Relation de voisinage

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Je profite du confinement pour tenter le bronzage intégral. Non, je ne suis pas naturiste. Comme vous, je galère tous les étés avec la trace du maillot. On a beau varier la forme de la culotte, dégager les échancrures... n'est-ce pas ? C'est pourquoi je me dis : quitte à être coincée chez moi, autant jouir de la chaleur inespérée. Et je roule sur mon balcon. Au rectangle de lumière, j'expose soit ma chatte, soit mon cul. Priorité aux parties blanches. Autour, on verra après. Avec un peu de chance la plage y pourvoira, si on nous libère à temps pour les vacances.

Le mois d’avril 2020 me trouve désœuvrée. A l’instar de beaucoup, j’ai songé que ce temps suspendu serait propice à la réalisation de mes envies. Plutôt que de me compromettre dans la cuisine, la couture ou le jardinage, je me suis reconnectée à un rêve d’adolescence, une vocation passagère, née de l’enthousiasme d’un professeur de quatrième convaincu de mon potentiel : écrire de grands romans qui susciteraient la fierté de ma famille. Au hasard des heures perdues sur internet, j’ai donc pianoté : « écrire un roman ». Pubs pour coachings, sites d’autoédition, plateformes d’écriture... De fil en aiguille, j’ai atterri ici, sur Scribay. Peut-être accueillerez-vous favorablement la trentenaire débutante que je suis ? Pour l’instant, je cherche mes marques. Je suis partie pour vous raconter des anecdotes, des bouts de vie, dans mon immeuble de banlieue. Sur mon balcon, telle que vous me lisez, je cherche des phrases, les frappe, les efface.

Mon voisin sort respirer l’air dépollué au-dessus de sa balustrade. Il parait tellement méditatif que je ne me manifeste pas. Malgré ma discrétion, quand il se détourne il tombe nez à nez, si je puis dire, avec ma nudité. En tout cas, il tombe des nues, à en juger par les expressions qui se succédent sur son visage. L’idée de me couvrir me traverse, mais le ridicule de ramper vers mon t-shirt me semble plus à craindre que l'immobilité. En plus, le soleil m’a plongée dans un état cotonneux. Oh puis zut ! Déjà qu’on n’est plus libre dehors, alors que personne ne vienne me surveiller ici, pensé-je avec révolte. S’il a quelque chose à redire, il va se faire recevoir, le voisin ! Mais il ne parle pas. Il déboutonne sa chemise très lentement en me regardant dans les yeux. Qui porte une chemise pendant le confinement ? me demandé-je. Ludo en porte une. Mais Ludo c’est pour m’emmerder à repasser, j’ai bien vu que même son patron dirigeait leurs vidéos zoom en polo.

Le voisin s'échappe, cependant quelque chose dans sa trajectoire m’interpelle. Aux froissements et aux frottements, je devine qu’il s’assied sur le béton. Je distingue une silhouette qui se contorsionne, à travers les vitres dépolies. Curieuse, je penche légèrement la tête vers l’interstice au milieu des deux parois en verre, là où sa fille me glisse toutes sortes de cadeaux : des dessins, de la pâte à modeler, et même des petites voitures. Son œil apparait dans l’intervalle. Assuré que je le vois, il commence à se caresser le torse. D’amusée, je deviens humide. Je grimace. Quelle situation génante ! Mon souffle me trahit-il ? Il s’enhardit. Deux plantes de pieds se matérialisent presque nettement contre les vitres, de part et d'autre de l'ouverture. Les jambes écartées, il m’offre son sexe dressé, palpitant. Son visage hors champ. Je pose mes pieds face aux siens. Nous nous caressons de concert, mes dents soudant mes lèvres l’une à l’autre pour me rappeler au silence.

Il rentre chez lui tandis que je présente mon dos au soleil, encore excitée et déjà penaude. L’embarras m’envahit à l’idée de le croiser prochainement dans le couloir, seul, car sa femme est partie en Bretagne dès le début du confinement. Lui télétravaille. Comme Ludovic. Lui aussi « télétravaille » beaucoup de films pornos, et se finit presque tous les jours avec sa maîtresse virtuelle : Édith. Je l’espionne, évidemment.

Le voisin ressort peu après, avec un carton de livraison tel qu’on en a tous en stock dorénavant, rempli de choses qui s’entrechoquent. Il est toujours nu, debout à la vue de tous ceux qui voudraient bien le regarder depuis l’immeuble d’en face. De sa boîte, il tire d'abord une bière et un décapsuleur. Je songe à m'éclipser. La bière pour Ludo, cela signifie « passons à autre chose ». Il en avale une gorgée sonore, puis recommence à farfouiller. Un « Ah » particulièrement satisfait me fait scruter le trou de nouveau. Accroupi, il tient fermement un long pic à brochette, dont il me menace avec un sourire. Ne me demandez pas ce qui me prend, mes sens décident à ma place, je me mets à quatre pattes et recule, au plus près de la séparation. Entre mes jambes, j’observe avec appréhension la tige de métal approcher tandis qu’il chantonne : « Picoti, picota, lève la queue et puis s’en va ». Sur chacune de mes fesses alternativement, il plante délicatement ses banderilles. Il pivote, s'éloigne en murmurant toujours la même rengaine : « Une poule sur un mur… ». Il s’active à une tâche dont je n’aperçois rien mais que j'imagine aisément. J’hallucine ! Je me redresse dans le but de regarder par-dessus les rambardes, mais je me souviens à temps que je ne suis à l’abri des voyeurs que tapie près du sol. Quand il se retourne finalement, il a déguisé son pénis en pantin : il y a collé je ne sais comment deux bâtons de glace pour les bras et anime les trois membres avec des bouts de ficelle. Non, LÀ, j’hallucine !

Je pars à toute vitesse sur les genoux vers mon salon, pouffant comme cela ne m’est plus arrivé depuis quatre semaines, à la recherche de quelques feutres sur la table basse. Avant qu’il ne s'évanouisse, je retourne dehors. Sous ses yeux, aguichante, je compose autour de mes seins brandis un tableau floral aux aréoles-pistils. Nous refaisons l’amour à distance, rivalisant de positions et d’inventions pour nous contenter. Un lâcher-prise à la mesure de la situation à l’extérieur. Le sexe empreint de jeu et de bonne humeur. Il me fait l’offrande, dans le creux de sa main, de sa semence. J’y goûte et m’en barbouille le ventre, avant de me rincer languissamment avec l’eau gazeuse de ma bouteille de Vichy. Nécessité fait loi. Je frissonne de cette sensation inédite, les bulles gazouillant dans mon nombril, le froid sur mon pubis, avril, il ne fait pas chaud encore. Le dernier rai de lumière abandonne le mur Est de mon balcon.

Enivrée de désir, je me précipite sur Ludovic, assis sur notre lit, son ordi portable sur les genoux. Il referme vivement l’appareil et le pose à côté de lui. Je saute sur ses cuisses et enfile son engin, opportunément déjà sorti. Je le pilonne de mes hanches affolées jusqu’à jouir puissamment, sa tête écrasée sur ma poitrine. Il n’avait rien vu venir, je le laisse ébahi pour me glisser dans un bain. Le jour où il m’inventera un déplacement pour affaires, je saurai de quelles affaires il s’agit, et je le larguerai. Ce jour-là, j’inviterai le voisin. Vivement le déconfinement. Vivement demain sur le balcon.

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