16. Douleur sentimentale

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Le souffle coupé, la gorge brûlante, Lilith était incapable de remuer les lèvres. Les larmes coulaient sur ses joues, sans qu’elle puisse les retenir. Elle sentit la chaleur l’assaillir par vagues, tandis que son visage s’empourprait. Elle était statufiée, les yeux écarquillés, la bouche ouverte, elle entendait son cœur battre avec violence à ses tempes. Une douleur fulgurante s’empara d’elle, la laissant dans un mutisme total.

Elle sentit le père Gabriel dénouer ses bras dans son dos et poser ses yeux sur elle, mais elle ne le voyait pas. Elle ne le voyait plus. Tout était étrange, irréel, indescriptible. Puis des souvenirs s’imposèrent. C’était dans une autre vie, une vie emplie de vide. Une vie dénuée de sens et d’espoir. Une vie qui était la sienne. Elle se vit errer seule dans ces couloirs animés, les jupons noirs agités par le vent. Pas un mot, pas un regard, pas même une caresse involontaire des tissus qui s’agitaient dans l’air. Les jours monotones défilaient de façon mécanique. Sa vie était une horloge bien huilée, elle en parcourait le cadran sans attendre rien de plus du temps qu’il ne passe. On ne lui permettait jamais de faire quoi que ce soit, elle portait le mauvais œil.

Sa seule distraction, son seul espoir, la religion. C’était la seule chose à laquelle elle avait accès dans ce couvent sous prétexte que cela la purifiait. Elle se nourrissait de religion. Sa seule famille. Elle se souvint de ces nuits sombres où elle s’éclipsait de la chambre en silence pour aller « parler à sa famille » dans la chapelle, pour déposer un cierge afin que ses vœux soient exaucés. Les jours, les mois, les années passaient, ponctués par ses apparitions à la sortie de l’église.

Puis un jour, la lumière. Un homme. Elle ne le connaissait pas, ne savait pas d’où il venait ni où il allait. Mais ça n’avait aucune importance, elle savait qu’elle l’aurait suivi au bout du monde si nécessaire. Elle passait ses nuits à se répéter les mots qui lui avait dit, comme une berceuse : « je suis le père Gabriel et je suis médecin. J’ai longuement discuté avec la Mère supérieure et elle est d’accord pour que tu viennes avec moi. Nous partirons dans quelques jours le temps que j’organise notre voyage ». Elle passait ses journées à l’attendre religieusement dans le jardin. Il lui parlait et c’était doux. Puis un jour, il ramena une petite chose avec lui. Dès qu’elle la vit, elle sut : c’était son ami et confident de toujours, Jésus.

Le départ fut un soulagement, l’obscurité de sa vie laissait place à une lueur grandissante au bout du chemin. Le Père Gabriel était là et lui parlait. Cette voix l’apaisait. Elle l’écoutait, craignant qu’un mot de sa part ne la fasse taire à jamais. Craignant qu’il finisse par voir en elle la même abomination que les sœurs. Un soir, la nuit étoilée lui donna le courage d’entrer dans la lumière.

Et voilà que son ciel venait de s’obscurcir. D’un coup, sans prévenir. La lumière se retirait de sa vue et s’éloignait d’elle. La peur, la douleur, la solitude. Pire que tout, l’abandon.

- Ne me laissez pas, formulèrent ses lèvres sèches à peine audibles, ses mains se cramponnant à l’habit du religieux, le regard brûlant de larmes.

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