

L’alcool me monte rapidement à la tête. J’ai soudain très chaud et je me mets à transpirer à grosses gouttes. Nous sommes en plein mois d’août, il est vrai, mais l’alcool me rend fiévreux.

— Paulo, Action ou Vérité ? je lui demande en ouvrant grand la fenêtre.

— Je vous ai dit !

— Tu ne vas pas te dégonfler ? persiste Max qui lui sert déjà le Cognac dans le verre.

— T’es l’aîné, tu dois montrer l’exemple ! je continue en lui tendant le verre.

— Justement ! En plus, je dois dire au revoir à Valentine ce soir, si vous voyez ce que je veux dire !

Paulo lève les sourcils plusieurs fois pour nous faire comprendre qu’il est ravi de rejoindre sa copine.

— Allez ! je le supplie en faisant le grimace. On s’en bat les couilles de ta meuf !

— Bon, juste un ! Après, vous me lâchez la grappe !

Max se fait un malin plaisir de prendre en photo Paulo, pendant que je m’assois sur un tabouret de bar pour recouvrer mes esprits, ou les perdre, car l’alcool continue progressivement son ascension en moi et je me sens désormais euphorique. La soirée s’annonce vraiment très bien. Et surtout, je rentre demain ! Enfin ! À moi le surf et l’océan ! Bordel, ça se fête !

Paulo est en train de finir son verre facilement quand la porte de la cuisine s’ouvre. Valentine et Amélie, suivies de nos cousines, entrent.

— Ooohhhh ! crie Valentine totalement paniquée à la vue des bouteilles sur le comptoir. On n’a pas le droit de toucher aux alcools !

— Vous avez bu ? demande Amélie en nous dévisageant.

C’est un moment toujours difficile pour moi. Paraître normal et sobre en apparence, alors qu’intérieurement, je suis déconnecté de la réalité et à fond. Comme dans Mario Bros : j’ai le paysage qui défile et qui m’oblige à avancer…

— Non, non t’inquiète pas ! la rassure Paulo. On a juste à peine testé le Cognac !

— Ouais, et bien range ça !

— Tonio et Max vont s’en occuper ! Il faut que je te parle, lui déclame Paulo comme s’il était fou amoureux d’elle et tellement triste de l’abandonner demain.

Il quitte la pièce en la tenant par la main.

— Du coup, il n’a pas donné la prochaine Action, m’informe Max, déçu.

Les filles ressortent de la cuisine pendant que Max range les bouteilles dans le placard. Je n’ai pas bougé de mon siège, assommé par l’alcool. Je dois reprendre mes esprits immédiatement si je ne veux pas tomber net !

— J’fais pour lui s’t’veux ! je marmonne sans me déplacer.

— Ouais, çaaa maaarcheee ! Jeee preeends AAAAction ! me répond Max en décortiquant chaque mot qu’il prononce.

— Bah, enfle-toi n’autr'verre ! je lui indique en me ventilant le visage avec la main.

Je suis soudain envahi de bouffées de chaleur et je décide de retirer mon T-shirt. Mon frère, qui est en train de se servir, n’est absolument pas surpris par mon strip-tease.

— Ooon vaaa être déééfoncééés ! se marre-t-il en versant autant de Cognac dans son gobelet que sur le comptoir.

— Pa'rave, y a qu’ça à fair'ici ! Oooohhh, t’en fous patout !

— Miiinnnccceee ! râle Max en se commençant à lécher le plan de travail pour ne rien gaspiller. Laaa bouteiiille va y paaasser !

Une fois le comptoir nettoyé, il se met droit au garde-à-vous. Un bras le long du corps, il saisit le verre de sa main libre. Toujours aussi raide, il boit d’un trait le Cognac.

— Moi ! je hurle en descendant de mon tabouret. J’prends liqueur ! On fera niveau avec l’eau, ni vu ni connu !

Je n’arrive quasiment plus à parler et j’avale la moitié des mots dans mes phrases. Mais mon frère me comprend parfaitement.

— Booonne iiidée ! approuve Max en servant deux grands verres.

Quand Louise entre à nouveau dans la pièce, pas besoin de lui faire un dessin. Elle saisit tout de suite que nous sommes complètement bourrés. Max est toujours en train de lécher chaque goutte de liqueur sur le comptoir et moi, je me suis collé au ventilateur de la cuisine qui me rafraîchit. Comme j’ai les cheveux plutôt longs avec ma coupe surfeur, et que par-dessus le marché, ça fait deux mois que je n’ai pas mis les pieds chez un coiffeur, avec l’air de l’hélice, je ne ressemble plus à rien.

— Tonio, qu’est-ce que tu fous à poil ?

Ah oui ! J’ai également retiré mon jean à cause de la chaleur !

— Chui pas nu ! Chai mon boxer ! je lui réponds en tirant sur l’élastique de mon caleçon alors que Max vide la bouteille sur le comptoir pour laper l’alcool comme un chat.

— Mais vous êtes complètement torchés, ma parole !

*grossièreté locale, typiquement bordelaise signifiant enculé.

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