II.

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Séléné s'essuya les yeux du revers de la main.

Son visage était rouge et encore couvert du sel de ses larmes et ses yeux gonflés lui donnaient l'impression de vouloir sortir de leurs orbites. Pire encore : les mèches dorées et hirsutes qui retombaient sur son front la faisaient ressembler à une folle furieuse.

« Je fais une bien belle épouse, songeât-elle avec un rictus amer.

Ses mains blanches vinrent percer la surface du lac à l'eau diaphane au-dessus duquel elle était penchée, bien étrange parodie de Narcisse, et brouillèrent un instant son reflet pendant qu'elle s'en aspergeait le visage.

La forêt était bercée par les gazouillements des oiseaux et les bourdonnements des abeilles qui venaient butiner les Achillées et les Jacinthes sauvages qui poussaient là, recouvrant la clairière d'un tapis chatoyant.

Ici au moins, personne pour troubler son amertume. Bien sûr, la jeune fille savait qu’elle allait être la réaction de ses parents. Non seulement elle s'était défigurée, mais surtout elle avait délibérément désobéi en fuyant la rencontre avec son futur époux.

Oh, elle n'était pas dupe. Le mariage aurait tout de même lieu, ses parents tâcheraient d'arguer en sa faveur auprès de De Morency. Ils lui parleraient de sa grande timidité, sa santé fragile et sa peur à l'idée de rencontrer son promis. Ils lui rappelleraient sa haute naissance, sa beauté et son éducation irréprochable. Et alors, De Morency pardonnerait et la rencontre serait reportée. Ou mieux encore : les futurs époux se rencontreraient le jour du mariage.

Mais rien de tout cela n'était vrai. Enfin presque : elle était bien issue d'un haut lignage, et le poids de ses prestigieux ancêtres lui pesait constamment, et elle avait bien eu la « chance » d'être dotée à sa naissance par le Seigneur d'une certaine beauté. Du moins, à ce que l'on disait d'elle.

Mais en réalité, son caractère impétueux, ses fâcheuses tendances à fuguer et son attitude rebelle avait déjà causé la fin de son premier mariage.

En effet, si à vingt ans passés elle n'était toujours pas mariée quand les jeunes filles de sa caste célébraient généralement leurs épousailles vers quatorze ans, c'était à cause de cette première union qui avait mal tournée, la plongeant plus profondément encore dans la disgrâce auprès de sa famille.

La jeune Séléné qui n’avait que seize ans à l'époque, n’avait pas accepté de se laisser enchaîner et traiter comme une parure que l'on passe au cou pour parader, et le fiancé furieux avait enduré ses frasques un peu plus de deux mois avant de totalement abandonner et réclamer avec force de menaces l’annulation du contrat passé avec la famille de cette furie. Contre une belle somme, il accepta de ne pas ébruiter d'avantage l'affaire et le sujet fut clos, mais les fiançailles ayant déjà été annoncées au grand public, les rumeurs se propagèrent malgré tout, et le bruit ne tardât pas à se répandre que la jeune héritière des Roserot était une véritable folle furieuse, une hystérique qu’aucun homme digne de ce nom n’accepterait d’épouser. Il fallait les excuser, la vie des nobles était d'un ennui...

Depuis cet incident, elle s’était retirée de la vie publique, ne faisant que de très rares apparitions à des évènements, toujours sollicitées par ses parents, qui ne savaient guère s’il devait faire oublier l’existence de cette fille embarrassante ou bien s’il fallait persister à chercher de lui trouver un mari.

De fait, si quelques demandes de mariage par des petits nobles sans envergure ni véritable fortune lui avaient été faites les années suivantes, elles avaient toujours été refusées par ses parents, et il n’y avait plus rien eu pendant près de deux ans, jusqu’à ce mariage négocié avec le riche De Morency.

Et cette fois-ci, oh, cette fois-ci, elle n'avait pas intérêt à tout gâcher.

Voilà pourquoi Séléné retardait le plus possible son retour dans le domaine. Elle avait envisagé de s'enfuir bien sûr, mais y avait vite renoncé, par crainte qu'on la retrouve et peut-être un peu par lâcheté.

Elle était une fille de noble et n'avait connu que le luxe toute sa vie. La seule chose qu’elle connaissait en dehors de l’étiquette et de ce que ces précepteurs et les livres lui avaient enseignés, était le tir à l’arc, qu’elle avait appris seule, en s’entrainant dans la forêt.

Allongée dans l'herbe, la jeune fille observait le vent qui agitait les branches du saule pleureur au-dessus delle. L'arbre impressionnant, plusieurs fois centenaire, trônait au centre de la clairière, l'abritant en partie sous son feuillage et conférant au lieu une atmosphère presque mystique.

Séléné avait découvert ce lieu enclavé entre une falaise et une épaisse rangée de cyprès sauvages entrelacés des années auparavant. L'accès était introuvable et situé dans un endroit reculé de la forêt et il était immédiatement devenu son jardin secret.

En témoignait, pendant d'une des branches de l'immense saule, une cible fabriquée d'un rondin de bois et, cachés à l'abri de sa ramification, un carquois de cuir abimé et un grand arc.

Le soleil allait bientôt se coucher, déjà sa lumière faiblissait et le ciel se parait d'une teinte rosée.

Pleurer l'avait épuisée. Elle avait presque oublié cette sensation depuis le temps… Elle aurait aimé passer la nuit ici mais cela n’aurait fait qu'empirer les choses, et sa belle robe de taffetas bleue, à la dentelle désormais déchirée et au tissu taché par l'herbe grasse était bien trop légère. Même si mourir de froid lui semblait en un sens préférable au sort qui l'attendait, ce n'était pas dans ses projets pour le moment.

Même en partant sur le champ, il lui serait de toute manière impossible d'arriver au domaine des Roserot avant la tombée de la nuit, alors à quoi bon se presser.

Cela ne serait pas la première fois : il lui arrivait fréquemment de sortir en cachette la nuit tombée pour aller se promener et évacuer tous les sentiments qui lui compressaient la poitrine chaque jour de plus passé en compagnie de ses parents. D'ordinaire, elle évitait en revanche de se promener dans les bois en dehors de la journée, non par peur des loups ou autres bêtes sauvages mais parce qu'on disait que des brigands avait parfois l'habitude d'y établir leur campement.

Perdue dans de sombres pensées, Séléné se surprit à fredonner une balade triste, souvenir de son enfance. Se redressant elle sortit de son fourreau la dague qu'elle emportait lors de chacune de ses sorties officieuse, cachée dans les poches de ses robes. S'il y devait y avoir un seul avantage à la mode de ce siècle c'était celui-ci : les robes étaient si amples que l'on pouvait cacher dans les doublures à peu près n'importe quoi. Dès qu'elle le pouvait la jeune fille échangeait néanmoins ces tenues inconfortables contre des habits d'homme, bien plus pratiques. L'avantage d'avoir des parents courtisans peu présents était qu’ils ignoraient tout, ou presque, des activités illicites de leur fille ainée.

La lame ouvragée brilla un instant sous le soleil avant de refléter le visage défait de la jeune fille. Parcourant du doigt le pommeau doré décoré de deux roses entrecroisées, elle poussa un soupir de dépit et laissa tomber l'arme dans l'herbe. Remontant ses jambes contre sa poitrine elle enfouit sa tête entre ses genoux.

Et décida d'attendre. Encore un peu.

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