Chapitre 3.1 - Korrigans

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 Louarn, sous sa forme favorite, léchait ses plaies, roulé en boule entre les racines d'un grand châtaignier. Il avait retiré un à un les aiguillons des poulpikans et essayait maintenant de faire en sorte que le sang arrête de couler des dizaines de petites piqûres qu'il avait sur tout le corps. Même s’il supportait plutôt bien la douleur et que sa condition de korrigan lui permettait de résister au poison dont ses lointains cousins enduisaient leurs flèches, il se sentait clairement affaibli.

 Le garçon était sauf, c'est tout ce qui comptait.

 L'arbre contre lequel il avait trouvé refuge était un ancêtre, ses immenses branches tordues et dépourvues de feuilles s'étendaient aux abords du Yeun Elez. Elles se découpaient de façon inquiétante dans la brume du petit matin, mais il en fallait bien plus pour effrayer Louarn. Il se redressa avec précaution et remercia le vieux châtaigner d'un bref hochement de tête pour le maigre abri qu'il lui avait fourni.

 La tête rousse du renard émergea d'entre les racines de l'arbre et fila hors des marais, en direction des basses collines environnantes.

*****


 Comme à chaque fois qu'il revêtait une forme animale, Louarn laissait libre cours aux instincts de la bête qu'il sentait remonter. Ses congénères évitaient au maximum ces transformations, ils prétendaient qu'à chaque fois qu'ils se changeaient, ils prenaient le risque de perdre un peu de leur âme... Louarn restait persuadé que c'était une rumeur répandue par leur Ancien depuis que ce dernier avait été vu se roulant dans la boue sous la forme d'un sanglier...

 Lui aimait ces moments où il se laissait couler dans la peau de l'animal qu'il était devenu, furetant dans les buissons à la recherche d'un mulot, suivant la piste d'un lapin de garenne, croquant quelques baies au passage ou sautant après une alouette ayant décollé sous son nez.

 Il se laissa donc distraire en chemin et parcouru plus de distance que nécessaire, mais il savait pourtant exactement où il se rendait. Au fur et à mesure de la journée, le paysage changea donc petit à petit et les collines couvertes de bruyères firent place aux champs cultivés striés de routes et de chemins. Louarn s'y sentait bien moins à l'aise et regrettait le bocage d’antan où il pouvait se déplacer de talus en bosquets. Le maillage des petits champs, cultivés à la main ou à l'aide de bêtes, avait fini par être remplacé par de grandes étendues informes et vides, où les machines pouvaient circuler plus facilement. Il plongea au cœur de l'une de ces immenses plantations de maïs, non sans pester contre la stupidité des hommes, et eut l'impression de mettre une éternité à traverser ce labyrinthe vert. Champ après champ, le paysage changea à nouveau et de petits vallons boisés commencèrent à faire leur apparition.

 C'est à la fin de sa journée de marche que Louarn atteignit l'un d'entre eux, plus profond, au creux duquel s'écoulait une rivière agitée. De gros chaos granitiques obligeaient le cours d'eau à rebondir de-ci, de-là entre les rochers érodés et moussus. La lumière rasante du soir enflammait le feuillage restant des hêtres, penchés au-dessus de cette petite vallée.

 Le renard se faufila entre les troncs tombés et les roches affleurantes de la pente et s'arrêta au bord de l'eau pour laper le liquide frais et revigorant. Il emprunta ensuite un chemin à peine visible qui longeait le cours d'eau, passait de pierres en pierre pour traverser la rivière et disparaissait, de l'autre côté, entre deux blocs de roche.

 Il se glissa dans la faille et se retrouva dans une sorte de cavité naturelle, entre les pierres. La faible lumière, pénétrant par un espace entre les blocs, sur le haut de la grotte, éclairait difficilement l'abri. Louarn repris sa forme korrigane et descendit avec précaution les marches que formait naturellement la roche pour atteindre le fond de la caverne. Ses sabots résonnaient dans cet espace confiné lorsqu'ils rencontraient la pierre et, en dehors de ce bruit, seul le son agité des remous de la rivière pénétrait jusqu'ici.

 Il sentit enfin la terre meuble, marquant la fin de sa descente et fit quelques pas pour se retrouver face à un grand bloc de roche lisse. Il en caressa la surface et murmura quelques mots dans un langage depuis longtemps oublié des hommes, et dans un grondement, la pierre se mit à pivoter.

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