La Forêt

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Il y a là, tout près de chez moi, une forêt. Avec des arbres séculaires, des feuilles humides et des animaux sauvages. Une forêt des plus banales. Mais je ne peux dire depuis quand cette forêt existe, je ne me rappelle pas l’avoir remarquée avant. Qu’importe. Elle m’intrigue au plus haut point. J’ai beau poser un fauteuil devant mon carreau et la contempler des heures durant, ma volonté d’en savoir plus reste présente. Ces longues séances d’observation me laissent indifférent. Alors, j’ouvre la fenêtre et je l’écoute. J’écoute. Et j’entends. J’entends un chant mélodieux. Une voix cristalline s'élève. Mes oreilles frémissent. Cette voix est suave comme le miel et douce comme la soie. Un frisson de bonheur me parcourt.

Je ne dors pas cette nuit-là ; ni la suivante, d’ailleurs. Je ne dors plus. Je regarde le jour, et écoute la nuit. Désormais, ma vie n’est plus qu’une contemplation permanente.

Un soir de pleine lune, la chorale est si puissante et si belle que je ne résiste pas. Je dois aller là-bas, je dois voir la chose qui fredonne ainsi. Je viens, je cours, je vole, je suis là. Une lumière claire illumine les bois. La voix se fait insistante, devient pressante quand je m’approche, le rythme s’accélère, et mes jambes font de même. Je ne me contrôle plus. Je suis tout proche. En parvenant à la clairière d’où provient le chant, je vois la Chose. Un homme, une femme. Magnifique et horrible. Je ne sais pas. Juger cette entité est une tâche impossible. Cette Chose n’est pas humaine. Elle ne m’a pas vue. Pas encore. J’ai peur. Je veux partir, mais mes jambes ne m’obéissent plus. Le chant se fait plus fort, devient aigu. La Chose se retourne, me voit, me regarde. Je la contemple dans toute sa splendeur. Je suis terrorisé. Ses yeux sont profonds comme un gouffre sans fond. La Chose grandit, grandit, s’approche de moi en flottant, pareille à un fantôme. Je hurle. Elle aussi. Nos voix se mêlent et forment un concert dantesque et dissonant. Ma tête semble sur le point d’exploser. L’être me tourne autour, il me scrute, me sonde. Il entre dans ma tête, lit mon âme comme on lit un livre. Je m’y oppose, je ne veux pas. Il insiste. Je résiste, mais il est trop fort. Il me griffe le bras, me bombarde de douleur. Une puissance brute infinie. Elle pénètre mon esprit, me possède. Elle se coule en moi. Mes muscles sont tétanisés, je suis à sa merci. Je ne peux dire combien de temps cela dure. Cette Chose boit mes pensées. Que me veut-elle ? Qui est-elle ? Je ne comprends pas pourquoi je suis là. Mes repères s’effacent. Je perds la notion du temps, je suis comme transformé. Nous ne sommes plus qu’un seul, un seul être, en harmonie parfaite, sans défaut. Ma vision est décuplée, je vois tout, partout ! Je suis immatériel, mes trois anciennes dimensions s’effacent, laissant place à une myriade de nouvelles. Mes connaissances sont infinies, je suis immortel, je suis Dieu.

Mais je ne représente qu’une chose sans importance pour lui, alors il s’en va, il m’abandonne. Il s’est nourri de mon âme, et, fort d’une essence nouvelle, retourne chez lui. Je le supplie, je pleure, mais il part. Il me laisse seul. Il a la cruauté de me renvoyer chez moi, dans mon monde basique et ancestral, dans mon espace tridimensionnel primitif. Il me laisse juste un présent, souvenir d’un bonheur révolu, une pierre bleue, parfaitement taillée. Je la glisse dans ma poche, résigné. Et tout bascule.

Je me réveille subitement, le corps baigné dans une flaque de transpiration. Quel rêve étrange ! Je ne sais pourquoi, mais je me sens triste. Je suis épuisé, comme si j’avais réellement vécu cet évènement. En me levant, une douleur fulgurante me traverse le bras. Je le regarde : il est traversé par trois griffures profondes. Comme dans le rêve. Subitement, je suis pris de panique. Vite. Mon pantalon. Je fouille le panier de linge sale, en ignorant le supplice que m’offre mon membre endolori. Il est là. Je le fouille. Et, choqué, horrifié, terrorisé, j’en extrait la pierre.

La pierre bleue que m’a donné l’être de la Forêt…

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