Front anti CO(vid)NNERIE

5 minutes de lecture

Je fulmine, j’enrage. Chou blanc sur le front des tickets pour la coupe du monde de rugby. C’est dans deux ans, et alors ? Vous croyez que les invitations vont me tomber dessus ? Bien sûr que non. On en sera bientôt réduits au marché noir et à ses prix exorbitants. Remarquez, à conjoncture de guerre, économie de guerre.

Pourtant, j’avais placé toutes les chances de mon côté ! Nous étions six connectés, à dix-huit heures, à la mise en vente. Kevin et Pablo, pour l’équipe boulot, Cécile, Sylvain et Louis pour l’équipe voisins. Je vous resitue les deux derniers, car ils n’ont pas eu l’heur d’intervenir ici depuis plusieurs mois :

- Sylvain, celui qui a mis la main sur ma meilleure amie Cécile, lui redonne confiance en l’amououour, que je ne peux pas blairer mais qui m’a permis d’obtenir mon nouvel appart. (Si vous êtes paumés, je ne peux rien de plus pour vous, relisez « Sous couvre-feu » !)

- Et Louis, le voisin coquin qui a tenté notre initiation éclair au tantrisme, du temps où j’habitais avec Ludo et où sa femme était partie au vert pour cause de confinement. Je suis sûre que celui-là, vous le tenez bien.

Le plan, tout simple : multiplier les participants pour rafler le maximum de billets. J’ai augmenté mon plafond d’achat en ligne, filé les détails bancaires à tout le monde, créé un groupe RWC2023. On est à fond, chacun chez soi à zieuter son ballon s’élever laborieusement vers les poteaux, une bien sympathique animation proposée par le site pour illustrer la progression vers le Graal.

Parvenus respectivement à 22 % et 39 % de leur attente, Céline et Pablo sont renvoyés au vestiaire. Une erreur est survenue… Plus que quatre prétendants en lice. Longtemps, je stagne à 7 %, Louis à 32, Sylvain à 72. Kevin approche de la billetterie. Je l’ai au téléphone, tout excité, je lui réexplique comment il faudra naviguer dans leur interface à la con, vite, avant que tout le monde se soit servi. Il accède au portail, clique sur le bouton tant espéré, retombe aussitôt en début de file d’attente.

Sylvain se profile à son tour. J’ai moyennement foi, du coup. Je l’appelle et mets le haut-parleur :

— Fais pas le con, tu es ma meilleure chance !

Et ce veinard choppe un pack France ! Il crâne en activant le lien vers le paiement ! Las, le message d’erreur m'achève : oups, votre panier est vide. Pas démoralisé, il retourne quelques pages en arrière regarnir le fameux panier. « On » le lui revide, puis « on » lui indique que le produit est épuisé. Pas autant que nous ! On se croirait à une kermesse : l’épreuve du verre percé à l’aide duquel on doit remplir une bouteille.

Pendant que Sylvain traque les quelques offres encore disponibles, Louis me notifie qu’il accède à son tour à la boutique. Essayez de me ramener un truc les gars, je ferai des échanges. Ou je revendrai au marché noir…

Dépitée.

Soudain, j’ai Louis en double appel : Lille, ça te tente ? Un lot de trois matchs, avec la France, et deux fois l’Angleterre ? Oui !!! Je hurle. Et j’entends sa femme lui hurler également : T’arrêtes maintenant ! Cette connasse, elle est célibataire, elle a que ça à foutre ! Nous, on a besoin de l’ordi pour les devoirs de Sarah.

Elle pousse une gueulante interminable. Lui a une minable riposte, style Abraracourcix, le fameux chef gaulois : Mais Mimine ! Genre… Se laisser parler comme ça devant sa gosse ? Bon sang, les gars, qu’est-ce qui vous transforme en lopettes, dans la vie conjugale ? En quoi avoir une gonzesse dans son pieu justifie-t-il le sacrifice de sa virilité ? Vous suffit-il de montrer que vous avez été chasseur un jour, quitte à ce que le gibier, ranci, vous donne mal au ventre ? Le gibier mal conservé ou mal cuisiné, c’est terrible !

Je ne suis pas dupe, sa harpie me provoque à travers lui, sachant que le haut-parleur est enclenché.

J’aimerais tellement mettre les pieds dans le plat ! M’exonérer des conventions sociales. Lui voler dans les plumes, lui rentrer dans le lard ! Ma morale me l’interdit. Vraiment ? En régime d’exception, ne m’offrirais-je pas une infime dérogation ?

Comme ce curé, inventé par Boris Vian dans l’Automne à Pékin.

— Vous boirez bien un Cointreau, l’abbé ?

— Cointreau n’en faut, dit l’abbé. Ma religion me le défend. Je vais me signer une dérogation si vous n’y voyez pas d’inconvénients.

— Je vous en prie. […] Voulez-vous du papier et un stylo ?

— J’ai des imprimés, dit l’abbé. Un carnet à souches. Comme ça je sais où j’en suis.

Oh, oui, je vais me les faire en série, les bafouilles, sous forme gouvernementale !

Attestation de comportement dérogatoire

Je t’insulte pour l’une des raisons suivantes :

1. Mission d’intérêt général

2. Activité de défoulement de première nécessité

3. Divergence de conception de la nature humaine

Le… à… h, autosigner.

Je me réserverai le droit d’en sortir une nouvelle mouture à chaque fois que la situation l’exigera. Comme notre administration. Jusque-là, je dois convenir que ma chronique se déroulait dans un environnement réglementaire stable. Stable sur quelques semaines. Cohérent dans son incohérence. Après la baffe « annonce du Président la République », on pouvait rester groggy à loisir, le temps que ça aille mieux.

Mais maintenant, non seulement cela ne va plus mieux, mais le gouvernement est pris d’une telle frénésie qu’on n’a même plus l’occasion d’assouplir la camisole avant qu’il en change le modèle. Quand tu tapes « attestation dérogatoire » sur Google, tu obtiens attestation dérogatoire « couvre-feu », « couvre-feu Paris », « avril 2021 », « couvre-feu 18 h », « 10 km », « confinement », « professionnels », « employeurs ». Ce n’est pas une collection printemps/été, ce sont les giboulées de mars. La vigne gèle, et on tricote à la manière de Thérèse :

— Ils me demandent de faire des gants à trois doigts pour les petits lépreux de Djakarta. C’est tout la Croix-Rouge ça ! Vous croyez pas que j’aurais plus vite fait de faire des moufles ?

— Entre nous Thérèse, une bonne paire de chaussettes et hop ! Ohhh ! On dit de ces bêtises parfois…

Allez, un dernier tricot pour la route, parce que « Le père Noël est une ordure » est une œuvre anti-déprime, la preuve, ils nous le servent à la télé tous les ans pour aider à passer les fêtes.

— Oh Thérèse ! Une serpillière ! C’est formidable, écoutez, fallait pas…

— Mais non Pierre, c’est un gilet.

— Ah mais oui bien sûr, c’est un gilet ! Où avais-je la tête ? Il y a des trous plus grands pour mettre les bras ! Si vous saviez comme ça tombe bien, je me disais encore hier soir qu’il me manquait quelque chose pour descendre les poubelles. Je suis ravi Thérèse !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 6 versions.

Vous aimez lire carolinemarie78 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0