Chapitre 1
- Je dois aller là-bas ! Juste derrière la pierre tombale... Si tu pouvais continuer de t'occuper d'eux ça m'arrangerait !
Je suis obligée de crier pour me faire entendre par Gun qui combat encore les Séraphins. Son pelage crème, ombragé par le sang s'échappant des plaies, se distingue des ennemis. Ce n'est qu'ainsi que je peux le voir. L'ouïe s'est révélée inefficace. Sa fourrure se démarque facilement des différentes créatures qui nous pourchassent. Cette boule brune bondit sur les Séraphins pour leur donner le coup de grâce en se servant de toute la force qu'il peut utiliser. Tuer ces êtres est loin d'être une partie de plaisir si on prend en compte leur vitesse de déplacement. Sauf que le fennec est bien plus rapide, usant de son agilité et sa petite taille comme une arme sans égale. Je n'ai pas peur pour lui, même s'il est couvert de morsures, les autres ne sont que plus faibles. Ceux de l'Ancien Empire seraient morts, mais lui survivra. Sans aucune difficulté... enfin si on oublie qu'il sera au repos pendant deux jours.
Le noir entourant ses plaies attire mon attention. Voilà ce que créent les Séraphins : la noirceur. La chair pourrie à cause de la salive de ces bêtes, et de ce qu'elles sont véritablement. Pourtant, Gun y est habitué. Il sait combattre en faisant abstraction de cette douleur. J'ai confiance en lui, je lui confie ma vie sans aucun problème.
Son grognement me répond alors qu'un Séraphin s'effondre au sol, la tête tranchée. Ce bruit montre parfaitement ce qu'il pense de ma lâcheté. Je ne combats pas autant qu'il le fait. J'en suis incapable, je n'ai aucune résistance physique. Je ne suis pas faible, mais Gun le pense amplement tout autant que les autres. Tout ça parce qu'ils en ont une excellente. C'est une conclusion vraiment hâtive, mais je ne peux que la comprendre. Ils doivent veiller sur moi, ils en sont obligés et savoir qu'un coup peut me blesser et me mettre dans un état comateux ne doit pas vraiment les arranger. La lâcheté est alors mon quotidien selon eux, mais si j'avais le choix je serais allée au combat et j'en aurais tué ! Sauf que je ne peux pas, et ce sera bientôt terminé! Je vais y mettre fin en allant vers la pierre tombale.
Je me tourne en direction de cette dernière, entraînant une mèche de cheveux roux qui se pose entre mes yeux. Je la replace derrière mon oreille en pestant silencieusement. Gun ne peut pas imaginer comment cette touffe de cheveux peut être pénible. Même si je les attache, une mèche finit toujours par s'échapper, et bizarrement, je crois que c'est toujours la même. Mel m'a proposé une solution... ouais non, ne m'en parlez pas, je la trouve bien trop radicale pour la prendre en compte. Se couper les cheveux à la garçonne est une façon de compenser, pourtant la remettre à sa place est bien plus rapide. Plus compliqué, certes, mais j'aime cette fichue chevelure qui encadre mon doux visage. J'ai l'habitude.
Je prends de meilleurs appuis au sol pour m'élancer vers la forme. La seule irrégularité dans le plat des pierres. Je sais que la tombe cache le sombre secret que je convoite. Je suis si proche du but ! Plus que quelques mètres de course et je pourrai partir d'ici. A partir de là, c'est toujours le même parcours... Certes, ce ne sont ni les mêmes gardiens, ni le même lieu, mais ça reste le seul changement. Tout le reste est identique, si bien que je n'ai pas à me casser la tête à chercher l'entrée et la suite de cette aventure... Enfin si seulement on peut l'appeler ainsi. De plus, ces lieux ne sont que pour ceux de mon espèce, les autres ne peuvent entrer. Je me souviens de ma première fois, j'avais passé des heures à trouver la pierre tombale qui était juste sous mon nez... Arrête de te souvenir Ash. Tu as un secret à prendre et des Séraphins à éviter, ainsi que peut-être, un fennec à sauver.
Mais apparemment, le monde ne veut pas me faciliter la tâche. J'ai à peine fait deux pas qu'un visage noir apparait devant moi. Un Séraphin. Un de ces êtres laids que j'aurais vraiment préféré éviter. Il faut croire qu'on n'échappe pas au destin qui mène notre vie. J'aimerais tant dire ce que je pense de cette foutue destinée, sauf que je ne suis pas certaine que ce soit une bonne idée. Je la hais tellement que Gun serait capable de dire que je n'ai aucune pensée rationnelle. Pourtant j'ai de bonnes raisons de la détester. Ok, il est vrai que j'ai tendance à être impulsive, mais là, c'est une réflexion purement réfléchie...
Trêve de bavardages, il semble que je sois dans une situation précaire, et qu'il y ait comme deux yeux blancs qui me fixent sans cligner. Oui, blancs. Pas une once de couleur. Je ne vois même pas mon reflet, comme si l'œil était entièrement desséché. Peut-être que c'est pour cette raison qu'il ne ferme pas ses paupières. On pourrait penser que ce sont des aveugles pourtant non, cette créature voit à la perfection sinon elle ne serait pas là, juste devant moi et à une distance parfaite. Enfin, pas parfaite parce que je lui fonce dessus là !
Un hurlement de terreur m'échappe quand mon corps rencontre celui fait entièrement de brume. Pas celle que tout le monde aurait pu connaître, sinon je serais passée au travers. Franchement, j'aurai préféré. Celle-ci est solide et dévoratrice. Le choc ? Disons que je ne l'ai pas vraiment apprécié. Je sens les deux morceaux de brume noire qui lui servent de bras se refermer autour des miens pour m'empêcher de bouger alors qu'elle me consume lentement. Quand j'utilise le terme « dévoratrice » je ne blague pas. Ce n'est pas pour rien que Gun ne saute pas sur le dos de ses adversaires, alors que ce serait tellement plus simple pour les tuer. A la place, il doit attendre une faille. Il le fait pour ne pas être mangé vivant. La brume pénètre lentement les chairs pour en arracher des morceaux. Plus le temps passe, plus le muscle apparaît. Elle brûle. Elle dévore. Ce qui compose les Séraphins est dangereux, et je suis juste en plein dedans. Comment dire que ce n'est pas une bonne idée du tout. Pourtant, je n'y fais pas vraiment attention. Le regard du Séraphin me captive. Son expression dévoilant une soif de sang... c'est tout ce que je peux voir. L'environnement reste invisible à mes yeux. Tout comme la bataille qui fait rage à côté de moi. Mon esprit fait abstraction de la douleur... A moins que ce soit le Séraphin lui-même qui me la fasse oublier ? Je ne suis plus sûre de rien, tout ce que je sais c'est qu'elle est totalement inexistante. Je me souviens juste que ma peau se fait dévorer par une brume aussi noire que l'onyx.
La monstruosité choisit ce moment pour ouvrir grand la bouche, ou la gueule, je ne sais pas comment la définir. Des crocs comme je n'en ai jamais vu se dévoilent alors à mes yeux. Des crocs qui pourraient sans aucune difficulté pénétrer ma gorge offerte pour me tuer rapidement. Malheureusement, tuer de cette manière n'est pas dans la nature de ces êtres. Ils préfèrent la torture, de ce que j'ai pu apprendre avec le temps. Une torture douloureuse où l'attente de la mort se fait ressentir. Où même la demande est prononcée. Mon esprit me revient ainsi qu'une peur vive et la douleur. Je hurle à nouveau pour exprimer tout ce que je peux ressentir. Que ce soit la douleur ou alors le désespoir. Pourquoi Gun ne vient-il pas me sauver ? Il n'est pas si loin pourtant ! J'ai de quoi me défendre c'est vrai, mais il semblerait que ma dague soit dans ma manche et que je ne puisse l'atteindre vu que mes bras sont comme bloqués par la brume noire. Un grognement de frustration fait trembler ma poitrine. Je vais mourir là sans pouvoir rien faire. Tout ce que je peux essayer, c'est d'appeler le fennec, mais est-ce qu'il va m'entendre ? S'il le pouvait, il serait venu quand j'ai crié... Non ?
- Gun !
Je ne parviens pas à le repérer dans la grotte, pourtant je sais qu'il est dans le coin. Je l'entends... Enfin je ne sais pas si c'est lui ou un autre Séraphin, mais il se doit d'être encore vivant pour me sauver. Je dois vivre ! Oui, cette pensée est égoïste, mais je n'ai pas vraiment envie de mourir maintenant. Après, puis-je mourir en tant que protégée des Divinités ? Un sourire se déploie sur les lèvres du Séraphin voyant ma détresse se faisant de plus en plus ressentir. Je le sens mal... mais à un point... Gun va quitter ce monde à cause de moi. Ce Séraphin ne fait que l'attendre. Il va le tuer avant qu'il puisse me sauver, ou alors il le fera avec moi. Personne ne peut savoir ce que pense un Séraphin. C'est juste impossible. De mon côté, je ne sais même pas s'ils peuvent seulement le faire. Enfin, peut-être, puisque tous les animaux pensent, quoi qu'on en dise. Je me souviens des anciennes études, mais elles ne peuvent qu'être fausses. Mel me l'a dit. Ce qui s'appliquait avant, ne s'applique plus maintenant. Le Séraphin doit être capable de penser, et il doit se douter. Je suis sûre qu'ils doivent avoir l'intelligence de ceux qu'on appelait dauphins.
Je détourne mon regard de lui afin de retourner à ma recherche. Introuvable. Bon sang que fait-il ? Le long rire sinistre du Séraphin résonne. J'attends la mort, elle va m'atteindre tout comme elle a dû prendre Gun. Une larme coule le long de ma joue à cette révélation. Bon sang, il ne pouvait pas être plus résistant ? Je croyais qu'il savait combattre, qu'il devait me protéger... S'il est mort, il ne le peut plus, et je devrais bientôt le rejoindre. Après tout, peut-être que c'est ce que le destin veut. Que je meurs. Il veut peut-être me prouver que je ne suis pas intouchable, que l'on peut me tuer, malgré ce que m'a offert la vie. Les Divinités peuvent tout nous reprendre. Je ne suis pas intuable, même si je l'aurais voulu, je l'avoue. Après tout, personne n'est parfait si j'ai bien compris les propos de mon amie et à cause de moi, la meute a perdu l'un de ses membres, le Bêta qui plus est.
Je sens les ailes du Séraphin se refermer autour de moi, comme un coton qui serait impossible à casser. Pourquoi me protéger alors que le but principal est de me torturer ? La brume de ses ailes brisées m'effleure. M'attendant à une morsure de froid et une dévoration, je me crispe, mais il n'est rien. La brume n'a pas le temps de faire son travail qu'un choc me projette en arrière. Elle n'empêche en rien ma chute, si bien que je rencontre le sol trop rapidement à mon goût. Ce n'est pas qu'il fait mal... Oui bon ok, j'ai super mal, mais je ne suis pas du genre à me plaindre. Un cri se démarque de la lutte qui fait toujours rage autour de moi, mais il me paraît étrangement sourd. Ma tête a vraiment dû taper fort sur le sol. Je ne ressens même plus la douleur de mes bras qui doivent pourtant être sanguinolents. Par un réflexe - que j'ai fini par prendre après les longs mois d'entraînement subis - je me mets sur le flanc, et respire le plus calmement possible tout en ouvrant les yeux qui se sont fermés dans la chute. Devant moi, quelque chose d'inattendu se passe. Ce que j'avais espéré se déroule sous mes yeux grands ouverts, avec un son bien trop lointain encore. Le dos du Séraphin est tranché de part en part. Des balafres le décorent désormais, et son sang noir rejoint le sol plus rapidement que le mien ne le fait. Un grognement répond au cri que la créature a poussé et la tête d'un fennec brun apparaît derrière lui pour lui infliger le coup final. Gun ! Pourquoi ai-je douté de lui, déjà ? Je n'aurai pas dû le faire. Il survit toujours, même quand la mort aurait dû lui prendre la main et l'entraîner dans le royaume inconnu.
Quand il est bien certain que le corps du Séraphin n'est plus qu'un cadavre, ses yeux se posent sur moi, plein de colère et de soulagement. Il gronde doucement avant de donner un coup de queue en l'air et repartir dans le combat contre les Séraphins qui le regardent, incrédules.
Je reprends plusieurs respirations. Je dois y retourner. Si je parviens à récupérer la torche, nous n'aurons plus la malchance de mourir. Donc autant la prendre le plus rapidement possible. Et pour cela, il faut que je rejoigne la tombe. Lentement, je me relève, mettant de côté le fait que ma tête tourne de plus en plus au fil de mon mouvement. Pourtant, je ne m'arrête que lorsque je suis de nouveau sur mes deux jambes et que je suis suffisamment stabilisée pour pouvoir souffler deux secondes. Mais pas plus. Je ne peux aucunement me le permettre. J'aurai dû récupérer le secret depuis longtemps. On serait sortis si le Séraphin n'était pas apparu juste sous mon nez en une présentation des plus rapides et inattendues. Franchement, j'aurais préféré ne pas le voir, mais on peut dire que ma chance n'est pas au rendez-vous en cette belle journée.
Lorsque j'arrive à me concentrer, je commence à me diriger vers la pierre tombale qui trône là, m'attendant le plus patiemment possible. Je la dévisage avec force alors que le pouvoir qui m'occupe se fait sentir. Il sent que le but est juste devant moi, qu'il ne reste plus que quelques instants avant de pouvoir rentrer à la maison. Mes veines se gorgent petit à petit de lui. Il sent ce qu'il y a autour, et juge cela intéressant. C'est d'ailleurs grâce à lui que j'ai réussi à la trouver la première fois. Il bourdonnait tellement qu'il m'était impossible de détourner l'attention. On peut dire qu'il est pratique, même si de mon côté, je le trouve plus insupportable qu'autre chose. Le sentir vibrer en moi ne me plait pas grandement même si je sais que ce pouvoir est incontestablement une partie de mon être. Je ne pourrai m'en séparer. Je suis née avec, je vivrai avec. C'est ainsi que ma vie est faite. J'ai eu le temps de m'y faire.
Je fais un dernier pas avant de m'accroupir devant la tombe et de poser une main sur son sommet. La pierre se fait à demi-chaude sous mes doigts, comme si elle était contente de me voir. La plupart des pierres ont cette réaction quand elles cachent ma proie. Comme si elles voulaient me guider en fait. C'est souvent à ce moment-là que je suis contente d'être de cette espèce. Les différents peuples ont tendance à nous haïr pour nos origines, mais ils ne savent rien de notre but. Car oui, si nous vivons, c'est avec une mission bien précise que nous nous devons de respecter. J'expliquerai plus tard, je trouve que je me suis bien assez dispersée.
Mes yeux se ferment tout seuls afin que ma concentration ne s'échappe. Intérieurement j'imagine mes veines, celles dans lesquelles le pouvoir gigote, je l'attrape entre mes mains spirituelles, et lui demande silencieusement de sortir de mon corps par le lien que j'ai formé. Dès le chemin montré, le fourmillement se dissipe, se frayant un passage vers la main posée sur la pierre tiède. Tout cela se fait en silence, et bien plus vite que ce que nous pouvons penser. Le processus n'est jamais long, car la concentration nous rend vulnérables. Quand le lien se crée entre la pierre et le pouvoir, tout ce qui nous entoure n'est plus pris en compte, ce qui nous rend encore plus fragiles que nous pouvons l'être. C'est surtout pour cette raison que Gun m'accompagne lors des expéditions qui demandent mon pouvoir. Les gardiens peuvent venir à bout de moi si jamais il ne se mettait pas devant mon dos exposé. Car c'est ce qu'il doit faire en ce moment-même. Sans lui, l'un des Séraphins me l'aurait déjà brisé en deux morceaux distincts. Ce n'est pas du tout une question de savoir se défendre ou non. Sinon, je serai seule dans chacune de mes expéditions. A choisir, je préfère mourir seule plutôt que d'amener quelqu'un avec moi dans la mort.
Un tremblement atteint la pierre. Je lève rapidement la main et ouvre les yeux pour me décaler avec précipitation. Le problème de ce genre de pierre, c'est qu'il n'y a aucun moyen de savoir dans quel sens elle se déplace pour ouvrir le chemin. Il peut parfaitement aller dans ma direction, et mon pouvoir ne peut absolument pas l'en empêcher. Je suis obligée de faire attention, une pierre de cette taille dans le pied ne fait aucun bien. Je n'ai pas encore testé, heureusement. Quand elle est enfin immobile, je la contourne et pénètre dans les escaliers sans un regard pour Gun. Je sais qu'il se débrouille, je ne veux pas m'inquiéter pour lui. Finir le plus vite possible est bien mieux.
En bas des escaliers, je ne peux voir que le long couloir qui s'étend sur quelques dizaines de mètres, avec au bout, une torche qui éclaire le mur d'un marron tendre. Je ne comprends pas pourquoi les couloirs sont tous les mêmes. Je suis sûre que si je mesurais les parois à chaque fois, je me retrouverai avec la même donnée. C'est une répétition sans fin, mais au moins, je sais à quoi m'attendre. Ce n'est pas une surprise qui se répète sans véritable raison. Certes, je garde espoir de voir une seule irrégularité dans les grands couloirs que je peux parcourir, pourtant j'ai beau regardé, il n'y a pas la moindre imperfection qui pourrait trahir une différence. Chaque couloir est fait sur le même moule, tout comme la salle qui suit d'ailleurs. Les Divinités semblent manquer d'originalité il semblerait. Peut-être que le temps les a fatiguées.
Cependant, ma main finit par se refermer sur la torche au manche de bois. Ce dernier est protégé pour ne pas brûler tout comme la mèche le fait éternellement. Je crois que la magie des élémentaires de feu permet de faire cela. A moins que ce soit une des Divinités elles-mêmes ? Après tout, le temps m'a montré qu'on pouvait s'attendre à tout de leur part.
Je prends la flamme avec moi, la retirant de son socle de pierre. Elle éclaire le moindre de mes pas tandis que je me dirige vers la grande salle. Très vite, elle me dévoile les piliers faits de pierres précieuses. Des rubis sont posés dans chaque recoin, accompagnés de saphirs ou encore d'émeraudes. Je pourrais nommer d'autres pierres, je les connais toutes par cœur, mais le temps passe. Je dois trouver le secret avant de rejoindre le grand impatient d'en haut.
- T'as fini d'observer les colonnes ? Elles sont identiques à chaque fois, je ne comprends toujours pas pourquoi tu prends le temps de les regarder. Depuis le temps, tu dois connaître l'emplacement de chaque pierre.
La voix grave de mon ami résonne dans la grande salle. Je me retourne vivement, sachant pourtant qu'il se tient contre le tournant qui marque la fin du couloir. Cette place reste sa préférée à chaque fin de quête. Lorsque le secret est sur le point d'être dévoilé. Un soupir m'échappe devant le grand impatient qu'il peut représenter. Mes yeux se posent sur lui, rencontrant les siens qui révèlent tout l'amusement qu'il peut cacher. Avec moi, il n'a jamais vraiment eu l'envie de cacher ses émotions comme il peut le faire avec les autres. De toute façon, je ne le connais que trop bien. Peu de personnes ont l'occasion de voir cette lueur plus claire qui se dévoile durant nos quêtes ou lorsqu'il joue avec les jeunes de sa meute.
Car oui, Gun vient juste d'abandonner sa peau de fennec, et est désormais seulement vêtu de son long manteau de fourrure qui lui tombe aux chevilles. Seuls ceux ayant de hauts rangs dans les meutes peuvent redevenir humain sans avoir de problème d'habits. Même s'ils n'ont aucune pudeur, dans l'urgence cela peut être bien plus pratique, surtout quand il s'agit de ne pas dévoiler sa nature à des biens plus puissants qu'eux. La vie de la meute est semée d'embûches. On peut s'attendre à tout, et j'ai eu l'occasion de le remarquer à plusieurs reprises. Son pelage crème me manque déjà, ainsi que ses longues oreilles capables de capter le moindre son qui l'entoure. Cette longue peau de renard qui le couvre n'est qu'un trophée de chasse, prouvant qu'il a pu tuer un adversaire d'une autre meute. Les manteaux qui recouvrent ceux de son espèce sont seulement faits de leurs ennemis. De ceux qui ne sont pas parvenus à les vaincre. Les meutes suivent la voie de leurs ancêtres.
- Dis-moi, juste pour savoir, il y a combien de neptunites dans celle de gauche ?
Ce jeu, nous le faisons tout le temps avec des pierres différentes ainsi que la colonne. La dernière fois, c'étaient les fluorines sur la colonne d'en face si je me souviens bien. Quand les six colonnes font une dizaine de mètres et qu'elles sont recouvertes de pierres, disons que nous pouvons avoir le choix. C'est pour cette raison que j'observe toujours la grande salle.
- 107, et il y en a 248 dans celle de droite.
Un rire signe la fin de notre jeu. Ses yeux ambrés se ferment pour lui permettre de se reprendre et de se concentrer sur les choses sérieuses. Gun n'est pas du genre à se laisser distraire, ses parents et son rang ne lui permettent pas. Petit, il n'hésitait pas à ne rien prendre au sérieux, mais désormais, il doit réfléchir aux moindres faits et gestes. C'est le principal inconvénient d'un Bêta. Il n'est pas l'Alpha, mais il n'a pas moins de responsabilités.
- Ash, si tu pouvais te dépêcher... La meute n'aime pas qu'on la fasse attendre, tu sais combien elle est protectrice avec toi, donc ne fais pas en sorte qu'elle s'inquiète pour toi. L'Alpha n'est pas...
- N'est pas un tyran, je sais, mais tu ne comprends pas que je ne supporte pas ça ? S'il croit qu'il peut diriger ma vie comme il le fait... Je ne peux pas, Gun ! Je choisis ma vie, je choisis mes quêtes, il ne peut pas me retirer le fait de garder du temps pour moi !
Un grondement s'échappe de la poitrine de mon ami. Il est en partie animal, et je ne dois pas l'oublier, ce que j'ai tendance à trop faire. Je le connais depuis des années, et pourtant, cet aspect se faufile encore entre mes doigts. Un animal reste un animal, même s'ils ne sont pas comme ceux des légendes qui bercent notre monde.
- Il le fait pour ton bien ! Quand est-ce que tu le comprendras ? Il respecte les lois et les directives de notre Divinité. Tu devrais savoir comment elle peut se montrer impitoyable ! Tu as bien vu les gardiens non ? Tu vois ce qu'il peut faire ? As-tu envie que je devienne l'un d'eux parce que j'ai failli à ma mission ? Parce que Galeydon le fera s'il apprend qu'un être comme toi est mort par ma faute.
Je sais qu'il a raison, mais je ne veux pas vraiment l'entendre. Je ne sais pas si vous connaissez cette petite voix qui vous dit de faire tout le contraire... Moi en tout cas, j'ai tendance à trop souvent la suivre. Et je suis têtue, au grand malheur de la meute. Quand j'ai une idée, je la garde. Mais le fait d'être têtue ne m'empêche pas de savoir quand il faut arrêter ou continuer. Et là, le terrain est vraiment dangereux. Surtout quand on sait de quelle manière sont créés les Séraphins, ou les gardiens en général d'ailleurs. Ces êtres sont ceux que nous pourrions appeler les traîtres. Des élémentaires, des métamorphes... Tous ceux que les Divinités ont pu juger comme traîtres. Tous, sans exception, deviennent des gardiens alors que leur âme a été dévorée et donnée comme nourriture à d'autres espèces. Quand leur corps n'est plus qu'une coquille vide, il devient attaché à un lieu bien précis, ne se nourrissant plus que des âmes qui osent passer par là, se jetant sur leur victime sans réfléchir, dans l'unique but de remplacer une âme qui ne peut l'être. Tel reste le destin de ceux qui enfreignent les lois des Divinités.
- Ne discute plus Ash, et va récupérer la pierre, s'il te plait.
Pour une fois, je fais le choix d'obtempérer, sans me priver de lui offrir le regard le plus noir que je peux avoir, qu'il me rend sans plus attendre. Quelques fois, je me dis qu'il prend son rôle bien trop au sérieux. Il devrait se lâcher un peu et profiter de la vie. Il devrait faire comme moi, en fait, réussir à trouver le juste milieu entre les lois et la joie. Mais son rang lui prend trop cette joie qu'il devrait ressentir. Il devient plus froid, alors qu'avant, je pouvais facilement faire la course avec lui. Il y a eu un changement soudain depuis qu'il a, en quelque sorte, été lié à moi.
Je finis enfin par l'avoir. Mon objectif est rempli. Une pierre de la taille d'une paume, repose dans ma main en dégageant une petite chaleur que je pourrai reconnaître partout. Elle est véritable, nous avons réussi à l'atteindre. Celle qui peut retirer les pouvoirs élémentaires. Une pierre rare, et précieuse. Seules les grottes protégées par les Séraphins peuvent en détenir. Et encore, ce n'est pas à coup sûr, puisqu'ils gardent également d'autres pierres les plus précieuses. Comme la neptunite par ailleurs. Cette pierre a beau se trouver sur les piliers, elle n'en reste pas moins rare. Les composants des colonnes sont inutilisables, rendus ainsi par le forgeur des grandes salles. Le pouvoir qu'elles peuvent donner est alors retiré, de sorte qu'elles ne soient prises. De toutes façons, ce serait une épreuve suicide, puisqu'une seule pierre peut faire tomber toute la grande salle. On l'apprend à nos débuts. Notre espèce sait tout ça. C'est peut-être pour ça que ces lieux restent toujours aussi intacts, alors qu'ils existent depuis des siècles et que personne ne les restaure.
Je regarde une dernière fois l'objet de pouvoir aux divers reflets noirs avant de me retourner vers mon ami. Nous devons rentrer, ce sera sûrement l'étape la plus simple.
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