11 - Fantôme en eau trouble
Alors que la lumière blafarde de l’après-midi filtrait à travers la végétation dense et enchevêtrée des Marais Mutants, Khaad, armé de son arbalète, menait le groupe avec une assurance silencieuse. Adda et Jax suivaient de près, leurs yeux scrutant les alentours, à l'affût du moindre danger. Le chemin devant eux, un labyrinthe de flaques boueuses et de racines entrelacées, semblait engloutir leurs pas, rendant chaque son, chaque mouvement, plus pesant.
Autour d'eux, la vie des marais s'éveillait dans un éclat de couleurs et de sons. Des méduses flottantes, soutenues par des poches d'hélium naturelles, dérivaient au-dessus de leurs têtes. Leurs corps translucides, illuminés de teintes iridescentes, projetaient des ombres dansantes sur le sol. Leur présence, bien que silencieuse, était un spectacle à la fois beau et étrange.
Sous leurs pieds, les eaux peu profondes abritaient des carpeaux-feu. Ces petits poissons, aux écailles scintillantes comme des joyaux, glissaient entre les herbes aquatiques, créant de petites ondulations à la surface de l'eau. Leur ballet aquatique était un moment de grâce dans cet environnement autrement hostile.
Les marguerites miroirs se dressaient fièrement parmi la végétation luxuriante. Leurs pétales, réfléchissant l'environnement alentour, semblaient être des yeux observant curieusement le trio de voyageurs. Lorsque le soleil filtrait à travers les branches, ces fleurs capturaient la lumière, la diffusant en un kaléidoscope de couleurs vibrantes.
Khaad s'arrêta un instant, scrutant une clairière à travers la brume. Il fronça les sourcils, observant les mouvements subtils de la faune des marais.
Adda, marchant silencieusement à travers le marais, se laissa submerger par les souvenirs de Janjans. Une vague de tristesse l'envahit, ses pensées se perdant dans les méandres du passé. Elle se souvint de Janjans le Pesant, un surnom que les enfants des différents tribus lui avaient donné, non sans une pointe de dédain. Il était souvent perçu comme brutal, ses manières brusques et son tempérament impétueux le rendant impopulaire parmi ses pairs. Sa réputation de garçon malpoli, toujours prêt à se lancer dans une bagarre ou une querelle, l'avait isolé des autres enfants.
Malgré cela, il y avait des moments, rares mais précieux, où Janjans révélait une autre facette de sa personnalité. Adda se rappela avec nostalgie les jours ensoleillés passés ensemble, où Janjans, elle et Jax avaient oublié les rivalités et les différences pour simplement profiter de l'instant présent. Ils riaient ensemble, partageant des aventures et des rêves, Janjans se transformant alors en un compagnon joyeux, plein d'histoires extravagantes et d'éclats de rire contagieux.
Ces moments heureux, où ils couraient à travers les dédales de l'astroport, inventant des jeux et des défis, étaient des bulles de bonheur dans leur vie souvent difficile. Janjans, dans ces instants, n'était plus le Pesant, mais un ami loyal et protecteur, prêt à tout pour les faire rire et leur offrir des instants de légèreté.
Adda se sentit envahie par une douce mélancolie en repensant à ces souvenirs. La complexité de Janjans, à la fois dur et tendre, difficile et amusant, lui manquait soudainement.
Elle chassa ces pensées, elle devait se concentrer sur le chemin devant elle, mais une part d'elle restait suspendue à ces souvenirs, à ces moments de joie et de complicité dans sa mémoire.
Jax, les cheveux en désordre agités par la brise légère du marais, s'arrêta un instant, laissant son regard errer sur le paysage qui s'étendait devant lui. Son esprit, toujours enclin à faire des analogies avec le monde numérique qu'il connaissait si bien, trouvait une étrange ressemblance entre ces lieux et les réseaux de données qu'il avait l'habitude de parcourir.
« Ces marais, » commença-t-il, un sourire en coin se dessinant sur ses lèvres, « c'est comme un réseau de données corrompu : complexe et imprévisible. » Sa voix était basse, presque un murmure, se mêlant aux sons ambiants du marais.
Il fit quelques pas, les pieds s'enfonçant dans l'eau stagnante, créant de petits remous. « Regardez cette eau, » continu a-t-il, pointant du doigt la surface miroitante. « Elle est comme les flux de données non filtrés, grouillante de vie et d'activité, mais impossible à déchiffrer sans le bon outil. »
Au loin, le soleil blafard tentait de percer la brume épaisse, envoyant des rayons timides à travers les feuilles. « Et cette brume, c'est comme les interférences, les brouillages qui obscurcissent la vision. On sait qu'il y a quelque chose derrière, mais on ne peut pas le voir clairement. »
Jax s'approcha d'une plante aux longues feuilles ondulantes. « Et ces plantes... elles sont comme les programmes autonomes, les scripts qui fonctionnent en arrière-plan. On les ignore souvent, mais elles façonnent tout l'environnement autour d'elles. »
Il se tourna ensuite vers les structures en ruine, vestiges des anciens colons. « Ces ruines, elles sont comme les vieux systèmes abandonnés, encore là, témoignant d'un passé oublié, mais toujours influent. »
Un cri lointain d'un animal du marais retentit, faisant écho à travers les eaux calmes. « Les animaux ici... ce sont les utilisateurs imprévisibles du réseau. Certains sont inoffensifs, d'autres dangereux. On ne sait jamais sur quoi on va tomber. »
Enfin, il regarda ses compagnons, un sourire plus large illuminant son visage. « Et nous, dans tout ça ? Nous sommes comme les explorateurs de données, naviguant dans un monde chaotique, essayant de trouver un sens dans le désordre, de tracer un chemin à travers les anomalies. »
Khaad, l'écoutant attentivement, hocha la tête en signe d'approbation. « Et parfois, les signaux les plus dangereux sont ceux qu'on ne voit pas venir. Restons sur nos gardes. »
Autour d'eux, le marais semblait répondre à la voix de Jax, les bruits de l'eau clapotant, le sifflement du vent à travers les herbes hautes et l'odeur humide de la végétation créant une atmosphère à la fois mystérieuse et fascinante, un monde à découvrir et à décrypter.
Leur marche reprit, un pas après l'autre, à travers le théâtre vivant des Marais Mutants.
Adda, son esprit encore embué de souvenirs et d'inquiétude, s'arrêta net lorsqu'une silhouette familière se dessina dans la brume.
« Janjans ? » murmura-t-elle, l'espoir teintant sa voix d'un mélange de surprise et d'incrédulité.
Il se tenait là, à une distance trompeuse ! Adda, poussée par un élan d'espoir s'élança vers la silhouette sans une seconde de réflexion.
« Adda, attends ! » s'écria Jax, mais c'était déjà trop tard. Elle avait disparu dans la brume, son ombre s'estompant partiellement.
Khaad, ses sens en alerte, suivit rapidement, ses pas silencieux et rapides le portant à travers le voile du brouillard. Jax, bien que confus, se précipita finalement derrière eux, criant :
« Mais oui, c’est Janjans... Comment ! »
Khaad s'arrêta net, levant une main pour signaler a Jax de faire de même. Ses yeux perçants scrutèrent la figure au loin.
« Attend, » chuchota-t-il, sa voix teintée d'une suspicion grandissante.
La silhouette ressemblait à Janjans, mais quelque chose dans sa façon de trembler était anormale. Ce n'était pas le tremblement naturel d'un être vivant, mais plutôt comme si l'image elle-même était perturbée par des interférences. Khaad plissa les yeux, analysant chaque détail.
« Ce n'est pas normal. Reste en arrière, Jax» insista-t-il.
Soudain, la vérité éclata : la silhouette se dissipa dans un nuage de spores colorées, révélant sa véritable nature : une plante métamorphe, un piège vivant des marais.
Le mécanisme de cette plante était fascinant et terrifiant à la fois. Sa capacité à projeter des hologrammes de spores colorés était une adaptation remarquable, un moyen de survie dans l'environnement hostile des marais. Ces spores, lorsqu'elles étaient libérées, formaient une image tridimensionnelle – une illusion parfaite destinée à attirer ses proies. La ressemblance avec un être vivant ou une plante était saisissante, jouant sur les émotions et les instincts de ceux qui s'aventuraient trop près.
Adda, au cœur du piège, s'immobilisa, réalisant la supercherie. Reprenant ses esprits, elle recula précipitamment, mais c’était déjà trop tard. La plante, déploya ses vrilles tranchantes et se préparait à enserrer sa proie.
Alors que la plante métamorphe révélait sa véritable nature, Khaad et Jax se précipitèrent dans la bataille. La plante, avec ses vrilles, fibreuses et robustes, ressemblait à un monstre échappé d'un cauchemar. Ses tentacules fouettaient l'air avec la force et la précision d'un fouet d'acier.
Khaad, armé de son couteau de chasse, se lança dans le combat avec détermination. Ses coups, précis et rapides, visaient les vrilles qui s'approchaient de lui, les tranchant une à une.
Jax, à bonne distance, maniait sa fronde avec une habileté remarquable. Ses boulons, lancés avec force, déchiquetaient les tentacules et repoussaient les attaques de la plante. À chaque tir, il ciblait la créature précisément, créant des ouvertures pour les assauts de Khaad.
La bataille devint vite chaotique, un mélange de cris, de mouvements rapides et de contre-attaques féroces. Les vrilles de la plante, semblables aux tentacules frénétiques d'un calmar géant, étaient aussi fortes que la poigne d'un ferrailleur. Chaque vrille résistait comme un brin d'acier, ne cédant que sous les coups les plus puissants.
Au cœur du combat, Adda se débattait désespérément. Les vrilles l'entouraient, serrant son corps avec une force écrasante. Elle sentait sa poitrine se comprimer, ses poumons luttant pour aspirer de l'air. La peur et la rage se mêlaient en elle, une tempête d'émotions tourbillonnant dans son esprit. Elle pensait à Janjans, à leurs amis, à leur lutte pour la survie. Les poings serrés, elle refusait de céder.
Finalement, dans un effort coordonné, Khaad et Jax parvinrent à couper les vrilles qui enserraient Adda. La plante, affaiblie par leur assaut continu, commença à fléchir. Dans un dernier spasme silencieux, elle s'effondra, ses tentacules retombant lourdement au sol.
Le trio, épuisé mais indemne, se regroupa. Adda, haletante, lutta contre les larmes de rage et de soulagement. « Je pensais... je pensais que c'était lui, » murmura-t-elle, sa voix brisée par l'émotion.
Jax posa une main réconfortante sur son épaule. « On va le retrouver, Adda. Ne laisse pas ces marais jouer avec ta tête. On est plus forts que ça, plus forts que leurs illusions. »
“Trouvons un endroit pour passer la nuit et nous reposer,” déclara Khaad à bout de souffle, marqué dans sa chair par les nombreux coups de fouet qu’il avait reçu.
Annotations
Versions