La République du Rail

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Une troupe hétéroclite d'hommes et de femmes entourait le groupe d'Esther. Chaque casque, plastron, équipement était propre à chacun. Seul le brassard rouge noué sur leur bras gauche marquait leur appartenance à une même troupe. Un couteau de boucher emmanché sur un long manche de bois, ils encerclaient de leurs lances les nouveaux venus. Un homme se singularisait par son arme, un sabre de cavalerie. La dorure d'apparat et les décorations du manche ne serviraient à rien lors d'un affrontement. Il casserait au premier choc contre une arme en acier trempé. Cependant cette arme noble appartenait au chef de la compagnie. Il s'avança, d'un pas hésitant vers Cube. Pour lui, seul ce géant harnaché et armé pouvait être le chef !

- Qui êtes vous ? dit il restant loin de portée des battoirs de l’adolescent.

Esther s'avança de quelques pas pour se retrouver devant le sabre.

- Nous avons des blessés avec nous. Pouvez-vous nous aider ?

Surpris, le responsable de la compagnie tourna les yeux vers cette jeune femme voilée en tablier sombre. Moins impressionnante que l'escogriffe avec son épée aussi large qu'une hache, il retrouva toute sa confiance due à son rang de chef.

- Répondez d'abord à ma question ! Qui êtes-vous ?

Camelia s'avança à son tour.

- Je suis une citoyenne de la République du rail. J'ai été enlevée par des mercenaires de Sepulved. Esther et son groupe m'ont sauvée de la mine de Saint Etienne et ils me ramènent.

- Si c'est vrai, je te souhaite au nom de tous les citoyens d'Ambert un bon retour parmi nous mais tu n'est pas seule. A leur accoutrement, on voit déjà que certains de tes collègues ne seront pas les bienvenus.

Le chef n'était pas le seul à regarder la grosse croix de bois autour du cou d'Esther ou la bible sur la poitrine de Dominique.

- Je suis la sœur Esther, jésuite de Tricastin et en charge de ces verdoyants.

- C'est bien ce que je pensais, une sectaire ! Et toi l'acnéique, dit le chef montrant du doigt Dominique.

- Je suis le novice Dominique de l'ordre des chevaliers de la croix.

- Un fou de dieu ! Certains de tes frères viennent parfois avec les mercenaires violer nos femmes et enlever nos enfants, dit l'homme.

- Vous mentez, les Chevaliers de la Croix sont incapables de faire le mal !

- Ferme la !

- Ils n'écoutent que le pape, et notre Saint Père ne le permettrait pas ! dit le novice pour lui même.

Pourtant, il se rappelait l'attitude des chevaliers à Lyon. Ils avaient permis à Sepulved de changer le résultat de l'ordalie, de changer le jugement de Dieu.

- Et les autres ? demanda le chef ignorant Dominique.

- Ce sont des verdoyants, dit Camelia.

- On vérifiera à l'église ! Déposez vos armes à l'arrière du chariot et suivez nous !

Le chef se dirigeait vers l'agglomération qui se distinguait au loin. Les membres de la milice encadraient les membres du groupe. Ils passèrent au pied d'une des tours de surveillance qui s’égrainaient autour de la ville. Ces sentinelles surveillaient une grande plaine acquise à coup de hache. Il ne restait de l'ancienne forêt que des centaines de souches d'arbres. Il était difficile d'approcher de la ville sans être aperçu.

D'ailleurs, le système d'alarme avait parfaitement fonctionné. Quand ils étaient sortis du couvert des arbres, la cloche du mirador le plus proche avait tinté. Des verdoyants à la vue aiguisée se relayaient sur les plateformes en hauteur.

Rien ne devait persister autour de la ville qui pourrait cacher ou servir l'ennemi. Se rapprochant de la ville, Plume remarqua les restes de maisons. Elles avaient été démolies. Elle entendait maintenant le bruit des travaux. Plusieurs échafaudages s'égrenaient le long du mur d'enceinte. Les maisons détruites avaient donné leurs parpaings et poutres pour alimenter le serpent des fortifications qui avalait la vieille palissade de bois.

Maintenant prise en tenaille par le rempart, une ancienne église servait de porte pour pénétrer dans la ville d'Ambert. De jour, les personnes, les chevaux et même les chariots traversaient l'ancien lieu saint pour pénétrer dans le bourg.

- Suivez-moi, la sécurité va contrôler votre couleur de peau.

Ils se regardèrent, interloqués, néanmoins fatigués par les jours de fuites, ils restèrent silencieux. Encadrés par les brassards rouges, ils s'engagèrent par la grande porte dans le vaisseau de pierres. A l'intérieur, des brassards jaunes s'occupaient de contrôler les gens. Quelques brassards rouges derrière les colonnes surveillaient la multitude qui, en troupeau, traversait l'église jusqu'au chœur percé pour donner accès à la ville.

Dès l'entrée, Dominique se signa rapidement, fléchissant un genou jusqu'au sol. Ce qui lui valut un coup par le manche d'une lance. Il ne restait rien. Cette église avait miraculeusement conservé son toit mais les moisis l'avaient profanée. Marie, la croix, les crucifix, toutes les statues et peintures qui montraient toute la beauté de la vraie religion avaient disparu. Les carreaux crèmes se tachaient par endroits de taches de couleurs ; les vitraux avaient été conservés. La table de travail au milieu de l'église devait être l'ancien autel. On devinait Jésus crucifié sur le Golgotha. Il se signa une seconde fois. Il y avait encore Jésus dans cette église. A la place des tableaux, s'accrochaient des pancartes indiquant la marche à suivre.

Sur la première : "Pour les citoyens, présenter votre carte d'identité" proposait de suivre une ligne noire jusqu'au point de contrôle au milieu du transept. Une deuxième pancarte : "Étrangers : suivre vers le contrôle de verdoyance" indiquait la partie gauche du transept où, à l'abri des regards, s'érigeaient deux tentes noires.

Face aux deux toiles, on les rangea en deux lignes : une pour les femmes l'autre pour les hommes. Soutenue par les jumelles, Plume se présenta la première devant une femme habillée d'un tablier de cuir.

- Vous pouvez marcher seule ?

- Oui, dit l'adolescente pénétrant sous le tissu.

La femme tenait un plateau de métal sur lequel reposaient une petite assiette de céramique, deux paires de lunettes de soleil et une lampe huile qui éclairait faiblement l’intérieur de l’alcôve. L'ameublement se résumait à trois miroirs en pied qui se regardaient et un escabeau, sur lequel la femme posa son plateau.

- Comment est votre vert ?

- Je ne comprends pas?

- Où sont vos taches de vert ?

- Je n'ai pas de taches.

- Même si vous croyez être une terne, on doit quand même vérifier. Déshabillez-vous !

- Je n'ai pas de taches, le vert recouvre tout mon corps, s'empressa d'ajouter Plume.

- Ah, il fallait le dire. La vérification sera plus simple. Placez vous entre les miroirs. Maintenant, remontez une de vos manches. Maintenant entre les miroirs.

Elle préleva une paire de lunettes.

- Mettez ça et tendez votre bras devant vous.

Elle mis ses lunettes et plongea la flamme de la lampe dans la poudre blanche sur l'assiette. Un éclair de lumière blanche illumina l'espace. Et, Plume s'éclaira d'un vert phosphorescent, intense dans la quasi obscurité de la tente.

- Effectivement, magnifique vert. Bienvenue parmi nous, ma sœur !

Plume sortit de la tente et se dirigea avec son papier tamponné vers le poste de contrôle au centre de l'église. Jade la précédait dans la file. Pour elle, nul besoin de faire un tour sous la tente. Plume se retourna, c'était au tour d'Esther.

- Je vous dis que ce n'est pas la peine, je ne suis pas une verdoyante !

- Vous l'êtes peut être, sans le savoir. C'est déjà arrivé !

- Croyez moi, je n'ai pas attendu aujourd'hui pour vérifier.

- Je dois contrôler tout le monde !

La femme fit un geste de la main et deux brassards rouges, des femmes, se placèrent de chaque côté de la jésuite. Cube sortit de sa ligne et tout en continuant à surveiller, machinalement commença à desserrer son bracelet de cuir.

- Très bien, je vais le faire votre test !

Esther entra sous la tente suivie de l'opératrice et de son plateau. La coupelle avait été rechargée en poudre blanche.

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