L'attrait de l'interdit

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Je guide Bérénice qui rase les murs, elle a chaussé des ballerines souples et silencieuses, enfilé un vêtement sombre. Son visage est dissimulé par le masque de rigueur et d'antiques lunettes à montures d'écailles. Peut-être regrette-t-elle d'avoir accepté mon deal, mais, d'après ce qu'elle a bien voulu me dire, c'est sa dernière chance de pouvoir ramener un scoop à son patron et évoluer au sein de son journal. En résumé, elle craint sûrement une mystification, et que les 1000 uniors qu'elle m'a payés d'avance ne valent pas ce que je m'apprête à lui montrer ; cependant, je me dis qu'elle a pris le risque, cela me rassure.

Soudain, je m'arrête devant une palissade en bois, j'écarte avec précaution les lattes, je vérifie que nous n'avons pas été suivies et je chuchote :

— À partir de là, on se tait, on ne dit plus rien.

Elle acquiesce silencieusement et me suit dans une cour intérieure couverte de pavés inégaux et encombrée de poubelles débordantes de déchets. Des odeurs pestilentielles flottent dans l'air. La voix froide de Bérénice me parvient :

— Vous ne recyclez pas vos déchets, ici ?

— Le camion de recyclage ne passe qu'une fois par quinzaine !

— Vous n'avez pas de trieur et de recycleur automatique dans cet immeuble ?"

Là, elle m'agace.

— Ceux qui vivent ici n'en ont pas les moyens, ma p'tite dame !"

J'ajoute de façon impérative :

— À présent, taisez-vous !

Elle obtempère sans discussion et me suit à l'intérieur de l'immeuble à la façade lépreuse.

Après avoir emprunté un escalier branlant sur trois étages, je pousse une porte qui grince horriblement, puis m'efface devant Bérénice pour lui laisser le passage. Je remarque que celle-ci est distraite. Elle regarde de tous côtés. Sur son visage, on peut y lire sa consternation. En fait, elle prend en pleine poire le revers du monde policé et parfait d'où elle vient… Enfin, j'ai l'impression que c'est cela, j'interromps son examen minutieux des lieux :

— Soyez attentive, vous n'aurez que quelques instants pour prendre votre cliché.

Elle sursaute, puis nerveusement s'avance… Je me rapproche du mur situé à ma gauche, ôte un tableau qui y est accroché, et révèle aux yeux curieux de la jeune femme, un coffre mural. Je me replace devant afin de composer le code sur le clavier, en toute confidentialité. Enfin, de façon un peu théâtrale, j'ouvre la porte blindée du coffre. Je devine qu'elle retient son souffle. Je m'écarte et j'annonce sur un ton grandiloquent :

"Ladies and Gentlemen, voilà que s'offre à vos yeux ébahis la substance la plus rare, la plus chère, la plus controversée de l'État Mondial, soigneusement enfermée dans son écrin de verre depuis des décennies, lui-même posé sur un coussin de velours : le dernier pot de Patalain !"

Bérénice qui a sorti de sa poche son "Fluxphone", s'apprête à mitrailler la merveille, mais sa mine s'emplit d'incrédulité, puis de déception et sa voix s'exclame, contrariée :

— Quoi ? C'est pour ça que j'ai payé 1000 uniors ? C'est quoi cette escroquerie ? Vous ne me ferez pas croire que cette boue marronnasse dans ce pot de verre banal, est réellement du Patalain ? Ce truc couleur d'excréments ne saurait être le principe le plus addictif et destructeur que la civilisation humaine ait jamais produit, remboursez-moi !"

Calmement, je rétorque :

— C'est pourtant le cas, et il n'y a pas de remboursement possible ! Veuillez vous avancer et concentrer votre attention sur l'étiquette qui certifie l'authenticité de l'artefact !

Elle se raidit, ses doigts se serrent autour de son "Fluxphone", puis elle lève les yeux au ciel, se détend et accepte de s'approcher. Elle lorgne sur l'étiquette dorée où est inscrit en toutes lettres :

"PATALAIN - ÉDITION LIMITÉE"

Aussi : "Marque Déposée" en plus petit. Elle remarque également d'autres caractères, cette fois minuscules, en réalité une énumération d'ingrédients et additifs divers. Elle se redresse, me regarde avec suspicion :

— Le contenant semble authentique ; quant au contenu, j'ai encore des doutes !

Elle s'éloigne un peu, mais prend plusieurs clichés de l'objet. Ceci fait, je la vois effleurer rapidement son écran tactile, cela m'interpelle :

— Qu'est-ce que vous faites ?

— J'envoie les clichés à mon journal.

C'est une explication plausible, mais pourquoi ai-je du mal à le croire ? Un malaise m'envahit, je referme le coffre brutalement :

— La visite est terminée !

Une note venant du "Fluxphone" retentit, je la vois sourire, mon trouble s'accentue. Soudain, elle braque son appareil sur moi d'où émane une onde invisible qui me paralyse. Puis, elle déclare d'une voix forte :

— Au nom des forces sécuritaires de l'État Mondial, Béatrice Dulu, je vous arrête, pour détention de substance illicite et nocive et utilisation d'artefacts historiques dans le but d'en faire des profits.

Je suis furieuse, mais incapable de dire le moindre mot, je ne peux que penser stupidement :

"Merde!! Elle n'était pas vraiment journaliste !"

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