Quand j’étais môme, mon père me laissait monter à la place du mort même si je n’avais pas encore l’âge requis : « Allez fiston ! Tu crains rien, ton père c’est un pilote ! ». Je me sentais grand et fier en toisant les passants de ma demi-tête. C’était avant que je me rende compte qu'il conduisait comme un pied. Jamais de pause, même sur les longs trajets. Il enchaînait les heures et je m’ennuyais à mourir. Et puis pas de radio, il fallait être à l’écoute du moteur. J’inventais des jeux pour passer le temps mais mon père n’était pas joueur. Alors je comptais les voitures qui nous faisaient des appels de phares parce qu'il se rabattait souvent au dernier moment. Enfin je suis passé aux fientes d’oiseaux et autres insectes écrasés sur notre pare brise. Je choisissais la tache la plus intéressante, souvent un mélange jaune et rouge avec un bout d’aile frétillant, et cette tache devenait mon vaisseau spatial. En fermant un œil, je bougeais la tête pour que mon astronef contourne les véhicules qu’on croisait ; en baissant la tête, mon vaisseau décollait, et en la montant, il atterrissait. Je me suis vite retrouvé face à un problème : certains poids-lourds étaient bien trop hauts et même en me penchant au plus près du sol, je n’arrivais pas à contourner l’engin qui m’envoyait en orbite. J’ai mis un certain temps pour trouver la solution. Il suffisait de fermer l’œil et d’ouvrir l’autre au bon moment et l’effet d’optique provoquait une télétransportation ! Le camion fonçait vers nous et hop ! Mon super Psychoroïd passait du capot à la remorque en un clin d’œil. Un jour, mon père n’a pas eu le temps de se rabattre, le camion d’en face allait beaucoup trop vite. Je me souviens que pendant que les pneus crissaient, j’ai attendu le dernier moment pour cligner de l’œil. J’étais devenu un expert. Mon père et moi on s’est télétransportés.