Chapitre 3

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Mardi - matin

Durant la demi-heure de trajet qui mène la classe d’Amandine au haras, elle doit donner de la voix plusieurs fois. Les enfants sont très énervés, se disputent, s’impatientent parce que la journée d’hier était « trop méga grave bien » et qu’ils veulent viiiite y retourner.

Amandine aussi est impatiente. Sa soirée de la veille a été ponctuée d’images d’Alexis, de ses mots, ses compliments à son égard, des paroles de Jérôme aussi, et de leurs phrases avortées…

Si Malik n’avait pas hurlé…

Mais elle ne doit pas se laisser distraire par ces hommes, leurs corps, leurs sourires, ni même leurs phrases… Elle est en présence de ses élèves, hors de question de commencer à fantasmer…

Bon, dans cinq minutes, tout ce petit monde sera canalisé par la magie des poneys. Il fait encore très chaud aujourd’hui. Amandine est vêtue d’un pantacourt en jean et de baskets, d’un tee shirt noir décolleté en V. Simple. Rien d’affriolant. Elle s’est rendue compte en se déshabillant la veille que sa tenue n’était peut-être pas vraiment adaptée.

Quand elle descend du car, Jérôme est là, et remarque déjà ses hanches bien moulées dans son tee shirt près du corps. Première vision qui lui tiraille le bas ventre.

Il faut dire qu’une fois dans son lit…les petites jambes sexy de la maitresse sont vite revenues à son esprit, et sa main a vite su soulager une envie physique irrépressible.

Alors la revoir…

- Bonjour Jérôme.

Son sourire est franc, et sublime…ses yeux se plongent dans les siens.

- Bonjour Amandine, bonjour les enfants.

- Bonjour Jérôme !

La réponse en chœur le fait sourire. Il leur demande s’ils sont prêts pour une nouvelle journée. Pas le temps de fantasmer plus longtemps, il a du boulot et vingt gamins à élever au rang de cavalier.

Amandine reprend son poste de photographe en s’adossant aux barrières de l’enclos. Elle prépare son téléphone, pose son sac et sa bouteille d’eau à ses pieds.

- Bonjour Maitresse

- Ah, bonjour

- Pas de mini jupe aujourd’hui ? Dommage…

Et voilà il recommence…qu’est-ce que ça peut bien lui faire à cet Alexis comment elle est habillée ? Amandine n’aime pas vraiment ses manières…et pourtant quelque chose l’attire malgré elle. Et lui, il a bien compris qu’il la déstabilisait. Alors il en profite et s’en amuse.

- Comme vous allez être là tous les jours, on peut peut-être se tutoyer non ? Bon…Jérôme c’est un vieux crouton, mais toi et moi on a le même âge à quelque chose près.

- Oui…sûrement.

Amandine fait mine de fouiller dans son téléphone, elle aimerait qu’il la laisse tranquille.

- Tiens, c’est pour toi.

Alexis tend un pot à la jeune enseignante. Elle le regarde, méfiante et muette.

- C’est du miel. J’ai des ruches chez moi. Tu aimes ?

Amandine regarde Alexis. Puis le pot. Puis Alexis à nouveau.

- Merci, c’est gentil.

- Je suis quelqu’un de gentil, tu verras.

- Je demande à voir oui.

- Ah ! Maitresse réclame un rencard ?

- Non non ! c’est pas ce que j’ai voulu…

- Je sais. Tu es une drôle de fille toi. Détends-toi. Je suis pas méchant. Même si je te cache pas que te dévorer tel le grand méchant loup…je dirai pas non. Le miel est toutes fleurs. C’est le meilleur du département tu peux me croire ! J’en mets une cuillère dans le café, tu devrais essayer. Bon j’ai un pansement à changer belle demoiselle. A plus tard !

Amandine n’a pas le temps de parler, de répondre. Alexis a déjà tourné les talons. Il est tellement bizarre…il passe de la drague lourdingue à la vante des mérites de son miel en une seconde…elle n’a pas eu le temps de réagir, et plusieurs sensations se mélangent dans sa tête.

Mais les enfants qui arrivent avec leurs poneys respectifs l’empêchent de cogiter d’avantage sur cet Alexis si étrange.

Et Jérôme aussi.

52 ans…15 ans de plus…

Il est vraiment bel homme. Sa carrure est impressionnante. Ses bras semblent si puissants. Quand elle croise son regard, elle tombe dedans. Ses yeux noirs s’adoucissent et un sourire apparait sur son visage. Deux secondes, peut-être trois, durant lesquels elle scrute attentivement ce mystérieux cinquantenaire.

Les enfants rappellent à l’ordre les adultes pas vraiment responsables en ce moment spécial.

Les activités du jour commencent. Sofia éblouit à nouveau ses camarades. Ali veut toujours aller trop vite. Amandine mate Jérôme. Alexis avait raison. Elle le regarde plus que de raison.

Elle regarde ses mains. Il ne porte pas d’alliance. C’est étrange…un homme de cet âge-là devrait être marié. Amandine se fait la morale intérieurement. C’est quoi ces aprioris. Déjà, il peut l’avoir enlevée, pour son métier un peu salissant. Ensuite, 52 ans pas marié et alors, et même surtout…tant mieux. Tant mieux ? Elle se sourit à elle-même devant ses idées qui partent dans tous les sens.

Elle se reprend et se rapproche de ses élèves pour conseiller et encourager.

Clothilde et Sarah accompagnent aussi, toute la classe passe un bon moment. Et le directeur du haras ne perd pas une miette de la silhouette de la maitresse de la semaine. De la semaine…ou même de l’année. Aucune ne lui a fait tant d’effet. Parce qu’elle ne joue pas, elle. Elle ne cherche pas à se montrer. Elle est d’une divine simplicité. D’un charme incroyable. Et elle lui plait beaucoup. Mais elle a quoi ?... 25 ans ? 30 tout au plus… Ce serait une folie d’envisager quoi que ce soit.

Et pourtant…la cravache dans une main, les rênes dans l’autre, les paroles posées, fermes, pour diriger les petits, mais malgré tout ça, ses pensées et son regard se dirigent vers le décolleté d’Amandine quand elle se penche sur ses élèves.

Quels petits veinards ces gosses. Ils doivent avoir une vue superbe et n’en ont même pas conscience.

Au bout d’une heure, quelques enfants réclament une pause. Amandine emmène cinq de ses élèves vers la petite salle pour se désaltérer. Ils se mettent de l’eau sur le visage et demandent à leur maitresse de repartir tout seul vers l’enclos. Amandine les autorise. Elle va pouvoir souffler cinq minutes. Et trainer au milieu des chevaux.

Elle avance doucement, regarde chaque animal. Ils sont si imposants, si calmes, mais elle sait qu’ils peuvent changer d’attitude en une fraction de seconde.

Aujourd’hui c’est un étalon noir comme l’ébène qui attire son attention. L’animal s’arrête de bouger quand elle se place devant lui, mais à bonne distance. Le souvenir de la caresse avec l’aide d’Alexis revient à elle. Et Alexis avec.

- Tu veux caresser celui-ci aujourd’hui ?

- Tu arrives toujours par surprise comme ça ?

- Désolé je voulais pas te faire peur.

Il se radoucit en s’approchant de la jeune femme.

- C’est plus les chevaux qui me font peur.

- Vraiment ? Ils sont impressionnants c’est vrai, mais en faisant preuve de patience tu verras qu’ils sont très dociles.

- Tu n’as jamais eu d’accident ?

- Des coups de sabot…si. Mais plus maintenant. Avec l’expérience j’arrive à les anticiper. Viens.

Alexis prend la main d’Amandine. Elle se laisse entrainer jusque dans le box du cheval noir, mais s’arrête et fait un pas en arrière quand Alexis veut l’approcher de la bête.

- Je ne suis pas rassurée…

- Je le sens. Et lui aussi. Détends – toi Amandine, tu ne risques rien je te le promets.

Alexis se place derrière elle, comme la veille. Il fait glisser sa main le long du bras de l’enseignante, et crochète ses doigts dans les siens.

Amandine subit mais profite. Ses gestes sont lents, doux, sensuels. Alexis s’avance et se colle à elle. Elle ne bouge plus. Même sa respiration semble s’être arrêtée.

- Pour approcher un animal comme lui, il faut s’imaginer qu’il a peur. Il faut être très calme, très doux. Comme si tu voulais l’apaiser. Tu dois te dire qu’il a besoin de tes caresses pour aller bien. Tu dois penser que tu es là pour son bien être. Et surtout pas le contraire. C’est toi qui mènes le jeu. C’est toi qui décides de ce que vous allez vivre tous les deux.

Le jeune homme parle tout bas. Amandine fixe l’animal. La voix d’Alexis, comme la veille, l’apaise, la berce presque. Elle n’entend même plus les voix des enfants au loin. Alexis pose une main sur la hanche de la jeune femme, tandis que l’autre, toujours accrochée à ses doigts, monte lentement vers le museau du cheval. Il sent la peur d’Amandine et la rassure à nouveau.

- Tu ne risques rien. Il a besoin de toi, de ta douceur. Respire lentement. Sens, ressens le désir qu’il a que tu le caresses doucement.

Amandine ne sait plus vraiment à quoi Alexis fait allusion. Elle est carrément dans ses bras…collée à lui…sa voix est suave et posée, si près de son oreille qu’elle en frissonne.

Leurs mains arrivent jusqu’au chanfrein, la jeune femme se crispe, Alexis apaise une nouvelle fois.

- Là…tout va bien…

Amandine se demande s’il lui parle à elle ou à l’animal. Ce dernier ne bouge pas. Ses yeux sont fixes. Alexis mène la danse et les lentes caresses permettent d’effleurer la peau du cheval, alors que son autre main effleure, elle, la peau de la jolie maitresse. Il remonte le long de sa hanche, sent ses côtes et redescend. Les sensations dans le corps d’Amandine sont immédiates et la peur fait place à l’envie que cet instant dure encore. Elle recule un peu plus, alors que cela semblait impossible d’être davantage collée au jeune homme. Son corps bouge légèrement, son dos vient épouser l’espace des bras ouverts d’Alexis, qui lève une main pour toucher le cou de la belle. Amandine ferme les yeux et penche la tête en arrière pour donner un meilleur accès. Elle ne se rend pas compte que sa main droite est maintenant sur la tête de l’étalon. Alexis maitrise la douceur des gestes pour que l’animal reste calme, autant qu’il maitrise l’intensité des caresses pour qu’Amandine soit troublée. Son désir pour elle est désormais bien palpable, et il espère qu’elle le ressent malgré l’épaisseur de son pantalon. Il se frotte légèrement contre ses fesses et semble entendre un gémissement.

- Désolé de vous déranger mais vous devriez venir voir ça.

Les deux jeunes gens sursautent et Amandine sent le rouge lui monter aux joues. Elle se décolle d’Alexis et Jérôme les dévisage avec des yeux bien trop noirs.

- Pardon…je…j’avais peur des…

- Venez voir je vous dis.

Amandine sort rapidement du box, laissant Alexis et son sourire finir de caresser le grand cheval noir.

Elle suit Jérôme qui marche d’un pas lourd et pressant. Il ne semble pas du tout doux et calme à cet instant. Il lui fait même un peu peur…

Quand ils arrivent devant l’enclos, Sarah et Clothilde sont en train de mener un manège constitué d’absolument tous les enfants. Les vingt loustics d’Amandine sont tous en selle, au pas. Ils se tiennent droit, dirigent parfaitement les poneys et écoutent attentivement les consignes des palefrenières.

Amandine n’en revient pas. Deux jours à peine d’initiation…et les voilà déjà cavaliers. Tous, sans exception.

Elle sent l’émotion la gagner. Qu’il est difficile son métier parfois. Que c’est compliqué d’amener les enfants là où l’on voudrait alors que leurs esprits embrouillés les en empêche.

Moussa ne connaitra jamais les tables de multiplication. Il s’occupe de ses quatre petits frères et sœurs, matin, midi et soir, alors que sa maman part à l’aube et rentre la nuit pour faire les ménages des bureaux, et que son papa est encore au pays.

Ali ne différencie toujours pas les sons francophones. Il est le seul de sa famille à parler et comprendre les bases du français, c’est déjà un grand homme pour ses parents.

Alma voit sa maman bleuir de jour en jour sous les coups de son beau-père sans pouvoir la protéger.

Et tous les autres…chacune de ces petites âmes égarées font ce qu’elles peuvent pour apprendre dans un monde pas toujours adapté. Et Amandine donne tout ce qu’elle a en elle pour qu’ils aient quelques clés de réussite. Mais non, on ne peut pas être disponible pour différencier le COD du COI quand Papa amène une quatrième femme à la maison, ou quand on doit comprendre ce que veulent dire les mots agios et découvert, à 8 ans, et traduire tout ça à ses parents pendant un rendez-vous à la banque.

Mais aujourd’hui…ils sont tous, sans exception, en réussite. Ils sont tous au même rang que la classe d’avant, ou celle d’après. Aujourd’hui ils ont appris et mis en pratique. Et Amandine est fière d’eux. Fière de leur propre fierté qui surgit en ce moment même.

Jérôme la dévisage et la sort de ses pensées.

- J’ai pensé que vous aimeriez voir ça. Moi-même je suis impressionné, que tous ces gosses montent dès le deuxième jour, c’est vraiment rare.

Amandine ne répond pas et essuie discrètement les larmes qui restent bloquées sous ses yeux. Elle espère que Jérôme ne le remarque pas, mais c’est trop tard. Il est touché par l’émotion de l’enseignante. Elle parait si fragile qu’il lui proposerait volontiers ses bras pour la consoler.

- Vous allez bien ?

- Excusez-moi…je…c’est très émouvant de les voir tous comme ça. Ils peuvent être très durs parfois, et leurs échecs ne les mettent pas en confiance pour grandir. Alors les voir, là…

- Je vous comprends. Vous pouvez être fière de vous.

- Moi ? Non…c’est…vous. Merci Jérôme.

Le grand gaillard se sent tout à coup tout affaibli devant la mine émue de cette jeune femme. Elle est vraiment très belle. Pas simplement attirante. Il lui sourit affectueusement avant de lui proposer d’aller se rafraichir dans le hangar.

Amandine en prend le chemin et croise Alexis en train de soigner un poney.

- Ah te revoilà ! Tout va bien ? Tu sembles contrariée ?

Contrariée…embuée plutôt. Amandine se sent honteuse de s’être laissée aller à ce drôle de manège alors que ces élèves donnaient tout ce qu’ils pouvaient pour mener le leur quelques mètres plus loin. Elle se demande ce qui lui a pris de se laisser cet homme la caresser de la sorte… Ce n’est pas du tout professionnel, moral, éthique et tout ce qu’on veut.

- Amandine ? Tu as su surmonter ta peur, tu peux être fière de toi. Bon ok, je t’ai bien aidé, mais je suis prêt à recommencer…quand tu veux.

Elle imagine qu’il ne parle pas que de la caresse au cheval, mais peine à trouver des mots pour répondre d’une manière assez détachée pour qu’Alexis cesse de lui tourner autour.

- Je n’aurais pas dû laisser les enfants seuls si longtemps.

- Tu n’as rien fait de mal. Ils sont entre de bonnes mains ne t’inquiète pas.

En disant ces mots, le vétérinaire s’approche, et sans qu’Amandine ne le voit venir, il la prend par la taille, embrasse ses lèvres et la lâche quelques secondes après.

- A plus tard jolie maitresse. Je dois retourner à la clinique.

Amandine reste coite et regarde Alexis s’éloigner. Il l’a embrassée ? Là ? Dans un naturel insolent et…assez doux, elle doit le reconnaitre. Elle regarde autour d’elle craignant d’avoir été aperçue par ses élèves, ou par Jérôme. Dieu sait ce qu’il a vu déjà tout à l’heure…

Elle rejoint enfin la petite salle de soin et passe de l’eau fraiche sur son visage. Ses pensées sont confuses. Elle passe sa main sur sa bouche. Pourquoi Alexis a-t-il fait ça ? Il espère aller plus loin ? Et elle ? Et pourquoi elle craint la réaction de Jérôme ? Et comment se fait-il qu’elle pense à ce genre de choses alors qu’elle est en train de travailler, avec les enfants ? Cette semaine d’initiation est bien mouvementée émotionnellement… Elle doit se concentrer et laisser de côté ses hormones qui semblent vouloir s’amuser un peu.

En arrivant près de l’enclos, les enfants lui sautent dessus en lui demandant si elle a bien vu ce qu’ils avaient réussi à faire.

Amandine décide de les faire asseoir pour leur donner la parole et prendre le temps de les écouter.

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