Ça va être tout noir.

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En réponse aux propositions du chapitre précédent, certains lecteurs me suggèrent de transfigurer Ludo en sexfriend. Est-ce que ce ne serait pas lui manquer de respect ? Le réduire à ça après ce qu’on a partagé ? Il est mon mari tout de même. Vous croyez qu’il accepterait ?

Besoin d’un bilan introspectif. Je m’enferme. Je ne veux voir personne de la journée. Envie de m’avachir devant la télé, avec du pain, du beurre et une bière. Et Ally Mac Beal. Je suis accro, elle est géniale cette série. Je m’interdis de la télécharger, je me connais, je ne décrocherais plus. Alerte ! J’ai pris quarante ans en dix jours. Je ne fous plus rien depuis le déménagement. Je me déçois. Il reste des tonnes de trucs à finir dans l’appart, et plus que quatre jours avant de reprendre le taf.

Je pourrais au moins poser mes rideaux ! Ou finaliser ma commande de luminaires sur internet, pour commencer. À contrecoeur, je relance ma recherche là où je l’avais laissée, retrouve les références.

Un monsieur télétravaille derrière sa fenêtre, dans le bâtiment d’en face. Il me fascine, assis là à chaque fois que je regarde dehors. Je me dis que peut-être, il écrit sur Scribay, que peut-être c’est un des copains du site, et que je ne le sais pas. Quand il se met à l’ordi, je surveille qui est actif sur le fil d’actu. J’essaie de procéder par élimination.

Mais si ça tombe, c’est juste un mâle lambda qui navigue sur des vidéos pornos. J’ai moi-même passé deux heures à reluquer les sextoys en ligne. C’est moins marrant qu’en magasin, il manque le petit côté transgressif embarrassant. Par contre, il y a des explications très utiles pour comprendre à quoi chaque objet est destiné, parce que l’offre s’est drôlement étoffée en quelques années. Pompes vaginales et aspire tétons, très rigolo comme concept. J’ai mis dans mon panier virtuel un stimulateur clitoridien muni de dix languettes en silicone, en forme de moulin à eau, bleu turquoise pour aller avec la peinture de ma chambre. Revers de la médaille, mon adresse mail est maintenant dans la liste d’un site de petites annonces cochonnes. Et je n’ai pas encore trouvé le unsubscribe.

Avez-vous emménagé récemment ? Eu besoin de luminaires ? Je vous signale que la plupart sont désormais montés en usine avec « dispositif intégré ». Traduire : quand c’est foutu, il faut changer tout le bazar. Mon électricien, lui aussi, voulait me poser des spots « intégrés », sous prétexte que ses fournisseurs retirent les autres modèles des catalogues. Pareil que nous en carrosserie, on ne change plus les ampoules, on facture le « bloc phare ». Ce n’est même plus une question d’écologie à ce niveau. De l'entubage, je dirais .

Dommage, elle était belle l’applique sur laquelle j’avais flashé en magasin. Trois cent cinquante euros. Hors de prix pour du jetable. La vendeuse, motivée : « Oui, mais ça tient cent mille heures. Vous vous en lasserez avant qu’elle ne s’abîme.» (sous-entendu : tu seras morte avant elle). Ah mais non, moi, une lampe à trois cent cinquante boules, je ne m’en lasse pas, ma chère, je l’use ! Même un milliard d’heures ! De toute façon leur baratin, comme quoi les ampoules sont censées durer dix fois plus longtemps, c’est une grosse arnaque. Elles pètent tout pareil que les anciennes. Il paraît que c’est le fait de les allumer et les éteindre. Et bien soit, je ne vais plus éteindre ! Tant pis pour les économies sur la conso, l’argument massue avec lequel ils ont éradiqué nos anciennes ampoules, dont la lumière était si douce ! Surtout qu’il ne faut pas les casser, les nouvelles, c’est de la saleté inerte à l’intérieur, si tu passes l’aspi sur les débris, tu disperses et tu renifles des vapeurs pas cool. Pendant le dèm, j’en ai ramassé avec un sopalin, en retenant ma respiration sous le masque.

Je n’étais plus à ça près, mes deux collègues se sont surpassés niveau dégâts. Pleins de bonne volonté les lascars, mais quatre mains gauches. Dans quel état je vais retrouver l’atelier ?

Alors qu’est-ce que je décide, pour l’applique du salon, dont l’image me nargue sur mon écran ? Je retourne à la boutique la chercher ? Concentre-toi et projette-toi. Je regarde l’emplacement prévu, ferme les yeux et l’imagine en place. C’est exactement ce qu’il faut à cet endroit. Certes. Maintenant, projette-toi plus loin : ta magnifique lampe te lâche (soit que tu aies éteint/rallumé, mettons… trop. Ou alors que l’appareil ait une obsolescence programmée).

1) Tu songes à aller étrangler ladite vendeuse, puis à mettre un avis dégueu sur les réseaux pour obtenir un remboursement mais tu n’as évidemment pas gardé la facture.

2) Tu envisages de décrocher ton applique et de brancher une douille à la place, en attendant de la remplacer. Tu réalises que tu n’as plus de lumière. Pour connecter ton domino, ça va être galère, donc tu vas te coucher et tu pries pour que le lendemain, tout remarche.

3) Non, faut pas rêver. Tu regardes ta douille pendouiller et t’es dégoûtée parce que c’était LA pièce qui donnait sa touche à ta déco et dont tu pouvais dire : « Oui, ça m’a coûté un bras mais c’est TELLEMENT elle, qu’il fallait à cet endroit ! »

4) Tu dois trouver une applique de substitution, jolie mais dans ton budget, pour ne pas finir avec un hublot Casto.

Vivement l’avènement de ce modèle économique qu’on nous prédit ! Tu souscris à un éclairage en leasing, avec garantie de remplacement. Tout en location, une vie en pilotage automatique : le frigo se remplit, la voiture te prévient quand elle souhaite être relevée de ses fonctions, on te livre ta nouvelle lampe par colissimo, non mieux, on te l’installe une fois que tu as scanné le code barre de la précédente, non, encore mieux, on te change TOUTE la déco de ton appart à chaque saison, selon la mode et les tendances. Pour le prix modique d’un abonnement.

Autant commencer avec le hublot Casto, ils en ont des très bien.

Mon téléphone sonne : c’est Cécile. On ne peut pas dire qu’elle me dérange en pleine activité fructueuse. Elle veut que je vienne déjeuner ce week-end. On ne dîne plus, je vous le rappelle, quand on est responsable. Covids se transforment la nuit en Gremlins.

— Sylvain a invité un de ses copains du taf, que je ne connais pas. Tu peux me tenir compagnie au cas où ce serait un con ?

Sylvain est dans l’informatique. Elle n’a pas tort de s’inquiéter, ces gens-là ont souvent un champ lexical et des préoccupations qui nous restent étrangers. Elle pourrait fort se muer en potiche. À moins que :

— Il est marié ?

— Euh. Sais pas.

— Vous me faites quoi, un plan recasage ?

— Ah, ah ! J’avais prévu l’objection ! Je t’annonce que tu ne crains rien, Sylvain dit qu’il est africain et qu’il aime les gros culs.

— Très délicat !

— En plus, il a quarante ans.

— On va bien s’amuser.

Effectivement, entre les discours moralisateurs de son mec et ses blagues d’informaticien, il y a des chances que la soirée… C’est venu tout seul, je rectifie : le « brunch », tourne à l’ennui mortel. Sauf si je me fous un peu de leur gueule, mais m’amuser à leurs dépens risque de valoir à mon amitié une longue période glaciaire. En même temps c’est trop facile, ça ressemble un peu à un tir sur une ambulance, puisque Sylvain cumule les handicaps. Webmaster ET militant écolo-anarchiste. Il dissonne. Cela doit lui causer quelques cas de conscience, je suppose. De ce fait, il se montre de plus en plus pénible.

Depuis des jours, il s’indigne, car dans la poubelle jaune du B, il a trouvé des couches et une chaussure orthopédique solitaire. Il a pris des photos qu’il dégaine à chaque occasion, ce maniaque, il « enquête ». Cela ne devrait pas lui demander des trésors de clairvoyance. C’est vrai, le modèle de couche avec les fronces suggère un bambin d’un à deux ans, et il y en a… deux, dans son immeuble. Quant à la chaussure, déformée par un hallux valgus, il me semble la reconnaître pour l’avoir vue portée. On dirait bien qu’il a ligué plusieurs générations contre lui. Plus il tapisse les parties communes de tracs pédagogiques et de règlements auto édictés, plus il exaspère. Un repoussoir à sa cause.

Me connaissant, Cécile a dû peser les risques. Elle sait à quel point je provoque. Je dis oui. On verra dans quelles dispositions je serai.

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