Le puits Couriot

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Plume regarda le corbeau dans sa cage.

- Tu es chez toi.

Tout était noir ici. La poussière de charbon se déposait sur les bâtiments, s'incrustait dans les vêtements, pénétrait les pores de la peau. Cette cendre de roche absorbait les couleurs et même le gris n'avait pas le droit de se montrer. Seul le ciel pouvait montrer un peu de bleu ! Même les odeurs avaient disparu. Le charbon ne laissait que sa propre fragrance atteindre les narines. Une senteur d'huile minérale absorbait toutes les autres. Les sons s'atténuaient tel un jour de neige. Pour les jumelles, c'est comme si les objets étaient recouverts d'un tissu léger.

Invisible, la poudre noire volait et se déposait de partout. Plume avait beau s'essuyer les mains et le visage, elle avait toujours cette sensation de poussière grasse. Chaque fois qu'elle touchait un objet, une pellicule de charbon glissait sur sa peau. Et quand ils mangeaient, c'était le goût des aliments qui disparaissait, noyé dans le charbon. D'ailleurs les Stéphanois avaient pris l'habitude de pimenter leurs aliments.

Au milieu des journaliers avec qui ils allaient descendre dans la mine, le groupe passait inaperçu. Ils n'étaient pas les plus jeunes. Beaucoup d'enfants travaillaient dans les galeries. Ils étaient même recherchés car ils pouvaient travailler dans les boyaux les plus étroits. Et souvent, c'est toute la famille qui œuvrait dans la mine. Les plus jeunes piochaient , les plus grands transportaient. Et même si les filles et les femmes étaient surtout employées au triage du charbon en surface, quelques unes descendaient dans le puits. Seul Cube aurait dénoté. Tous les mineurs avaient en commun une maigreur. Peu payés, ils ne mangeaient pas suffisamment pour avoir une forte musculature.

La poussière de charbon avait aussi du bon. Elle recouvrait les cicatrices et la peau verte de Jade. La capuche de sa pèlerine rabattue sur le visage, personne ne pouvait la reconnaître. Tous les mineurs partageaient deux attributs, une pèlerine à capuche et un sac de jute. Le principe était simple, ils étaient payés au sac de charbon. Une fois le sac rempli, le mineur le mettait sur l'épaule et contre la tête qui étaient protégées par la pèlerine à capuche. A chaque passage, un contremaître enregistrait le nombre de sacs pour un paiement en fin de journée.

Avant d'arriver à l'ascenseur, ils passèrent par le "lavabo". Vieux bâtiment de briques rouges situé juste avant la descente dans le puits. C'était le vestiaire des mineurs. Des paniers pendaient au bout de cordes. Par un astucieux mécanisme de cordes sur des poulies, chaque mineur pouvait ainsi descendre un panier pour le remplir de quelques vêtements de rechange avant de tirer sur la corde pour le ramener vers le plafond.

Comme la plupart des journaliers, ils n'avaient rien à laisser et ils passèrent directement à la dernière salle. Le grand meuble des lampes à huile, avec sa multitude de tiroirs, envahissait un des murs. Les lampes se portaient sur le front au bout d'un bandeau supportant leur support de bois. Chacune s'ornait d'un numéro qui servirait d'identifiant pour le décompte des sacs. Certains mineurs, superstitieux, se précipitèrent sur un tiroir en particulier, désirant retrouver leur numéro fétiche, garant d'une bonne récolte. Les autres s'appliquèrent à choisir une lampe pas trop amochée.

Harangués tels des bovins, les soldats les parquèrent en deux lignes devant la bouche sombre du puits. Le souffle chaud et humide de la mine pulsait autour d'eux. Ils n'attendraient pas bien longtemps, le câble s'enroulait déjà sur l'axe du carrousel, tiré par quatre bœufs. L'équipe du matin remontait. Pour la première fois, Plume sentit une certaine anxiété de la part des soldats qui, sur des balustrades, surplombaient l'arrivée du puits.

Des marques de couleurs sur le câble renseignaient les bouviers sur l'arrivée de la cabine.

-- Oh, ooOOOH;

La cage stoppa devant eux. Tous les soldats avaient armé leur arbalète et visaient les mineurs entassés derrière la porte grillagée dont seul le blanc des yeux n'avaient pas été corrompu par le noir du charbon. Les vêtements s'affaissaient de toute la poussière accumulée. La peau, mélange de sueur et de poussières, reflétait d'une lumière noire les flammes vacillantes des lampes. Sur la balustrade, l'officier en charge aboya son ordre. Un des verdoyants responsables du carrousel vint ouvrir la porte. Le troupeau de mineurs s'épancha doucement de la cabine pour former deux rangées. Tenu par la partie métallique, le manche de bois bien en vue des soldats, les deux filent se divisèrent pour longer les mineurs en attente. Plume reçut sa pioche d'un vieux verdoyant dont les rides disparaissaient derrière la couche de fard noir. Elle imita les mineurs autour d'elle et empoigna la pioche par la pointe pour la brandir au dessus de sa tête. Enfin, la lampe allumée, ils entrèrent dans la gueule ouverte du wagon. Enfermés dans la nacelle, ils commencèrent la descente, vers luisants dans l'obscurité.

Troubadour toussa pour faire cesser les cliquetis que les deux jumelles utilisaient pour mieux se repérer dans la pénombre des lampes. Heureusement, aucun soldat n'avait embarqué avec eux. Déjà fatigués, les autres verdoyants n'avaient déjà plus la force de s'interroger.

Au fur et à mesure que la nacelle s'enfonçait dans la nuit, la chaleur et l'humidité augmentaient. De longues minutes furent nécessaires pour atteindre la galerie. Le machiniste tapa sur le tuyau courant tout le long du puits. Trois coups, la nacelle ralentit puis s'arrêta.Portes ouvertes, ils s'engagèrent à la queue leu-leu dans la galerie. Plume compta ses pas : 331 et ils arrivèrent à un embranchement de deux galeries.

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