47. Missive

10 minutes de lecture

Lilith,

Il me reste tant de choses à te dire et si peu de temps pour le réaliser que je ne sais par où commencer. Je me rends compte en cet instant, où je t’écris ces lignes, de tout ce temps que j’ai gâché. Tout ce temps qui m’était donné pour te raconter… le voilà égrainé, partie en fumée. Comme s’il n’avait jamais été.

Tu seras toujours et, jusqu’au bout de mon existence, mon petit ange. Jamais, à aucun instant, je n’ai pensé les paroles que j’ai prononcées ce soir-là. Aujourd’hui encore, je ne comprends pas comment elles ont pu franchir mes lèvres. J’emporte ce regret avec moi et je sais, par expérience, qu’il m’accompagnera tout au long de mon existence. Comme les autres le font, depuis longtemps déjà. Tout comme tu m’accompagneras dans chacun de mes pas, bien au chaud dans mon cœur. Comme c’était déjà le cas, bien avant que je te rencontre pour la première fois dans ce couvent, du haut de tes onze ans.

Tu l’ignores mais, durant toutes ces années, tu as toujours été dans mes pensées, pas un seul instant tu ne les as quitté.

Là où tu as grandi, je suis coupable. Coupable d’avoir aimé. Ta mère répondait au nom de Lysandre. Elle aussi avait été contrainte d’entrer dans les ordres, elle non-plus ne voulais pas formuler ses vœux. L’aurait-elle finalement fait, au bout du compte ? Je l’ignore. Elle n’avait nulle part où aller. Je voulais que nous partions, mais elle a découvert sa grossesse. Nous ne pouvions plus prendre une décision très incertaine à la légère. Elle s’inquiétait pour ton bien-être et voulu rester. Je n’avais rien de mieux à lui proposer et ne pouvait pas lui offrir un toit et de quoi manger aussi sûrement que le faisait l’Église. Je l’avais supplié de ne rien révéler de sa grossesse, ils le découvriraient bien assez vite, elle accepta. Bien trop tôt à mon goût cependant, avant que j'aie pu entreprendre quoi que ce soit, la vérité fut dévoilée. De ce jour, plus jamais je ne la revis. Ni vivante, ni morte. Présentait-elle ce qui s’est passé ? Je me suis toujours posé la question. La dernière fois que je la vis elle me remit un morceau de tissus refermé par des nœuds me faisant promettre de te le remettre un jour. Tu trouveras dans cette boîte tout ce qu’elle avait mis à l’intérieur. Quant au tissu en question, je l’ai toujours conservé avec moi, comme une relique.

Le soir venu la nouvelle avait fait grand bruit, au couvent comme au monastère. Je n’ai jamais su comment, ni qui avait appris ton existence en devenir. Pas plus que je n’ai su comment ils ont pu découvrir que j’étais le père. Tous mes biens, peu nombreux, m’ont été confisqué et j’étais bien heureux d’avoir eu la présence d’esprit d’enterrer le baluchon qu’elle m’avait remis pour toi. J’ai été mis en isolement. À partir de ce moment, où jamais je ne l’ai revu, j’ai commencé à compter les jours et les semaines. Essayant de deviner le jour de ta naissance. Et préparant, en cachette de mes frères et malgré mon isolement, notre départ, que j’espérais prochain. J’étais bien naïf alors d’avoir cru que j’apprendrai, d’une façon ou d’une autre, ta venue au monde. Lorsque arriva les jours où, il m’avait semblé, que tu dus pousser ton premier crie et que pas même une rumeur ne vint à mes oreilles le doute me submergea. Je laissais quelques jours supplémentaires s’éteindre, avec espoir. Mais rien ne vint. Quand enfin le Père Supérieur me rencontra, ce fut pour m’annoncer que j’avais expié ma faute et que je pouvais rejoindre mes frères sans que plus jamais aucune sortie ne me soit autorisée cependant.

J’ai passé les jours suivant à interroger tout le monde, peu m’importait ce que l’on pensa de moi, seul vous deux m’importaient. Quand, enfin, je parvins à avoir quelques informations, mon sang se congela dans mes veines. On me suggéra, sans la moindre émotion, d’aller faire un tour au cimetière voisin. M’y rendant à reculons j’y découvris le nom de ta mère sur une pierre tombale. Inutile de te décrire ma douleur. Toi, mieux que quiconque peut la comprendre. J’ignore combien de temps je suis resté auprès d’elle. Quand je l’ai quitté, ce fut avec un espoir. L’unique auquel je pouvais encore me raccrocher. Toi. En sortant du cimetière, le pas décidé, je trouvais le Père Supérieur qui m’observait peiné. Je lui demandais après toi, mais il secoua la tête. Ni la mère, ni l’enfant n’avait survécu d’après les sœurs. Refusant de voir la réalité en face, je lui fis remarquer que nul autre nom n’était gravé sur la pierre. Il se contenta de me dire que sans baptême et sans parent pour reconnaître l’enfant mort-né, nul nom n’avait été donné et qu’il avait été enterrer ainsi.

À ces mots je crus devenir fou. Non seulement elle était morte, mais, de surcroit, on avait tué mon enfant deux fois ! Comme si tu n’avais jamais existé. Je fus perdu. Le chagrin m’a détruit. Les miens, mes frères, m’ont considéré comme fou sans comprendre ma douleur. Alors je suis parti en emportant avec moi ce qui te revenait. Priant pour laisser derrière moi ma douleur, mes fautes et mes regrets. Je n’avais de toute façon jamais voulu devenir moine, ni me donner corps et âme à la religion. Depuis ma plus tendre enfance, j’étais croyant, sans plus. J’ai vu ces évènements comme une preuve supplémentaire que ma place n’était pas à l’Église. De là où ils étaient, mes parents ne pouvaient plus décider pour moi.

Ce n’est que plusieurs mois après que j’ai découvert par hasard que tu étais en vie et que l’on m’avait menti. Je fus plus perdu encore que je ne l’étais déjà. On t’avait arrachée à moi. De la façon la plus injuste qui soit. J’entrepris le voyage pour venir te chercher et après plusieurs jours, quand j’aperçus à l’horizon le couvent, la vérité s’imposa à moi. Il n’avait pas le droit de te garder. Et pourtant, force était d’admettre que je ne pouvais décemment pas m’occuper d’un nouveau-né tant j’avais déjà des difficultés à subvenir à mes propres besoins. Ressentant la douleur plus vivement qu’au monastère, je compris qu’il me fallait trouver une échappatoire. Et, non sans peine, je m’en retournais à mon point de départ. J’entrepris les études de médecine dont j’avais été privé. Espérant, sans jamais me l’avouer, qu’en reprenant le cours de la vie que je m’étais choisi, avant que ma famille en décide autrement pour moi, je pourrai faire comme si tous cela n’avait jamais existé. C’est dans cet état d’esprit que je noyais mon chagrin dans les études. Je m’étais fait le serment, que celles-ci finie, je viendrai te chercher. Mais, une fois encore, la réalité me rattrapa. Après des années entre théorie et pratique, la peur m’étreignait au fur et à mesure que l’échéance s’approchait. Comment devenir le père d’un enfant qui ne me connaissait pas ? Allais-je vraiment l’arracher à son environnement ? Lui imposer l’étranger que j’étais dans sa vie ? J’avais peur et je n’ai pas même trouvé le courage de venir te rencontrer. Ces lieux, où tu vivais, hantaient mes nuits.

J’ai, une fois de plus, cherché un moyen pour ne plus avoir le temps de penser et pour m’éloigner de ce couvent qui faisait saigner mon cœur. C’est ainsi que j’ai commencé à travailler pour l’armée. Mais aucune blessure, ni aucune journée aussi longue soit-elle ne t’ont éloignée de mes pensées. Les années défilaient et l’idée de revenir un jour te chercher m’était devenue un doux rêve irréaliste. De nouveaux doutes venaient s’amonceler sur ma peine. Après tout ce temps à fuir, il était sûrement déjà trop tard pour oser prétendre entrer dans ta vie. J’avais trop peur. Pourrais-je supporter ton rejet, bien normal pourtant ? N’était-il pas préférable d’accepter de vivre avec les doux souvenirs que je m’inventais en ta compagnie ? Et c’est ainsi que le temps continua sa route parsemée de souvenirs inventés. Tantôt d’une fille, tantôt d’un garçon dont les cheveux et les traits du visage se modifiait d’un jour sur l’autre. J’étais bien heureux, si l’on peut dire, de ne pas croiser souvent d’enfant. Ces lieux m’en protégeaient. Car à chaque fois que cela arrivé, la douleur me vrillait l’estomac et, quel que soit l’âge de l’enfant qui passait devant mes yeux, je ne pouvais m’empêcher de me demander si c’était toi qui me cherchais. Et lorsqu’ils poursuivaient sa route, sans même me voir, j’avais envie de hurler.

Du moment où je suis entré au camp, j’ai repris ma théologie. Étrangement, j’avais l’impression de me rapprocher de toi en conservant la religion dans ma vie. De me rapprocher de ton quotidien et le vivre avec toi, en parallèle. Je m’étais résolu à l’idée de poursuivre ainsi. Tu emplissais ma vie, mais je n’entacherai pas la tienne. Je ne remettrai pas en question tant d’années ou tu t’étais construite, loin de moi.

Tout fut bouleversé le jour où, à la sortie d’une église, j’entendis des pèlerins porter la nouvelle de lieux en lieux. Ils racontaient que, loin d’ici, vivait dans un couvent une enfant maudite que l’on exhibait à la sortie de la messe. Naturellement, comme de coutume, c’est vers toi que mon esprit vola, sans y croire cependant. Pourtant, en demandant plus amples précisions mes craintes se réveillèrent et ne me quittèrent plus. Devais-je prendre pour véridique ce qu’on m’avait rapporté ? Je ne pouvais écarter l’hypothèse que rumeurs et bouche-à-oreille ont tendance à déformer la réalité. Pourtant, une idée m’obsédait, jour et nuit. Si j’en croyais les propos de ces personnes croisés par hasard, après tant d’années à penser à toi et t’imaginer sous les traits de chaque enfant croisé sur ma route, j’avais une fille. Pouvais-je m’autoriser à y croire ? C’est dans mes instants de doutes que le Général me surprit et, pour la première fois, je racontais à quelqu’un mon parcours et mes intentions d’aller trouver la vérité et de vérifier par moi-même comment tu allais. Il fut très compréhensif et m’encouragea à suivre mon idée. Peut-être sentait-il que j’en avais besoin.

Le trajet fut long et difficile. Encore plus émotionnellement que physiquement. Il ne me fut pas compliqué de te trouver, j’appris au cours de mon voyage que jamais tu n’as quitté très longtemps le couvent. Quand enfin je fus plus proche de toi que jamais je ne l’avais été auparavant, j’entrepris de découvrir la vérité auprès des habitants en posant de questions, tout en faisant semblant que la réponse ne m’intéressait qu’à peine. Car, si je savais que jamais personne ne me reconnaîtrait après toutes ces années qui m’avaient changé, Je ne voulais pas que l’on découvre mes intentions. Je me présentais sous mon patronyme professionnel en ma qualité de médecin. Et ce n’est que lorsque j’eus la certitude que non seulement tout ce que j’avais entendu avant mon départ était vrai, mais que c’était bien pire encore, que je pris ma décision. J’enfilai ma robe ecclésiastique pour me présenter à la Mère Supérieure dans la ferme intention de te rencontrer et vérifier par moi-même comment tu allais. Je savais ne rien risquer, jamais je ne l’avais rencontré. Et n’ayant, à l’époque, pas encore prononcé mes vœux, je ne portais pas le nom de Gabriel. Les seules qui étaient susceptibles de reconnaître ma voix ou mes manières se trouvaient au monastère. Et je n’avais aucune intention de m’y rendre.

Après tout ce que j’avais pu entendre à ton sujet, de la bouche des fidèles, je ne pensais pas avoir encore plus peur pour toi. Hélas, quand je m’entretins avec la Mère Supérieur je sus. Il fallait que je la convainque de me laisser te voir. Plus important encore, de me laisser t’emmener avec moi.

Je n’ai pas le souvenir d’avoir ressenti des émotions aussi contradictoires que le jour où je t’ai rencontré pour la première fois. Si heureux de pouvoir enfin faire la connaissance de ma fille. Si dévasté de la voir mourir à petit feu. Plus encore de prendre conscience que je ne pourrai rien te révéler dans l’état où tu étais. Aussi étrange que cela puisse paraître, c’est en te voyant que j’ai pris pleinement conscience que j’étais père. Bien que tu aies toujours eu une importance vitale dans mon existence, je t’avais inscrite dans un monde imaginaire qui était seulement mien. Soudain, tu te tenais devant moi, dans le monde réel. Aucun doute n’était permis, tu lui ressembles beaucoup.

Durant mon séjour, je me suis souvent rendu sur la tombe de ta mère. Tu ne le savais pas, mais elle était tous près de toi. Jamais elle ne t’a quitté, contrairement à moi. Combien de fois je lui ai demandé pardon pour ça ? Combien de fois je t’ai demandé pardon, en te regardant dormir ? Je te le demande encore une fois. Pardon, ma Lilith.

Alistair Cargent

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 5 versions.

Vous aimez lire Clarisse ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0