Le cimetière

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 Les dimanches, sans s’annoncer, Bilal faisait irruption chez Qadir et Anoush. Il leur garnissait les oreilles de plaisanteries et de conseils existentiels : “Fais du sport ! Lève-toi plus tôt !”, lesquels glissaient sur eux, indifférents tant ils connaissaient le personnage et la chanson. Après quoi, lui et moi partions avec nos bicyclettes. Dans le parc proche de chez Naia, nous nous rendions pour jouer au Peteca, un jeu d’extérieur que j’avais ramené du Cambodge. Depuis que je lui avais fait découvrir ce petit objet à plumes, nous étions tous les deux devenus accros et pouvions passer des heures à faire des matchs. Bilal et moi partagions cette passion enfantine pour le jeu. Je crois que c’est dans ces moments-là que je l’appréciais le plus. Il perdait peu à peu son côté commandant et fanfaron. Du même coup, nos échanges, passant à travers le volatile, devenaient de plus en plus authentiques. J’aimais regarder mon compère se défouler dans cette danse joyeuse et aérienne.

 Après quoi, nous nous rendions parfois au cimetière d’en face, où il disait ressentir la paix, l’humilité et une grande inspiration.

 - Regarde ces gens, ils n’ont rien emporté avec eux de leurs richesses. Par contre, qu’est ce qu’ils nous ont laissé ? Pour beaucoup, rien à part leur progéniture. Pour d’autres, ils nous ont offert des connaissances scientifiques, des œuvres d’art, des technologies de leur invention, des records sportifs à battre. Laisserons-nous aussi quelque chose d’important ? Tu vois, j’aime venir ici, car les tombes de nos ancêtres sont là pour nous rappeler à quel point la vie est brève, et que chaque jour compte. Pour moi, s’il y a bien une question qui nous sera posée le jour du jugement dernier, c’est celle-ci : “Qu’as-tu fait de tes heures sur la Terre ? En as tu ignoré la valeur ? Les as-tu dilapidées pour des fifrelins, avec des personnes sans intérêts ? T’es tu contenté de dormir, manger, copuler, et dormir à nouveau ?” En réalité, il n’y a que ceux qui sont animés par un élan de folie qui décident de faire autre chose. Je ne parle pas d’une grâce céleste injustement répartie entre les humains. C’est à chacun de nous qu’il revient d’ouvrir des portes.

 - Juliette, si je passe beaucoup de temps avec toi, ce n’est pas gratuitement. C’est parce que je crois en toi. Tu es intelligente, ta vie est faite de bases saines et tu as le sens du travail. Je suis sûre qu’avec un petit coup de pouce tu es capable d’un avenir brillant.

 Un avion est passé au-dessus de nos têtes, marquant la fin de sa phrase. J’ai regardé vers le ciel sans pouvoir m’empêcher de repenser à son discours sur le pilotage. Nous avons saisi l’instant dans un regard complice. La révolte qu’avaient suscité en moi ces paroles impromptues sur le pilotage, l’autre jour face à la mer, avait laissé place à quelques moments de songe. J’y voyais là une charmante fantaisie, sans pour autant me sentir personnellement concernée.

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