Dans le bain

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- Prendre un bain tout habillée avec un homme nu, c'est ça ton fantasme ?

- Dans une baignoire submergée par la mousse. Oui, j'avoue !

- Tu jubiles comme une gamine.

- Je dois dire que je n'ai jamais éprouvé autant de plaisir en sautant dans une flaque d'eau !

- J'ai l'air intelligent tout nu à tes côtés. Je me sens...

- En position d'infériorité ? Toute cette mousse est là pour ça !

- La mousse ? Qu'est-ce que ça change, la mousse ?

- Tout ! Je ne devine pas ton corps ; tu ne devines pas le mien. Tu vois il y a toujours une manière de réduire les inégalités.

- Si j'avais un jour imaginé philosopher avec une femme dans mon bain !

- J'ai déshabillé mon âme dans cette lettre. Tu ne voudrais pas que je me mette à nu une seconde fois.

- Si Pierre était là, il n'en croirait pas ses yeux.

- Parlons de lui justement ! Je ne suis pas fière de mes pensées à son égard. C'est pourtant quelqu'un que j'estime malgré vos différents.

- Sur le moment j'ai trouvé ta jalousie plutôt mignonne, une marque d'affection surprenante venant de ta part, un aveu sincère aussi. Par contre, tu m'obliges à faire attention à ne plus parler de lui en ta présence.

- Avec toi, je discute très librement de tous les sujets, hors de question de changer ça ! J'espère que ce sentiment si amer s'est dissout dans l'encre que cette révélation a fait couler.

- On dirait que tu découvres la jalousie.

- J'ai subi ce sentiment plusieurs fois mais je ne l'ai jamais éprouvé pour quelqu'un.

- Pourquoi envers moi ?

- C'est pour ça que je ne pouvais pas dormir. J'ai pensé à notre complicité, à toutes ces attentions que tu me réserves, à cette vie trop belle tout d'un coup et la possibilité que tout pourrait s'arrêter si Pierre revenait...

- Tu as cru que je pouvais t'abandonner à cause de mon attitude envers François Morin ? Je venais de rencontrer Pierre, j'étais jeune et très amoureux à l'époque.

- Oui en partie, sans doute... Tu es toujours très amoureux. Lorsque tu parles à Pierre ou que tu penses à lui, j'ai la sensation de disparaitre, de ne plus exister, des idées noires m'envahissent sans que je parvienne à les refouler.

- Ne plus exister, c'est une peur extrême.

- Irrationnelle.

- Tu es une femme très indépendante, tu as déjà vécu plusieurs ruptures et à présent, tu paniques dès que je m'éloigne un instant. Quelque chose m'échappe.

- J'ai toujours été à l'initiative de la rupture.

- Tu ne t'es pas fait larguer une seule fois dans toute ta vie amoureuse ?

- Non. Tous les hommes que j'ai rencontrés m'ont déçus pour des motifs différents, certains en moins de temps qu'il faut pour le dire. Je n'avais aucun scrupule à rompre une relation qui n'avait plus rien à voir avec ma définition de l'amour et du couple. Aujourd'hui, ces hommes me sont tous devenus étrangers et ça me rend triste.

- Et tu ne trouves pas ça louche ?

- Heu... Quoi donc ?

- De tomber amoureuse de personnes qui vont te décevoir un jour ou l'autre et que tu n'auras aucune peine à quitter ?

- Tu crois que je suis responsable de cela ?

- Lorsque ce genre de situations se repète à l'identique, il est licite de se demander si le problème ne vient pas de soi.

- J'assume ma part de responsabilités. Mon travail était souvent la cause de nos disputes. On ne revient pas indemne de la rue, impossible d'être à l'écoute de l'autre en un claquement de doigt. J'avais parfois besoin de longs moments de solitude. Moins j'accédais à leurs désirs, moins ils essayaient de me comprendre et ça se terminait le jour où on ne savait plus comment s'adresser la parole.

- Là, tu examines les conséquences, je te parle de ce qui t'attire chez l'autre.

- Ce qui m'attire chez un homme au premier abord ? Son regard, sa façon de se comporter, son humour, je ne sais pas trop...

- Tu crois que nous en sommes pleinement conscients ? L'apparence physique, le caractère, les points communs... tout cela n'est que la partie émergée de l'iceberg. Tu m'as cité une expression intéressante hier : « l'inconnu de soi sur soi », à mon avis c'est lui qui tire les ficelles, lui qui protège nos désirs les plus ancrés et emprisonne nos peurs les plus inavouées.

- Poursuis ton idée.

- Tu es l'aînée. L'affection dont tu as pu entourer tes frères et sœurs, toi, tu ne l'as reçue de personne. Je ne sais pas comment un enfant peut vivre privé de l'amour de ses parents.

- Tu crois qu'on peut inventer l'amour ?

- On dirait bien que tu l'as fait pour ta famille. Votre histoire familiale est liée par cet amour inconditionnel qui vous unit dans l'adversité.

- Nous avons tous une vie confortable aujourd’hui et nous n’habitons plus sous le même toit, mais nous sommes restés fidèles à nos habitudes : confier nos peines, nos difficultés et prendre l’avis des uns et des autres pour tenter d’y faire face au mieux. Aucun dissident dans le clan Sansoussi !

- Tu n'espères pas trouver cette forme d'amour dans tes relations amoureuses. Je me trompe ?

- Je ne sais pas comment tu perçois tout cela, répondit Emma, désarmée par la question.

- Comment une enfant marquée au fer de l'abandon pourrait-elle créer des liens avec l'assurance de ne plus jamais revivre cette situation ?

- Je ne sais pas.

- Tu n'as pas peur d'affronter les difficultés de la vie, pas peur de la solitude, pas peur de rompre... Tu as seulement peur de t'attacher...

- Ça bouleverse ce que tu dis.

- Lorsque tu es entrée dans ma chambre...

- Je ne savais plus du tout où aller. Je devais renoncer à l'idée de guérir et je me sentais si révoltée.

- La révolte, c'est la force opposée au désespoir.

- Je connaissais le pronostic mais impossible de me résigner à quitter ce monde avec un tel sentiment d'incompréhension.

- Et rien de plus facile pour toi de m'approcher, j'étais encore plus vulnérable que les personnes dont tu t'occupais dans la rue.

- J'ai pourtant réussi à te sortir de ton lit bien plus vite qu'un sans abris de la rue.

- Tu as le souci de l'autre, tu es convaincante et ton énergie est très communicative. Tu as réveillé en moi plein d'envies que je pensais éteintes.

- Lorsque j'ai compris que tu préférais les garçons, mes sentiments pour toi n'ont pas changé pour autant.

- J'étais gay, je rentrais parfaitement dans tes critères... Tes sentiments n'ont pas changé mais tes défenses se sont effondrées.

- Tu veux dire que pour la première fois...

- Tu aimes quelqu'un au risque de le perdre. Je suis très ému d'être cette personne, Emma.

Louis marqua un silence et poursuivit :

- Même si notre rencontre est récente, même si ma relation avec Pierre dure depuis 25 ans, tu as une place importante dans ma vie. Tu ne dois plus jamais douter de cela ni des sentiments que j'éprouve pour toi.

- Merci Louis.

- Ma relation avec lui n'a rien à voir avec la nôtre. L'une ne contredit pas l'autre et comme tu l'écris à la fin de ta lettre, « une relation unique ne peut pas souffrir d'une concurrente ».

- Je suis rassurée si tu partages cette idée.

- Unique ne signifie pas exclusive, d'ailleurs.

- D'ailleurs, qui d'autre aurait eu l'idée de plonger dans ton bain à l'improviste ? reprit-elle sur le ton de la plaisanterie.

- Je te le confirme. Ni un garçon tout habillé ni aucune autre femme !

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