Toute cuisine est sorcellerie

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Quel est donc cet éclat de malice, dans la lumière matinale ?
Comme une aile de fée en équilibre, un pétale sucre hésite à fondre sur le bord du chaudron de cuivre. Je m'attarde.

L'ami du diable et des sorcières, ce feu, maîtrisé quoique fougueux, lèche le fond de la gamelle, les mirabelles suent une dernière fois.
Onguent, la confiture sur les plaies de fatigue, je la bouillonne, je la tambouille des enchantements que la vie m'enseigne.

La danse de mes mains m’entraîne dans des tourbillons d'eau et de farines. Le beurre, peu à peu, transforme la glaise ; des golems surgissent.
Feuilleté, sablé, un biscuit s'anime et respire dans mon four.
Le dôme du pain gonfle et attend son tour.

Une Gretel s'invite dans mon esprit. Je ne l'ai ni cuite, ni mangée.
En revanche, j'avoue l'avoir charmée et gardée près de moi, plus de vingt ans.
Du fond de ma cuisine, sur les rythmes impies du péché de gourmandise, je l'ai tenue piégée par ses papilles ; d'aucuns soutiennent que la cuisine, c'est de l'amour.
Peut-être cela est-il vrai…
Du reste ma captive m'a quittée pour une autre passion, mais elle revient souvent comme un oisillon affamé.

La chaleur de l'enfer s'est glissée entre les murs. Comme à Salem, je quitte mon costume ordinaire et me glisse dans ma robe de sabbat. Tourne et danse sur un sol de terre cuite, autour du feu, maîtresse des plain-chants.

Le temps s'accélère.
Un petit tour de couvercle confine les chatteries de confiture. Luisantes et dorées, piquées d'un acide de citron, je retourne les pots de verres pour mieux détruire les germes des poisons.

Lors, sanglants sont les outils qui m'appellent.
Moutons et bœufs, j'ai tué tant de troupeaux... Poulets, poissons, agrémenté les sangs rouges et blancs.
J'ai menti en masquant les massacres. Ce qui est cuit ne se reconnaît pas. Fondantes, enrobées de parfums et d'épices, les viandes croquées rendent mes convives complices. Dans les corps se fondent les corps, envoûtent les Hommes et mes hôtes se damnent.
Je fends, je taille, j'émince et je régale.

Une touche d'innocence excusera la débauche : la chère se végétalise, de plantes en potions.
Sous les frissons de l'eau qui se réchauffe, dans les cristaux de sel fondus, fibres et chlorophylles tissent mes breuvages de vitamines. Philtres rouges, orange, verts ou blancs, le lit des Anodines, mes orviétans ; il faut toujours se méfier des herbes de sorcières…

Des casseroles carabossées, la brume de vapeur se lève, adoucit la chaleur.
Sous les torchons, dans l'obscurité et le mystère, les champignons ont travaillé en secret.
Alors, je ramasse, je frappe, je pétris, je torture.
Souple et rebelle, la boule de pâte se contracte.
Je divise, je tresse, je tords, je pince, je sculpte et j'enfourne.
Dans la lumière électrique d'un filament, je regarde naître, fascinée, le corps du Christ.

Je referme mon grimoire où se confine ma magie, la plus belle et la plus dangereuse aussi.
Mon balai consent à l'avanie et vole à fleur de sol, la poussière perdue.

Au menu ce soir, sorcelleries et envoûtements, je soumettrai quelques âmes et elles paieront le tribu qui nourrit la mienne. À leur insu, leur plaisir, leur jouissance me les enchaînent à jamais.
Elles seront mes créatures sur Terre en attendant l'enfer.

Toutefois, si la cuisine c'est l'amour des sorcières, alors je l'admets, je les aime.

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