Hors des sentiers battus

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Dans le village, Siméon était connu sous bien des noms : le cherche-denier, le fouille-rotin, le quêteur d'écu, le fureteur d'obole... Les habitants ne s'étonnaient plus de le voir ainsi courbé, le nez rivé sur le sol, la nuque au soleil, à la recherche de son butin du jour. Certains malins s'amusaient même à lui faire des farces, mais l'expert reconnaissait vite les fausses pièces, les cailloux ronds et les rondelles de métal. Siméon ne parlait pas beaucoup, n'avait pas d'amis connus, ni de famille proche. On le considérait comme un extravagant et, bien souvent, les gens ricanaient en le voyant passer.

Arriva cependant un jour où le chercheur d'or ne trouva plus rien. Cela arrivait parfois, mais jamais pendant aussi longtemps.

Le village était plein d'artisans réputés et des gens de tous horizons venaient là pour marchander, consommer et acheter. Une véritable aubaine pour la formidable collection de Siméon. Seulement voilà, les voyageurs préféraient maintenant se rendre dans la grande ville, plutôt que de devoir emprunter les chemins de campagne jusqu'au village.

Peu à peu, les établissements furent en difficulté. Les restaurants et les hôtels n'eurent plus de visiteurs, les boutiques plus de clients, les marchands plus de négociants... Les volets et les portes se fermèrent le long des rues. La vie dans le village devint moins animée. Certains décidèrent de partir pour la ville, d'autres, de proposer leurs services dans les villages voisins. Siméon, lui, se trouva sans le sou.

Ça n'était qu'une façon de parler, car les nombreux doublons qu'il possédait lui permettaient d'acheter ses commissions, mais il n'arrivait pas à renoncer à son activité favorite. Il décida de partir en quête d'un nouveau territoire d'exploration.

Il se munit d'une besace, y glissa du pain, du fromage, une bouteille de jus de raisin et des biscuits au miel avant de partir sur la route.

De part et d'autre de la voie, il entendait les cloches des vaches, les aboiements des chiens et les bêlements des moutons. Il sentait des dizaines d'odeurs : les fleurs des champs, l'herbe coupée, les tas de feuilles que l'on brûlait, le fumier... son attention cependant ne se laissait pas distraire et ses yeux d'aigle restaient focalisés sur le sol.

Siméon connaissait bien les abords du village et les chemins de terre fermiers, le long des champs, où l'on voyait mêlées les empreintes de chaussures et celles des pattes des animaux

C'était la belle saison et le soleil tapait fort quand il arriva à son zénith. Siméon transpirait à grosses gouttes et sa besace lui paraissait bien lourde. Il s'affala à l'ombre d'un pommier, en bordure de la route, et descendit la moitié de sa bouteille de jus. Le liquide était devenu tiède, il fit la grimace. Il ramassa plusieurs pommes tombées au sol, les frotta sur son vêtement et les mangea goulûment. Il s'endormit ensuite dans la chaleur de l'après-midi.

Quand il se réveilla, l'astre solaire avait déjà parcouru une bonne partie de sa course dans le ciel. Siméon se dépêcha de reprendre sa quête. Au crépuscule, il n'avait toujours rien ramassé. Il rentra chez lui bredouille et perclu de fatigue. Il se promit de partir plus tôt le lendemain.

Il partit cette fois à l'aube, dans la direction opposée à la veille. Des brindilles, des fourmis, des pierres, il n'y avait rien de bien attrayant sur la route. Cette fois, à midi, il arriva en bordure du bois. Siméon n'aimait pas le bois. Le sol se couvrait de feuilles, les sentiers nombreux et accidentés perdaient le marcheur non-aguerri et l'on pouvait facilement se cogner à une branche quand on gardait le nez baissé. Que faire ? Rebrousser chemin ? Non, il se décida à progresser sous le couvert des arbres, peut-être que dame fortune se trouvait quelque part entre les troncs.

Siméon n'osait pas l'avouer, mais ce qu'il lui faisait le plus peur en entrant dans la forêt, ce n'était pas les loups ou les sangliers, mais bien les ogres et autres êtres magiques. Depuis tout petit, on lui racontait que les bois étaient des lieux mystérieux, peuplés de créatures fantastiques, et qu'il fallait prendre garde à n'en vexer aucune. Les champignons ne devaient pas être cueillis s'ils formaient un cercle de fée, les cabanes tordues cachaient des repères de sorcières, et si vous trébuchiez ou vous piquiez aux orties, c'était sûrement l'œuvre de farfadets malicieux.

Siméon se munit de tout son courage et s'enfonça plus profondément entre les arbres.

La recherche devint encore plus difficile. Les ronces agrippaient ses vêtements, ses cheveux balayaient les toiles d'araignées et, partout, il entendait des bruits inconnus et inquiétants. Il déboucha enfin dans une clairière. Là, se trouvait un étang où des grenouilles coassaient joyeusement entre roseaux et nénuphars. Siméon s'avança un peu trop et enfonça ses souliers dans la vase. Il pesta et secoua ses chaussures à présent mouillées. Un batracien effrayé sauta de la berge dans les eaux vertes, déplaçant sur son passage les lentilles d'eau qui empêchaient le collectionneur de voir le fond du bassin. Alors, il vit apparaître, reposant sur le fond crasseux, un sou merveilleux, brillant de mille feux. Il n'hésita pas une seconde et plongea les deux mains dans l'étang pour s'en saisir.

Agenouillé, il admira le gros sou doré, qu'il était bien sûr et certain de ne pas posséder. Il détailla la gravure de la pièce : un croissant de lune sur lequel se tenait assis un chat. Une brindille craqua dans les sous-bois. Siméon s'empressa de quitter les lieux et de rapporter le sou chez lui. Sans qu'il s'en aperçoive, dans les buissons de la clairière, deux yeux jaunes avaient tout observé.

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