L'appât du gain

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À la nuit tombée, le filou sortit de sa cachette et se mit à inspecter le bâtiment. Il fit courir ses mains sur toutes les faces , sans pouvoir glisser ses doigts dans aucune ouverture. Il tenta de faire basculer le grand cube, qui ne bougea pas d'un centimètre. Il s'étala ensuite dans l'herbe et tenta de forcer la petite porte d'entrée. Elle résista à ses assauts. Il maugréa et se promit de trouver le moyen de voler le trésor de la souris.

Le lendemain, il attendit Siméon sur le bord du chemin. Le rongeur trottinait en direction du centre-bourg, une pièce dans son sac, comme chaque jour.

Le filou préféra essayer de l'amadouer. Il s'affala par terre, attacha un foulard autour de sa jambe et retira une de ses fausses dents.

— Souris magique ! Souris magique ! l'interpella-t-il d'une voix plaintive.

— Que se passe-t-il monsieur ? Me connaissez-vous ? s'étonna Siméon.

— On raconte beaucoup de bien à ton sujet au village. Tu sais, les adultes aussi ont grand besoin de jolies pièces pour s'acheter de belles choses.

— Cela se comprend, acquiesça Siméon. Mais toi qui est grand et fort, ne peux-tu pas travailler pour gagner de l'argent ?

— Hélas non, je suis malade.

Il fit semblant de tousser pour appuyer son propos.

— Et j'ai mal à ma jambe, dit-il en montrant son mollet, entouré du faux bandage.

— Effectivement, c'est bien fâcheux.

Le rongeur prit un air contrarié.

— Me voilà embêté, j'ai promis ce sou que je transporte au petit Marcelin. Il a perdu sa première dent hier.

— Mais moi aussi j'ai perdu une dent, regarde ! s'exclama le filou en brandissant sa fausse dent.

La petite souris agita ses moustaches et fit les gros yeux.

— Monsieur, je crois que vous essayez de me berner. Cette dent que voici n'en est pas une vraie. Croyiez-moi, je suis un expert à présent !

De rage, le filou se jeta sur le rongeur pour tenter de lui arracher son sac. Siméon piqua la main du voleur avec son épingle et s'enfuit dans les hautes herbes.

Plusieurs jours durant, le filou tenta différents stratagèmes pour chaparder les pièces de Siméon. La souris prit peur de sortir et on ne la vit plus au village. Les enfants étaient bien malheureux. Ils auraient volontiers rendu tous les sous obtenus juste pour revoir leur ami.

Lorette se faisait beaucoup de soucis pour Siméon, et elle pleurait parfois le soir, dans son oreiller.

Un jour qu'elle était assise dans son jardin, un grand chat gris s'approcha d'elle et se frotta contre ses jambes. Elle lui caressa distraitement le dos et sentit une chose étrange sous ses doigts. Elle cria.

— Non, non, ça n'est que moi ! la rassura Siméon, qui se trouvait sur le dos du chat.

La petite fille serra son ami contre elle et ils partagèrent des larmes de joie.

— Mais où étais-tu ? lui demanda-t-elle. Nous étions tous terriblement inquiets ! Nous t'avons cherché partout !

Lorette déposa Siméon sur le bord d'un pot de fleurs.

— Eh bien, je me cachais. Figure-toi qu'un filou m'attend à ma porte et tente de me dérober les pièces que j'échange contre les dents. Alors je n'ose plus sortir. J'ai observé toute la journée ses allers et venues. Dès qu'il a eu le dos tourné, j'ai couru dans les buissons. Heureusement que Grimine se trouvait dans les parages, il m'a transporté jusqu'ici sur son dos.

Le chat miaula, comme pour confirmer les mots de Siméon. Lorette le gratta affectueusement derrière les oreilles. Il se mit à ronronner.

— Que vas-tu faire ? questionna-t-elle, inquiète. Tu ne pourras plus venir jouer avec nous ? se lamenta la petite fille.

— Je crains, ma chère Lorette, comme j'en ai eu souvent peur, que mes pièces n'attirent trop de convoitises... Pourtant, elles sont bien plus utiles dans les mains des enfants qu'à rester dans leurs tiroirs. J'ai remarqué que depuis quelques jours, le filou n'est plus le seul à chercher un accès vers mes richesses. D'autres brigands viennent rôder autour du coffre. Je les entend au petit matin, essayer d'ouvrir la porte. Une femme a même tenté de m'attirer dehors en disposant du fromage sur un piège à souris !

À ces mots, Lorette plaqua ses mains sur son visage en poussant un cri d'horreur.

— La seule manière d'échapper à la vigilance de ces gredins, c'est que je sorte désormais la nuit. Je veux continuer à rendre les enfants heureux, j'aime cela. Je sais à quel point ça les transporte de joie de recevoir une pièce en échange de leurs quenottes. C'est un souvenir qu'ils garderont toute leur vie, leur premier sou, de la petite souris.

La petite fille regarda son ami en souriant tristement.

— Tu as bon cœur Siméon, voilà pourquoi tu nous manques tant. Mais tu as raison, pour ta sécurité, il vaut mieux que tu ne sois plus vu .

Lorette fronça les sourcils.

— Comment feras-tu pour échanger les dents contre une pièce ? Si tu viens la nuit, les enfants dormiront.

— Ils n'auront qu'à glisser la dent sous leur oreiller, réfléchit Siméon, tout haut. Le lendemain matin , au réveil, ils découvriront la surprise !

Lorette eut soudain les larmes aux yeux et accrocha ses mains au rebord du pot de fleurs.

— Alors ce sont des adieux ? Nous n'allons plus nous revoir ?

Siméon eut le cœur brisé de la voir si peinée.

— Ne sois pas triste, nous avons encore sept incisives, quatre canines et huit molaires pour nous revoir, répondit-il en posant ses pattes sur sa main.

La petite fille rit malgré son chagrin.

— Et puis, comme ça, je te verrai grandir. Je t'accompagnerai jusqu'à ce que tu sois top grande pour croire encore en mon existence. Ensuite, je ne serai plus pour toi qu'un lointain souvenir de petite fille.

— Non, Siméon, je croirai toujours en toi ! affirma la fillette en le serrant de nouveau sur son cœur.

Dés lors, on ne vit plus jamais dans le village de petite souris avec un sac fermé par un petit bouton et une épingle à cheveux en guise d'épée. Lorette apprit aux enfants la décision de Siméon et tous s'appliquèrent à glisser leurs quenottes tombées sous leurs oreillers.

Bien sûr, il y a des coquins qui essayèrent de garder les yeux ouverts, pour l'apercevoir. Mais la souris ne voulait pas leur causer la peine de devoir dire au revoir de nouveau. Elle attendait patiemment que chaque enfant fut endormi profondément pour venir récupérer la dent.

Une seule petite fille eut le privilège de revoir la petite souris, mais c'est un secret qu'elle se garda bien de partager.


— FIN —

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