4. Le transfert
Terre Alpha - Juillet 1983
Un son parvint à ses oreilles... une stridulation. Pascal ouvrit les yeux. Dans la pénombre, il put deviner un espace qui laissait passer la lumière à sa gauche... Une fenêtre... Dans la pénombre, cette lumière faisait apparaître des ombres, certainement des meubles. Sa tête tournait légèrement mais il vit qu'il était allongé. Il se redressa et s'assit sur le lit face à la fenêtre avant de reprendre ses esprits :
"Ce son, c'est le chant des grillons".
La chaleur l'envahit soudainement et il s'entendit dire :
- Je connais cet endroit, cette odeur. Je suis... dans ma chambre. Mon Dieu.
Pascal tâtonna de la main et sentit un meuble sur sa gauche.
- Ma chaîne stéréo, murmura-t-il.
Il chercha à se rappeler où se trouvait sa lampe de chevet. Il lui semblait qu'elle était à droite du lit, et il put la sentir en tendant la main. Il remonta le fil jusqu'à l'interrupteur et l'activa. La lumière de la lampe éclaira la pièce où il avait passé son adolescence. Il se leva doucement et se déplaça délicatement. Il essaya de ne faire aucun bruit. Il sentit sous ses pieds la moquette aiguilletée qui recouvrait le sol en béton. Le trouble qui obstruait sa vision commençait à s'atténuer et il put discerner correctement sa petite chambre mansardée. Ce fut un véritable choc pour lui. Son bureau, son lit, les meubles en bois blanc... tout lui paraissaient entièrement neufs. Rien n'avait bougé, tout était à sa place. La tapisserie qui recouvrait les murs représentait des fleurs jaunes sur fond marron, et le plafond de la mansarde en lambris était de lasure.
Il revit alors son père effectuer tous les travaux pour lui confectionner sa chambre.
- Je suis de retour en 1983.
Une forte émotion le saisit. Il s'assit sur son lit, la tête dans ses mains. Les larmes lui montèrent aux yeux puis il se souvint de Raeha et de ses conseils :
"Mettre ses émotions de côté."
Le plus dur restait à venir lorsqu'il ferait face à ses parents, surtout son père, disparu sur Terre Lambda.
Il essuya son visage et prit une grande inspiration. Il commença à chercher des indices pour se remémorer l'époque dans laquelle il se trouvait. Il ouvrit l'armoire. Le tiroir central contenait ses sous-vêtements et juste au-dessous, une grande enveloppe marron où étaient entassées des lettres et des photos de ses anciennes petites amies. Il en sortit quelques-unes qu'il consulta rapidement et ne put empêcher de sourire. Il se sentait dans un état second et il fallait absolument qu'il se reprenne.
D'ici un jour ou deux, il referait le point sur son passé, mais pour l'instant, il devait se remettre rapidement dans le bain, un bain délaissé depuis 40 ans.
Il attrapa un jean. Lorsqu'il l'eut en main, il ne put s'empêcher de le regarder de plus près : Taille 38. Il l'enfila en hâte puis un tee-shirt. Il sentit sa force physique amoindri alors qu'il avait gagné plus de souplesse. Pascal mesurait un peu plus d'un mètre soixante-quinze et sur Terre Lambda, il pesait quatre-vingt-quinze kilos. Sur Terre Alpha, son poids était descendu à soixante-dix kilos. Il avait perdu en quelques minutes vingt-cinq kilos.
Quand il réalisa cela, il se mit à rire en pensant aux publicités de programme de minceur puis ses pensées allèrent à sa tête où il posa immédiatement ses mains : il avait retrouvé ses longs cheveux bouclés ! Il se positionna devant le miroir de sa chambre et la vision qu'il eut de sa personne lui fit faire un pas en arrière. Devant lui se dressait un jeune garçon sorti de l'enfance et il en fut saisi. Aucune cicatrice, aucune trace que la vie lui avait laissé.
Il commença à réaliser qu'il vivait une aventure extraordinaire.
Il ouvrit la porte de sa chambre et descendit doucement les treize marches de l'escalier en chêne qui menait à la salle à manger. Il se rappela que la sixième marche émettait un craquement et il l'évita afin de ne faire aucun bruit. Arrivé en bas, il entreprit de ne pas allumer la lumière. Il devait se rendre à tâtons dans le couloir qui menait à la chambre de ses parents et où se trouvait également le téléphone. Il y chercherait l'annuaire téléphonique qu'il pourrait consulter afin de continuer ses recherches.
Puis, il remonta s'enfermer dans sa chambre et s'assit à son bureau qu'il commença à inspecter. Il y trouva un carnet duquel il put extraire quelques adresses et numéros de téléphone puis il s'afféra en consultant l'annuaire. Cela lui prit deux bonnes heures pour trouver les renseignements dont il aurait besoin.
Il finit ses préparatifs, éteignit la lumière et s'allongea sur son lit pour réfléchir à la journée à venir. Le vieux réveil mécanique était réglé pour six heures trente, il avait tant à faire. Une envie soudaine d'allumer une cigarette le prit. Il se souvint qu'il fumait à cette époque-là et son corps, en manque de nicotine, lui réclamait sa dose. Une petite épreuve à surmonter, mais ça ne serait pas la plus difficile.
Il ferma les yeux, mais ne trouva le sommeil que tard, la nuit étant déjà bien avancée. Le réveille-matin le sortit du rêve dans lequel il était plongé. Une mission avec ses anciens camarades, une opération de secours qui ne se passait pas comme il le souhaitait. Enfin... un de ces rêves qui n'ont ni début ni fin et qui laissent un goût amer au réveil.
Pascal avait l'habitude de dormir les volets ouverts. Lorsqu'il ouvrit les yeux, une grande clarté illuminait déjà sa chambre. La température avait baissé durant la nuit et la fraîcheur du matin lui était agréable. Il pensa qu'il devrait se réhabituer à la chaleur car durant les dernières années de sa vie sur Terre Lambda, il avait vécu dans la région parisienne, puis dans le centre du pays, et les températures n'avaient rien à voir avec celles de son sud natal.
Il prit le temps de regarder sa chambre et de penser à l'époque où il se trouvait. Il eut une pensée pour Raaver et Raeha et il ne douta que brièvement de leur existence quand il prit conscience qu'il ne rêvait pas.
Maintenant, il allait mettre en œuvre le scénario auquel il avait pensé une bonne partie de la nuit. Il s'habilla et descendit l'escalier pour se rendre dans la cuisine afin de préparer un café pour son père, qui adorait le boire au lit. Quand il passa devant la chambre de ses parents, la porte était entrouverte.
Quelle serait sa réaction à leur vue ? En toute honnêteté, il appréhendait ce moment, l'ayant joué cent fois dans sa tête.
"Surtout... pas d'émotion !"
Il entra dans la cuisine. Il dut se réhabituer rapidement aux ustensiles qu'il devait utiliser pour faire le café. Pas de micro-ondes, pas de "Senseo" ni de cafetière "Expresso". Seulement une bonne vieille cafetière italienne que sa grand-mère paternelle avait offerte à sa mère. Il s'empressa de préparer le café.
- Mon petit Pascal... un bon café, ça me ferait pas de mal !
Jean était déjà réveillé et l'avait entendu se lever.
- Oui, P'pa, ça arrive !
- Et pas du jus de chaussette comme t'as l'habitude de faire !
- Ok, P'pa, pas d'problème !
Pascal avait le cœur qui battait la chamade. Dans quelques minutes, il reverrait son père, jeune et en pleine santé.
Sur Terre Lambda, un après-midi de septembre 2018, rentré de mission, sa mère l'avait appelé en urgence. Il avait franchi le seuil de la chambre de son père, dans leur petit appartement du quartier de Saint-Julien, pour lui dire au revoir, une dernière fois. Le visage de Jean, rongé par la maladie et la vieillesse, était méconnaissable. Lorsque Pascal l'embrassa sur le front, il sut que c'était un adieu. Il le regarda une dernière fois et sortit de sa chambre.
Son père mourut dans la nuit.
Pascal ne pleura pas, il ne sut jamais pourquoi. Peut-être devait-il être fort pour sa mère et ses deux sœurs, effondrées. Ce n'est que quelques mois plus tard, qu'il réalisa sa perte alors qu'il se rendait seul, sur sa tombe.
Maintenant, il allait le revoir, bien vivant. Son sourire bienveillant irradierait son visage, comme toujours. Il remplit deux tasses de café qu'il déposa sur une assiette, puis prit la direction de la chambre de ses parents. Il poussa la porte avec le pied et entra, comme tous les samedis matins. Il leva les yeux et devina le regard de son père dans la pénombre.
- Tu veux que j'entrouvre la fenêtre ? demanda Pascal en posant l'assiette sur la commode.
- Oui, s'il te plaît. Il fait quel temps dehors ?
- Il fait beau, P'pa, comme d'hab !
Pascal écarta les volets et les accrocha, entrouverts. Il se tourna et regarda enfin son père. Il fut saisi. Son père était alors âgé de 48 ans. Un sourire illuminait son visage. Le jeune homme sentit des picotements monter dans son nez et sa vue commença à se brouiller. Il baissa aussitôt la tête :
- Salut P'pa, salut M'man.
Anaïs avait toujours ses cheveux noirs. Elle était âgée de 46 ans et paraissait bien plus jeune. Il voulut les prendre dans ses bras, les serrer contre lui, les embrasser, leur dire qu'il les aimait par-dessus tout. Mais il ne le pouvait pas. Non seulement, ce n'était pas dans ses habitudes de l'époque et il ne fallait rien changer mais il se devait de contenir ses émotions.
Toutefois, Pascal prit la mesure de l'amour qu'il portait à ses parents, puis il pensa à ses sœurs, sachant qu'il ressentirait la même chose quand il les reverrait. Il distribua les cafés à ses parents puis prit le prétexte d'aller chercher le sien pour sortir et aller s'essuyer les yeux. Il revint quelques minutes plus tard, une tasse de café à la main, et s'assit sur le bord du lit, près de sa mère :
- Euh... j'ai un petit quelque chose à vous demander.
- Si c'est de l'argent, reviens demain, plaisanta son père.
- Bah, justement...
Pascal prit l'air le plus triste qu'il pouvait, un air de chien battu.
- Arrête, tu vas me faire pleurer, fils ! Et sa mère d'ajouter :
- Tu as besoin d'argent ?
- Besoin, non, pas vraiment. Disons que j'aimerais faire une petite sortie ce week-end et je suis pas très riche.
- Combien tu veux ? demanda Jean.
Pascal fut un peu pris au dépourvu, il ne se souvenait plus trop de la valeur des choses en 1983.
- Cinq cents francs, c'est beaucoup ? Son père faillit s'étouffer :
- Quoi ? Mais tu veux faire le tour du monde ou quoi ? Cela fit rire Pascal qui improvisa :
- Disons que je dois faire le plein de la voiture et sortir avec les copains. J'aimerais fêter mon permis avec eux, manger un morceau, tout ça, quoi...
- Deux cents balles, c'est tout ce que t'auras, dit-il en riant, et c'est non négociable !
- C'est parfait, se réjouit Pascal.
- Passe-moi mon portefeuille sur la commode. Pascal s'exécuta. Jean en sortit quelques billets qu'il tendit à son fils.
- T'es un bon petit, Pascal.
- Je te les rendrai, P'pa, promis !
- Au fait Pascalou... Il est très bon ce café !
- Tu vois P'pa, les miracles, ça existe !
En sortant de la chambre, Pascal ne put se retenir :
- Je vous adore tous les deux.
Il sortit en courant de la maison. Sur le parking, devant le garage, se trouvait sa voiture.
Sa Simca 1100 orange de 1974 que son père lui avait dénichée et offerte.
À l'époque, il l'avait trouvée magnifique. Il avait passé toute sa journée à la nettoyer et à la conduire.
Il ouvrit la portière et se glissa derrière le volant. De nouvelles émotions l'assaillirent lorsqu'il se trouva face au tableau de bord de son ancienne voiture. Il sourit. Passer d'une voiture électrique ultra moderne à un véhicule de 50 ans son aîné, c'était vraiment un choc. Il tourna la clé et le petit moteur de 4 cylindres démarra au quart de tour. Pascal caressa le tableau de bord du bout des doigts :
- Ma belle, je vais bien m'occuper de toi.
Il coupa le moteur et descendit de la voiture. Dans le garage, il trouva de quoi nettoyer l'habitacle. Une heure s'écoula. Il commençait à faire chaud. Son travail était terminé.
Il fonça vers la salle de bain où il prit une douche fraîche. Devant le miroir, ils observa ses cheveux. Ils étaient longs, bouclés, soyeux. Il ne savait plus comment en prendre soin. Mais quand il voulut se raser, un sourire illumina son visage juvénile et presque imberbe :
"Ça, par contre, ça va être rapide", pensa-t-il.
Il saisit son eau de toilette préférée, Azzaro, et s'en aspergea le corps. Il quitta la salle de bain en vitesse. Il croisa sa mère dans l'encadrement de la porte de la salle à manger qu'il faillit percuter.
- Pardon, M'man !
Il grimpa l'escalier de sa chambre en courant. Son corps était jeune, sans douleur, vif comme l'éclair. Pour lui, c'était comme avoir des superpouvoirs.
Il ouvrit son armoire. Devant lui, ses anciens vêtements, dont une chemise en toile blanche qu'il aimait particulièrement. Il l'enfila et attrapa une veste en jean.
Il eut soudain une pensée pour sa mères et ses sœurs qui devaient le pleurer sur Terre Lambda. Cela l'attrista. Il resta assis quelques secondes avant de réagir.
Cet univers était condamnée. Il fallait sauver Terre Alpha.
lI ouvrit le tiroir de son chevet. II en sortit une montre en métal doré, munie d'un bracelet en cuir marron quasiment neuve. Sa Longines. Il l'attacha autour du poignet. Puis, il descendit l'escalier plus lentement qu'il ne l'avait monté. Il décrocha le combiné du téléphone et composa les numéros qu'il avait notés.
Ceux des ses amis
Il put contacter Karine, Christian et Florence et leur donna rendez-vous dans un café qu'ils avaient l'habitude de fréquenter, à Aubagne. C'était un petit bar sympa où se retrouvaient surtout les jeunes de leur âge pour refaire le monde ou jouer des parties de baby-foot mémorables, dignes des plus grands matchs de Coupes du Monde de Football.
Dès les premiers kilomètres, il dut se réhabituer à la conduite de sa voiture. Elle n'avait pas de direction assistée, le volant était fin et très grand, et sa tenue de route, imprécise, laissait à désirer. Même pied au plancher, la Simca n'avait aucune reprise comparée à la Tesla et ses 400 chevaux. Cela le fit sourire :
"Quelle évolution technologique en cinquante ans !"
Il lui avait suffit de remonter le temps en quelques secondes pour s'en rendre compte réellement.
Sa jolie maison nichée au pied du Ruissatel dépendait de la commune d'Aubagne, une ville qui semblait sortir tout droit d'un tableau impressionniste, baignée par la lumière dorée du Sud de la France, cernée des collines de la Provence, et étendue au pied du majestueux massif du Garlaban. Le massif rocheux sauvage et indomptée semblait veiller sur la ville telle une sentinelle silencieuse. Les cigales chantaient avec ardeur sous le ciel azur. Elles emplissaient l'air chaud de l'été d'une musique intemporelle, tandis que le parfum enivrant de la garrigue emplissait chaque ruelle, chaque sentier.
Pour Pascal, ce fut c'est un deuxième voyage dans le temps.
La redécouvrant en 1983, il se remémora la ville de son adolescence où la beauté se mêlait à la simplicité, où la nature sauvage venait mourir au pied de la modernité telle une vague s'échouant sur la grève, où une histoire que l'on emporte avec soi était une promesse de retour.
Arrivé dans le centre-ville, il chercha un parking. Tout semblait si différent. Il décida de faire le tour de la ville pour reprendre ses repères : Les feux tricolores, les "Stop" et les "Cédez le passage" avaient remplacé les ronds-points. Il devait s'y acclimater de nouveau. Et puis, toutes ces voitures des années 70 semblaient sortir des vieux films de Belmondo qu'il adorait voir et revoir sur Terre Lambda. Le seul avantage, pensa-t-il, et non des moindres, était qu'il y avait beaucoup moins de véhicules, donc très peu de circulation. Il retrouva un parking auquel il n'avait plus pensé, tout près de la gare, et y stationna sa voiture.
Il se rendit à pied sur la grande place où se trouvait un café Bar-Tabac dans lequel il entra. L'envie d'allumer une cigarette le reprit, mais il écarta immédiatement cette pensée. Il se dirigea vers le comptoir et s'adressa à la buraliste :
- Bonjour, je voudrais jouer au loto, s'il vous plaît.
Celle-ci désigna un emplacement réservé à cet effet dans un coin de la salle. Pascal la remercia et s'approcha du comptoir sur lequel pendait un vieux stylobille "Bic" attaché avec du scotch au bout d'une ficelle usagée. Il s'en saisit et attrapa également un billet vierge où apparaissaient les cases à cocher. Il prit une grande respiration et cocha les sept numéros gagnants du tirage suivant, la main tremblante.
L'idée de jouer au loto lui était venue alors qu'il se trouvait dans le vaisseau spatial de ses nouveaux amis "pléiadiens". Il avait pensé qu'avoir beaucoup d'argent à sa disposition l'aiderait dans les démarches qu'il aurait à entreprendre durant sa mission. Lorsqu'il avait soumis l'idée à Raeha, celui-ci lui avait répondu qu'il disposait de son propre libre arbitre et lui avait conseillé d'éviter d'attirer l'attention.
Pascal connaissait déjà à l'avance les gains qu'il obtiendrait, mais son cœur battait la chamade dans sa poitrine. Quelque part, il avait l'impression de tricher, et il dut se persuader du bien-fondé de cette idée pour la réussite de sa mission. Malgré tous ses efforts, il entendait une petite voix au fond de lui qui ne cessait de le tourmenter. Cette somme venait avec un poids moral qu'il n'avait pas anticipé et il se demanda s'il était prêt à sacrifier son intégrité pour l'acquérir ?
Il secoua la tête et essaya de chasser ces pensées. Il savait qu'il ne pouvait plus reculer maintenant. Tout se mettait en place et il ne restait plus qu'à exécuter le plan jusqu'au bout et une fois la mission effectuée, il pourrait reverser cette somme à des personnes démunies ou dans le besoin.
Mais pour l'instant, il devait rester vigilant, car le moindre faux pas pourrait tout faire basculer. Il lui faudrait ouvrir un compte en banque pour placer cette somme d'argent, assez conséquente pour l'époque, puisqu'il devait gagner la coquette somme de trois millions de francs.
Il fit valider le "billet gagnant", le rangea précieusement dans son portefeuille et commanda un café qu'il but rapidement. Après avoir réglé la note, il traversa la place pour entrer dans une banque de la petite ville provençale. Il s'adressa au guichet afin d'obtenir un rendez-vous pour l'ouverture d'un compte, qu'il obtint pour le mercredi de la semaine suivante. Le tirage du loto se faisant le mercredi soir, Pascal accepta le rendez-vous. Il se rendrait à Paris la semaine d'après pour y retirer ses gains qu'il déposerait un ou deux jours plus tard et, de la sorte, n'éveillerait aucun soupçon. Il sortit de la banque, regagna sa voiture et se rendit dans une station-service pour y faire le plein d'essence.
Après avoir payé, il prit directement la direction de la grande place où il devait retrouver ses amis.
Arrivé au café, il aperçut Karine, Christian et Florence déjà installés à une table en terrasse. Comme d'habitude, ils étaient en train de discuter et de rire. Ils n'avaient pas changé, bien entendu et ils semblaient heureux et insouciants, comme il les avait laissés.
Pascal sentit son cœur se serrer un instant, submergé par une vague de nostalgie et de reconnaissance. Il s'approcha de la table avec un sourire :
- Salut tout le monde !
C'est Karine qui leva les yeux la première :
- Pascal ! Elle se redressa pour l'embrasser :
- Comment ça va ? Christian et Florence se levèrent à leur tour pour le saluer, des sourires éclatants sur leurs visages.
- Viens, assieds-toi, on t'attendait, l'invita Christian.
Pascal prit une chaise et s'assit avec eux. A leur vue, des émotions commencèrent à déferler mais il ne fallait absolument pas qu'elles ne prennent le pas sur lui. Il devait absolument gérer son stress et se persuader qu'il ne les avait pas vus depuis quelques jours, des semaines, tout au plus.
Il se laissa porter par les conversations, évoquant des souvenirs de l'année écoulée. Il partagea des anecdotes et rit de bon cœur. Il se remémorait toutes ces histoires au fur et à mesure qu'elle étaient racontées. Il les approuvait de temps en temps, comme si, lui-même, s'en rappelait. Minutes après minutes, Pascal se sentait de mieux en mieux. Pour la première fois depuis longtemps, il commençait à se sentir dans son milieu, un milieu oublié depuis des années. Il se surprit quelques fois à les dévisager, notamment Karine avec qui il avait eu une aventure qui avait fini, pour elle, il y avait un mois, pour lui quarante ans auparavant.
Une fois de plus, dès lors qu'il se sentit bien, la journée passa trop vite, entre les discussions animées et les plans pour de futures sorties. Pascal se sentit reconnecté à une partie de lui-même qu'il avait presque oubliée. La compagnie de ses amis, leur joie de vivre, tout cela lui rappelait pourquoi il aimait tant cette époque. Le soleil commença à teindre le ciel de couleurs chaudes et Pascal se leva pour partir.
- Il faut que j'y aille. On se revoit bientôt ?
Ils acquiescèrent avec enthousiasme et se levèrent pour le saluer.
- Prends soin de toi, on se revoit vite ! dit Karine en le prenant dans ses bras.
Elle déposa un baiser sur sa joue. Pascal sentit son cœur s'emballer et dut, une nouvelle fois, contrôler ses émotions. Il l'embrassa aussi Florence et serra la main de Christian. Il leur fit un dernier signe avant de s'éloigner. Il sentit une chaleur douce emplir son cœur. Il retrouva sa vieille Simca, mit le moteur en marche et prit la route, un sourire serein sur les lèvres.
Dans la boîte à gant, il sortit une K7 de Richard Cocciante qu'il inséra dans son Blaupunkt auto-reverse et "Concerto pour Marguerite" l'accompagna en direction du centre commercial. Cette journée avait été parfaite. Il se sentait prêt à affronter la missions qui l'attendait, armé de l'amitié retrouvée.
Il roula quelques minutes sans se presser, les vitres ouvertes, bercé par l’air tiède du soir et les notes mélancoliques de Cocciante. Tout semblait paisible. Trop paisible. Mais il le savait. Cette parenthèse enchantée ne durerait pas.
À mesure que les kilomètres défilaient, une autre réalité refaisait surface. Celle d’un choix. D’une rupture. D’un départ qui avait tout changé. Le visage de Karine se brouilla dans sa mémoire, remplacé par un autre. Plus doux. Plus profond.
Celui de Glorie.
Et, comme une vague venue des profondeurs de sa conscience, les souvenirs l’envahirent.
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