Prisonnier

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En ce matin blême, les contours abrupts de la prison se découpaient sur un ciel bas strié de jaune sale. L'hiver s'avérait fangeux, plus humide que froid. Un crachin persistant et des effluves malodorantes venant du fleuve viciaient l'air ambiant. Les squelettes végétaux dressaient leurs silhouettes maladives au sein d'une brume collante et délétère. Le vent mugissait par les branches, comme autant de lamentations de spectres . Un écho à celles qui franchissaient parfois l'enceinte du bâtiment carcéral. Parée de miradors, entourée de barbelés, sa réputation de terreur n'avait d'égale que les abominations commises par les détenus.

Le portail de fer hérissé de pointes s'ouvrait devant un véhicule pénitentiaire. Transbordé depuis une péniche à dix kilomètres en aval du cours d'eau, la route qu'il avait empruntée pour parvenir jusque-là était réservée à l'usage exclusif de l'administration pénale. Une fois qu'il eut passé le seuil, il resta bloqué dans un sas constitué d'énergie. Les accréditifs furent vérifiés par voie numérique. Alors seulement le transport passa. Il se gara dans une cour d'asphalte luisante d'aquosité. Un homme se tenait debout, l'air sévère, le cheveu brun, vêtu d'un uniforme noir galonné d'argent. Derrière lui attendaient deux gardes robotiques.

Le conducteur patientait à côté du fourgon, un pad à la main. Le directeur l'apostropha, lui coupant ainsi la possibilité de s'exprimer.

— Cette structure n'est pas habilitée pour accueillir ce type d'individu, la cité carcérale d'Orion...

— N'est plus accessible. Le front de guerre s'est déplacé, la route qui y conduisait est coupée, il n'est même pas impossible de penser que la cité carcérale soit tombée dans le giron de l'ennemi.

— Mais...

— Ne cherchez pas, votre établissement reste l'unique structure disponible actuellement. On a estimé, en haut-lieu, qu'elle était parfaitement adaptée à l'incarcération d'un logor.

Il lui tendit le pad en concluant :

— À présent, veuillez signer la prise en charge, je vous prie. Un conseil, ne prenez pas le risque d'un refus ou Préparez-vous à en assumer les conséquences.

Le visage de l'homme brun se figea de contrariété, ses poings se serrèrent, ses yeux sombres cillèrent. À contre cœur, il apposa son pouce sur le pavé numérique. Quelques minutes plus tard, le nouveau prisonnier, escorté des gardiens cybernétiques, entrait dans le quartier de détention. Son visage, relativement calme, n'en reflétait pas moins sa cruauté, même s'il semblait tout à fait humain d'apparence. Habillé de l'inévitable combinaison orange, mais entravé également d'un dispositif de contention en métal électrifié, il ne pouvait qu'avancer. Son regard bleu, d'une transparence glaciale, ne cessait pas d'observer. Rien dans son attitude n'était conforme à son statut de prisonnier. Tel un fauve prêt à bondir, tout indiquait sa nature de prédateur et de conquérant.

Le directeur, qui suivait le trio, ne s'y trompait pas. L'impression tenace d'avoir fait entrer le loup dans la bergerie ne le quittait pas. Il s'en voulait de n'avoir pas su s'opposer plus fermement à la venue du logor.

Je m'amollis avec l'âge

Ainsi, se jugeait-il. Il envisagea brièvement d'exécuter son nouveau "pensionnaire". Mais il ne savait que trop ce qui arriverait s'il s'y risquait. Le gouvernement avait décidé de le garder en vie, sans doute pour raison politique ou diplomatique, il n'avait pas le pouvoir de s'y opposer, et pourtant son instinct lui hurlait : tue-le ou meurs toi-même.

Le groupe s'arrêta. Une porte blindée coulissa, le prisonnier fût poussé à l'intérieur sans ménagement, il gronda. Inquiet, mais sachant le dissimuler, le maître de céans s'avança. Le détenu, à cet instant, le fixait dans les yeux, souriait, découvrait ses crocs et d'autant plus sa dangerosité. L'homme brun fit un signe discret aux robots. L'ordre muet fut compris, les gardiens synthétiques enclenchèrent l'énergie de la contention d'acier. Le corps du logor se raidit, fut agité de soubresauts, s'effondra à terre. Le logor serra les dents, la souffrance était insupportable, mais il resta mutique. Il parvint cependant à lancer au directeur un regard lourd de menaces. La torture cessa, la porte se referma, verrouilla et le Logor demeura seul.

La douleur s'estompait, mais sa fureur croissait, l'aveuglait. Un feulement monta dans sa gorge. Ses yeux se voilèrent de sombre, puis de sang.

"Drokoiiiirrr !!!" gronda-t-il.

Il s'exhorta au calme. Il le devait. Tant bien que mal, il se remit debout, alla s'assoir sur la couchette en sachant que les murs de cette prison, de toute façon, ne le retiendrait pas longtemps.

Le jour finissait, la nuit descendait. Sombre, épaisse, glauque. Le vent et la pluie s'accentuaient sensiblement, rendant le paysage énigmatique, effrayant, dégoulinant d'humidité. Entre les murs de la prison régnait l'ambiance habituelle, faite de hurlements, de menaces, de rires déments. Cela ne durait pas, dans les geôles, les gaz anesthésiants entraient en action, y compris dans celle du nouveau détenu.

Ces précautions prévues, programmées, permettaient au directeur de s'occuper de ses autres tâches. Là, il passait des appels, tentait d'utiliser ses contacts pour parvenir à se débarrasser de son encombrant pensionnaire. Seulement, ce soir-là, il peinait à obtenir ses communications. Nombre d'interférences l'empêchaient d'aboutir. Le phénomène était assez récurrent dans cette région, donc il ne s'en formalisait pas. Cependant, le sentiment d'urgence qui l'envahissait ne le quittait pas, alors il poursuivait ses efforts.

Aucune surprise ne s'empara du logor lorsque les vapeurs léthargiques se répandirent dans l'espace exigu de sa cellule. Aucune inquiétude non plus. Il pensa que c'était le bon moment pour fausser compagnie à tous ces humains condescendants. Il n'eut pas vraiment de mal à se dégager de son carcan énergétique. Ceci fait, il s'approcha de la porte et se mit à l'écoute. Il n'entendait que de faibles gémissements venus des cellules voisines. Ces codétenus ne lui poseraient aucun problème, il restait le battant à ouvrir et les gardes robotiques en faction devant sa cellule. Mais il avait la solution. Il ferma les yeux.

L'homme brun venait de tenter un énième appel infructueux. Furieux, il raccrocha et quitta son siège. C'est à ce moment-là qu'il chancela, sa volonté se délita, sombra, son regard se voilà, mécaniquement il partit de son bureau et gagna le secteur d'incarcération.

La première cellule qu'il ouvrit fut celle du logor. Il neutralisa le système de sécurité. Une voix lui chuchota :

"Tes chefs auraient dû être plus prudents, ils ignorent à quel point ma capture fut une erreur."

Ce furent les derniers mots qu'il entendit…

Des odeurs de charognes flottaient dans l'air, le logor les respirait avec un bonheur ineffable, s'en délectait avec gourmandise ; sa faim s'apaisait. Il contemplait la montagne de cadavres entassés dans la cour. Pas un humain n'avait échappé à sa nature destructrice. Des trophées dont il pouvait être fier. Il se pourlécha les babines et rétracta ses griffes, les écailles tachées de sang qui recouvraient son corps, se soulevèrent. À présent qu'il avait repris sa forme naturelle, il pouvait poursuivre sa mission. Son abdomen s'ouvrit, un liquide épais et verdâtre dégoulina, il y plongea ses mains, extirpa de lui un long chapelet de sphères translucides, puis un second, un troisième, un quatrième...

Avec précaution et une certaine tendresse, il commença à les répartir sur les cadavres. Quand se fut fini, il contempla son œuvre avec satisfaction. Il ne lui restait plus qu'à attendre quelques heures, ensuite, il aurait à disposition, une armée de combattants.

Il pourrait alors poursuivre sa mission : entamer la conquête de la planète…

À plusieurs autres points de la galaxie, d'autres soldats dévoués accomplissaient le même dessein sacré pour la plus grande gloire du peuple logor.

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