V.

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La forêt était calme, agitée seulement par une brise légère qui faisait frémir les arbres qui se balançaient faiblement dans l’ombre, leurs longues branches semblables à des griffes meurtrières. La lanterne que brandissait Séléné peinait à éclairer les ténèbres de la forêt alors que la lune perçait à peine l’épais feuillage. La jeune fille n’avait pas peur, mais il lui fallait admettre que son excitation était quelque peu retombée. Un frisson remonta le long de son dos alors qu’un craquement se fit entendre derrière elle, et qu’elle n’aperçoive un imposant sanglier détaler en vitesse. Nyx fit un écart qui n’aurait pas manqué de renverser un cavalier inexpérimenté et Séléné la rassura en caressant son encolure. La jument n’avait pas l’habitude de ce genre de trajet nocturne et était d’un naturel craintif, comme la plupart de ses semblables. Elle partit dans un trot rapide que Séléné ne fit rien pour contenir et après quelques minutes, le passage menant à la clairière se profila.

Comme à son habitude, la jeune femme mit pied à terre et entraîna la jument à travers les broussailles. Le cheval y était désormais habitué et ne protesta pas, malgré la végétation qui agrippait sa crinière et sa queue et gênait son passage. Séléné répugnait à laisser sa précieuse monture seule, et elle savait que Nyx n’aurait pas supporté de demeurer seule dans la forêt et aurait bien été capable de se débarrasser de son filet pour galoper vers le confort de son écurie.

La vue de la clairière, éclairée par la lune qui trônait fièrement dans le ciel la réconforta immédiatement. L’atmosphère y était bien différente de celle qui y régnait en journée. Les fleurs avaient refermées leurs corolles, s’abritant de l’air frais nocturne et le saule lui-même, plongé dans l’ombre, semblait plus grand, plus impressionnant encore. Seuls les doux clapotements de l’eau du lac étaient identiques.

Séléné remis la bride sur l’encolure de Nyx et éteignit la lanterne. Elle laissait la jument se promener librement, sachant pertinemment qu’elle ne s’éloignerait pas. Cette dernière se mit immédiatement à brouter, son trouble vite oublié.

Une bourrasque agita les longues branches du saule et vint ébouriffer la chevelure de Séléné, qui serra ses bras contre sa poitrine dans un geste de protection illusoire. Peut-être était-ce simplement l’ambiance de la forêt qui lui procurait ce sentiment étrange, glacé, qui rampait sous sa peau, couvrait ses membres de chair de poule et semblait vouloir l’engloutir.

Il n’était pas là. La clairière était aussi isolée et abandonnée qu'à son habitude. Pour la première fois peut-être, la solitude était pour elle une source de tourment. Sans même pousser son investigation au-delà, Séléné se laissa tomber au sol, dépitée.

Une douloureuse boule de stress vint se former dans sa gorge alors que ses yeux s’abîmaient dans le vide et la noirceur de la clairière.

Un sentiment de vacuité immense s’était emparé d’elle sans même qu’elle en comprenne véritablement la raison. Elle se laissa glisser dans l’herbe et soupira profondément avant de se passer les mains sur le visage en un geste lâ.

Immédiatement, elle s’en voulu. Elle avait toujours vécu pour elle-même, ne se souciant que de sa propre survie, de son propre bien-être, dans un égoïsme éhonté. Seul le bonheur de sa jeune sœur avait importé à ses yeux jusque-là. Le fait qu’un autre être humain, un homme qui plus est, puisse soudain avoir un tel impact sur son humeur, l’énervait au plus haut point.

Pourtant, il lui était apparu que dès l’instant où elle avait posé les yeux sur ce Léandre Erebus, une curiosité de l’ordre du besoin primaire l’avait immédiatement dévorée.

Elle n’avait jusqu’à lors vécu que par nécessité, menant sa vie dans un ennui mortel, sans entrain ni envie, comme poussée par un instinct animal lui dictant la conduite à adopter : manger, dormir, se battre, fuir. Elle n’avait jamais eu ni passion, ni désir autre que celui de liberté, mais cette rencontre avait été décisive : elle voulait revoir cet homme.

Elle devait le revoir car il avait été le seul, depuis toujours, à éveiller chez elle un sentiment étranger, le seul vers qui ses pensées se tournaient alors que des semaines s’étaient écoulées depuis leur brève rencontre.

Ses yeux se perdirent un moment dans l’observation de l’astre lunaire qui brillait au-dessus d’elle. Bientôt, cela serait la pleine lune. Un nouveau cycle qui commençait, synonyme de nouveaux chagrins et de nouvelles inquiétudes. La perspective de son mariage proche la terrifiait au plus haut point.

L’idée même de se retrouver seule avec De Morency, rien qu'un instant, l’horrifiait. Elle pouvait déjà sentir sur sa peau son haleine brulante chargée de relents de vin ; elle imaginait son corp écrasé par le poids de celui de cet époux répugnant, ses mains entravés, sa robe arrachée sans ménagement, et alors…

Elle ferma les yeux de toute ses forces, tentant de chasser de son esprit cette odieuse fantaisie. Cette vision ne cessait de revenir la torturer dernièrement.

Un souffle chaud vint caresser son front et lui arracha malgré elle un sourire. Nyx hennit doucement en humant sa chevelure et recommença à brouter à ses côtés.

Bercée par les bruits de la nature, Séléné, épuisée par des semaines aux nuits peuplées de cauchemars, s’endormit.

...

Une silhouette mince et élancée se découpa dans le noir et deux yeux brillants reflétèrent un instant la lumière de la lune, pareils à ceux d'un félin.

Léandre s’avança dans la clairière d’un pas lent mais assuré. D’un regard, il fit taire Nyx qui avait commencé à s’agiter nerveusement aux côtés de sa maîtresse. La jument s’éloigna et alla s’abriter silencieusement sous le feuillage du grand saule.

Arrivé devant la jeune fille assoupie, il s’arrêta et l’observa avec considération.

Sa poitrine se soulevait à un rythme régulier et son souffle discret troublait à peine le lourd silence qui s’était désormais installé dans la plaine. Un sourire se dessina sur le visage de l’intrigant, qui se baissa et effleura du doigt une mèche de cheveux rebelle sur le front de la jeune endormie.

« Une telle inconscience pourrait bien finir par vous être fatale jeune demoiselle… » murmura t’il.

Il resta là un moment, absorbé dans la contemplation de sa peau claire qui semblait luire sous la lumière de la lune, captivé par les reflets d’or de sa chevelure et par les doux accents de sa respiration.

Un immense tiraillement s’était emparé de lui. Une avidité sans précédent. Son audace, son odeur, le battement serein de son cœur, le rose de ses lèvres.

Il la voulait.

À regret, il se détourna finalement, puis il reparti comme il était venu, sans un bruit, semblant se fondre dans les ombres nocturnes.

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