Un mort pour une vie

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Elles se pointent toujours la nuit, les peurs irraisonnées et déraisonnables. Je me réveille avec cette prière : Prenez le père de Joseph, mais laissez-moi mon Roger, par pitié. C’est immonde, indécent, et d’autant plus absurde que je ne crois en aucun dieu.

Dans l’Égypte ancienne, le pharaon régnait sur son peuple le jour, et combattait la nuit les ennemis de l’Égypte aux côtés de Râ. Tous les matins, il se présentait en vainqueur des forces du mal. Moi c’est pareil, la nuit j’affronte mes terreurs nocturnes à coup de mon Dieu, aidez-moi, exactement comme mes grands-mères. Sauf qu’à la lumière du jour, je n’assume pas ce côté nonne.

Joseph dort paisiblement sur le dos. Mes pensées n’ont pas pollué les siennes.

Je glisse les jambes hors du lit.

Sa main saisit mon poignet. Il affiche un doux sourire, les yeux clos. Il m’attire délicatement. Dépose mon bras sur son torse, m’enlace et me ramène à lui, blottie tout contre son flanc. Puis il me fait l’amour. Je le reçois. C’est simple et tendre. Comme une sucrerie, un chamallow, une glace macadamia nut brittle. Il me rassasie, me comble. Tellement comblée qu’un invité est en train de remplir tout mon vide.

Vous devez vous ennuyer, question torridité, à côté de la fantaisie érotique des épisodes du début. Pas moi. J’ai un amant qui entre en résonnance avec mes vibrations. Affaire de rythme. Ouh ! Le cliché ! Je pourrais aussi vous parler missionnaire, dans un chapitre empreint de religiosité, ce serait raccord. Ou filer le stéréotype jusqu’au bout : eh bien oui, Joseph rassemble toutes les idées reçues ! Il a l’air tranquille, vis-à-vis de ça. N’évoque jamais le racisme. Ignore les regards que l’on jette à notre couple dans la rue. Les voit-il seulement ? Un « couple mixte »… Je ne suscite pas la même curiosité qu’avec Ludo. Je ne sais, moi, comment réagir. Comment recevra-t-il ce regard, l’enfant qui ne ressemblera ni tout à fait à sa mère, ni tout à fait à son père ? Raté, le : Oh, c’est votre portrait craché !

Au petit matin, le téléphone de Joseph sonne. Il articule seulement : « Oui, j’arrive ». Il n’a pas besoin de m’expliquer. Une mort, une naissance : le père de Joseph, son fils.

— Ils l’ont trouvé ce matin.

Je fonds en larmes. Je sais ce que j’ai provoqué. Il ne s’attendait pas à cette réaction. Il essuie mes joues et caresse mon visage. Me console :

— On s’y préparait, tu sais. On a eu le temps de lui dire au revoir. Bon, j’y vais. J’imagine que je retrouverai les autres là-bas. Je t’appelle plus tard.

Il part et je suis malheureuse. Il ne m’a pas proposé de l’accompagner. Comment croire qu’il m’aime s’il n’a pas besoin de moi ? Est-ce qu’un vrai couple ne se montre pas uni dans la douleur ? Je ne cesse de m’interroger sur la nature de notre attachement. Je ne lui dis pas à quel point je tiens à lui. J’ai peur qu’il découvre qui je suis réellement, qu’il constate que je ne le vaux pas. Qui voudrait d’une pauvre fille dépendante et terrorisée ? S’il m’abandonnait maintenant ? Bien sûr, il ressent ma fragilité et me prouve sa tendresse, toutes les nuits. Qu’en restera-t-il une fois que je serai grosse, puis mère, déformée et épuisée ?

En parlant de mère…

Il va falloir vous habituer, mon esprit fonctionne désormais ainsi. Le coq à l’âne.

Blague de Kévin (c’est cadeau) : Tu sais quand une poule est vraiment mal ? C’est quand elle passe du coq à l’âne.

Je me pose des questions existentielles, et plutôt que d’y répondre, je songe au jour des poubelles. Soit il s’agit d’un mécanisme de défense interne, soit je frôle l’hystérie. Je fais également preuve d’une mauvaise foi caractérisée. On dirait ma mère, justement.

Comme prévu, sa rencontre avec Jo a été un désastre. Au lieu de se réjouir d’accueillir une nouvelle génération, maman a commencé par m’attaquer :

— Dommage que tu n’aies pas trouvé Joseph avant d’acheter un appartement. Tu ne rentreras jamais dans tes frais en revendant maintenant.

— Mais il n’est pas question de vendre, maman ! Joseph va venir habiter ici !

— Ah ? Mais il va vous manquer une chambre !

Même Joseph, tout dépourvu de malice qu’il soit, a bien saisi le sous-texte : il lui fait un gosse et il n’a pas de quoi les loger ? Ma mère est une matriochka, qui dissimule toujours un compartiment malveillant sous le précédent. Décryptage ? Vous l’aurez voulu : leur fils (oui, c’est un garçon, on vient de nous l’apprendre) aura le handicap d’être noir… Déjà. En plus, ils vont l’élever dans une cité… Pour ma mère, qui pourtant appartient au même milieu que mes voisins, les quartiers, c’est pauvre et mal famé. Ils se connaissent à peine… Traduction : ils ne resteront pas ensemble bien longtemps. Et donc : Ce petit n’a aucune chance de s’en sortir. Retour du fantasme de la villa de banlieue. Reproduction du modèle social. On sait où cela a mené mes parents… Enfin, vous, non. Mais ce n’est pas le moment de développer.

Joseph a tenté de répondre à ma place :

— Au début, il dormira avec nous.

Elle l’a toisé par en dessous. Elle y arrive très bien, même s’il lui manque des centimètres.

— Vous n’avez pas idée du bruit que fait un bébé ! Sans compter qu’il est très néfaste pour un enfant de dormir avec ses parents.

J’ai repris la main :

— Sinon quoi ? Il devient voyeur ? Producteur de porno ? Curé ? Chanteur de Heavy Metal ?

Maintenant que cette conversation me revient, j’identifie un peu de sa mauvaise foi dans la mienne.

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